À l’évidence, la diplomatie française dirigée par Jean-Yves Le Drian est tombée bien bas, trois ans après que ce dernier ait installé son auguste séant derrière le bureau de Vergennes. Au fil des mois, elle démontre son incapacité à comprendre le monde du XXIe siècle, à l’anticiper pour mieux le préparer. Le Quai d’Orsay est devenu le ministère régalien de l’improvisation, de la communication destinée à suppléer l’absence de stratégie de long terme, de vision géopolitique du monde. Nous en avons un nouvel exemple avec l’entretien accordé le 14 décembre 2020 au Figaro par notre Talleyrand à la petite semaine1. L’homme possède un art consommé de l’enfoncement des portes ouvertes et de la courtisanerie la plus vile. Le moins que l’on puisse dire est que la prose le drianesque (celle de l’une ou de plusieurs de ses plumes, pour ne pas dire de ses « nègres », terme qui n’est plus politiquement correct) décoiffe à tous les sens du terme.
Par Ali Baba
L’ENFONCEUR DE PORTES OUVERTES : LA TACTIQUE DE L’INVENTAIRE À LA PRÉVERT
Que nous apprend notre Breton madré sur le monde de 2020 que nous ne sachons déjà par ailleurs ? Quelques citations de notre Barde émérite s’impose en dehors de la substantifique moëlle de sa pensée pénétrante !
« Nous avons vécu une année terrible ». M. de la Palice n’aurait pas dit mieux. Jean-Yves Le Drian évoque, de manière chronologique, les grands moments de l’année écoulée : assassinat du général iranien, Soleimani ; accentuation de la brutalité du monde accompagnée par la pandémie avec ses conséquences économiques et sociales ; fuite en avant de l’administration Trump (avec son « idéologie extrémiste et nationaliste » !) qui a quitté l’OMS ; développement d’une campagne de haine et de violence et des actes terroristes en Europe ; guerre au Haut-Karabakh2 ; multiplication des actes hostiles de la Turquie ; enfoncement du Liban dans la crise ; ébranlement des fondements de l’ordre multilatéral et fragilisation des valeurs de nos démocraties… Le monde a failli vaciller sous cette série de « douches glaciales ». Mais le monde a tenu en préservant les « fondamentaux » (?) : l’OMS a survécu ; l’accord sur le nucléaire iranien a été préservé par les Européens ; survie de l’accord de Paris sur le climat et la coalition anti-Daech. La France y a pris sa part : prise en compte internationale de la crise du Sahel ; préservation de « l’idée et l’unité européenne » (?), l’Europe ayant montré sa capacité à « résister et à protéger, et même à faire sauter nombre de tabous » (diantre !) en raison d’un « effort diplomatique et considérable fait de patience et d’obstination, jamais dans l’esbrouffe ni dans le court terme » (nous pensions candidement que c’était le contraire qui était pratiqué). Notre mage déclare ex cathedra : « Ces bases acquises, il nous faut à présent lancer la phase de refondation (sur quelles bases, avec quels objectifs et avec qui ?), notamment dans la perspective de la présidence française de l’Union en 2022 » (la ficelle est aussi grosse qu’usée).
Interrogé sur les succès diplomatiques de Donald Trump au Moyen-Orient, Jean-Yves Le Drian déclare approuver « tout ce qui contribue à l’apaisement et à la normalisation entre Israël et les pays arabes ». À l’instar du Maroc3, la France estime opportun de profiter de cette occasion pour « entamer un nouveau cycle » (?). « C’est peut-être le moment de prendre des initiatives » (?). Nous apprenons un scoop : le chef de la diplomatie française va retrouver à nouveau ses collègues allemand, jordanien et égyptien « pour envisager une reprise des discussions » (lesquelles ?).
Le ministre poursuit sur les relations futures avec la nouvelle administration américaine. À ses yeux, trois enjeux internationaux seront abordés : climat4, santé et nucléaire iranien. Il fait preuve d’une audace insoupçonnée, soulignant que la relation transatlantique a changé comme l’Europe. Cette dernière travaillera pour avoir « une relation plus équilibrée et affirmer sa propre identité ». Quel galimatias ! Jean-Yves Le Drian reprend son ton journalistique pour nous relater les dernières turpitudes turques : accélération de sa fuite en avant ; violation du droit international en Méditerranée ; développement d’une campagne de haine et de déstabilisation à l’encontre de la France. Mais, heureusement, les États-Unis (discours de Mike Pompeo à l’OTAN) et l’Union européenne (premier train de sanctions décidé par le Conseil) ont pris conscience de l’ampleur du problème et ont décidé de réagir.
Un constat objectif s’impose : nul ne trouve dans sa prose une hiérarchisation des défis et des priorités pour nous préciser la manière dont il entendait les relever à l’avenir. Ce qui devrait être le rôle primordial du ministre français de l’Europe et des Affaires étrangères. Or, nous n’en sommes pas encore là. Après le fond vient la forme. Certains termes utilisés sont soit impropres, soit relèvent du registre journalistique (« prendre des initiatives ») qui ne devrait pas avoir sa place dans la langue du chef de la diplomatie française. « Mal nommer les choses, c’est ajouter aux malheurs du monde » nous rappelle fort à propos Albert Camus.
Nous n’avions pas tout lu. Le plat de résistance arrive après les zakouskis.
LE VIL COURTISAN DE JUPITER : LA TACTIQUE DE LA BROSSE À RELUIRE
La fin du madrigal de notre amateur de boissons fortes est un morceau d’anthologie qui devrait trouver toute sa place dans le fameux sottisier du Quai d’Orsay. Reprenons quelques perles de culture que Le Chouchen enfile joyeusement sur le thème, l’image de la France dans le monde a changé depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron. Le ministre est excellent dans le registre de la courtisanerie, confessons-le. Nous découvrons avec bonheur les multiples succès enregistrés par la diplomatie jupitérienne depuis mai 2017. Décidément, on nous cache tout, on ne nous dit rien.
« L’image de la France s’est améliorée au niveau international depuis son arrivée. Emmanuel Macron fait référence. Il est devenu incontournable dans les crises. Il cherche dans les situations difficiles à faire entendre la voix de la France marquer les valeurs de la République et rappeler qu’en tant que membre du Conseil de sécurité de l’ONU, nous tenons notre place dans le monde. Enfin, le fait qu’il dise ce qu’il pense est plutôt porté à son actif car c’est en étant franc que l’on débloque les situations. Ça ne règle pas la crise, mais ça l’empêche de rester dans l’impasse ou dans le statu quo ».
Ce qui porte un nom, la diplomatie de l’agitation permanente. Macron diplomate ou le « Deus ex machina ». Le ministre ne fait pas dans la nuance, enfonçant au passage celui qu’il a servi durant cinq ans comme ministre de la Défense, François Hollande. Horresco referens… Il poursuit, se faisant l’avocat de l’utilisation par le président de la désormais célèbre saillie sur « l’OTAN en état de mort cérébrale ». Elle « a fait bouger les choses » en soulevant quatre doutes : engagement américain, volonté européenne de l’Europe de contribuer davantage à sa propre sécurité, valeurs et cohérences entre les membres de l’Alliance (Turquie en particulier), désignation de l’ennemi. Il en profite pour se féliciter des conclusions du rapport du groupe de réflexion sur l’avenir de l’OTAN qui propose le principe d’un code de conduite et la révision du concept stratégique de l’organisation5. Une vaste blague qui n’a rien de révolutionnaire. Jean-Yves Le Drian enfonce le clou de la servilité : « La France pèse quand elle est à l’initiative et souvent, seule la France est à l’initiative. Elle ne règle sans doute pas les choses seule, mais elle a la capacité de rassembler autour d’elle. C’est ce qui fait notre singularité et notre force. Si la France n’avait pas pris l’initiative au Sahel, il ne se passait rien. Idem au Liban ». C’est à mourir de rire en découvrant cet exercice d’auto-encensoir. Sur le Liban, le ministre se prend les pieds dans le tapis : « La seule solution, pour que ce message soit compris, était de s’exprimer vigoureusement en raison de notre amitié historique avec le Liban… ». On voit sur ce quoi a débouché l’initiative française.
Isabelle Lasserre élève légèrement la voix pour faire remarquer au ministre la différence de culture stratégique entre l’Allemagne et la France qui s’en défend en proférant quelques banalités et truismes (« nous allons réinventer la nouvelle donne transatlantique qui ne sera pas la même qu’avant… ») et le blocage sur le Brexit (« L’unité de l’Europe tient solidement. Sur les trois points qui font divergence aujourd’hui – respect de la concurrence loyale, pêche et gouvernance – les Européens restent unis »).
À lire ce « torchon », l’on comprend pourquoi la diplomatie française n’est plus que l’ombre de ce qu’elle fut au temps de sa splendeur passée. Elle persiste à se payer des mots, faute de proposer des solutions viables aux maux de la planète. Nous sommes au cœur d’une diplomatie des apparences qui fait régulièrement pschitt à chacune de ses initiatives très médiatiques et peu stratégiques ou géopolitiques du président de la République et de sa mauvaise troupe.
DE LA DIPLOMATIE DE GRIBOUILLE !
Notre vieil apparatchik socialo-macronien n’est jamais aussi mauvais que lorsqu’il veut jouer à l’intelligent alors qu’il n’est que l’idiot du village planétaire. Le résultat est là : l’homme pratique à merveille l’art de la négligence6, de l’enfumage7. Il se révèle pour ce qu’il est : un commentateur de l’actualité internationale incapable d’avoir de la hauteur et de tracer une vision d’avenir. Il pourrait être engagé comme consultant sur les affaires planétaires par BFM-TV, la chaîne des « toutologues ». Il serait parfaitement à sa place. Nous regrettons que la journaliste qui conduit l’entretien n’ait pas eu le front de répliquer à certains bobards évidents du ministre, en particulier sur les prétendus succès de la diplomatie française (de la complaisance de notre vénéré clergé médiatique). Après plus de trois années, les experts les cherchent et ne les trouvent pas, hormis les stigmates d’une « diplomatie décidément calamiteuse qui isole la France et la déconsidère partout »8. Ce qui s’explique – en partie mais en partie seulement, tout se décidant au château par Jupiter mal conseillé par sa cellule diplomatique en surchauffe – par le fait que nous ayons un cireur de pompes au Quai d’Orsay : Jean-Yves Le Drian.
ALI BABA
Notes
1 Isabelle Lasserre (propos recueillis par), Jean-Yves Le Drian : « Nous avons vécu une année terrible mais nous avons tenu », Le Figaro, 14 décembre 2020, p. 8.
2 Paul Tavignot, Le cessez-le-feu menacé dans le Haut-Karabakh, Le Monde, 15 décembre 2020, p. 7.
3 Ghalia Kadiri, « Le Maroc ne lâche pas la cause palestinienne », Le Monde, 15 décembre 2020, p. 6.
4 Audrey Garric, Des timides avancées sur le climat, Le Monde, 15 décembre 2020, p. 15.
5 Guillaume Berlat, OTAN : la montagne accouche d’une souris, www.prochetmoyen-orient.ch , 7 décembre 2020.
6 Ali Baba, La dernière négligence de Frère Le Chouchen, www.prochetmoyen-orient.ch , 10 août 2020.
7 Guillaume Berlat, Tribune franco-allemande : opération enfumage, www.prochetmoyen-orient.ch , 23 novembre 2020.
8 Caroline Galacteros, À la recherche du temps perdu, www.comite-valmy.org , 2 décembre 2
Proche et Moyen-Orient.ch
https://prochetmoyen-orient.ch/un-cireur-de-pompes-au-quai-dorsay/