Les Américains – et la plupart des pays de l’OTAN – s’obstinent dans le déni de réalité sur la guerre en Ukraine. Entre un Pentagone noyé dans sa bureaucratie et le fanatisme sans fond des néo-conservateurs, la guerre occidentale se radicalise tout en devenant inefficace.
Par Edouard Husson
Le principal problème des Occidentaux dans cette guerre en Ukraine est leur phénoménal déni de réalité, qui se transforme alors en un blocage intellectuel pathétique, les rendant parfaitement incapables de comprendre toute situation et donc comment s’y adapter, ce qui l’essence même de ce qu’on appelle l’intelligence.
La défaite occidentale n’est qu’une question de temps
Le stratège borné qui en découle très naturellement n’est plus qu’un stratège vaincu, ce qui n’est qu’une simple question de temps. Le corollaire d’un tel état psychologique collectif, sinon psychiatrique, est de compenser l’échec par la surenchère et le sacrifice des autres, et tous les autres s’il le faut. Tel fut la stratégie du stratège criminel et dément que fut Hitler, aidé faut-il aussi rajouter par le peuple allemand, jusqu’à ce que le dictateur se tire une balle dans la tête dans son trou à Berlin, une fois vaincu par l’Armée rouge. Le premier enseignement est que le peuple imbécile est la condition d’existence du stratège dément et que sa guerre ne peut s’arrêter qu’une fois épuisée sa base sacrificielle.
Un précédent historique fameux se retrouve dans la chute de Constantinople où la démence byzantine fut brisée par l’intelligence ottomane. Le Turc fut en effet en mesure de faire tomber les réputées formidables murailles de la ville par l’emploi d’un canon exceptionnel qui en fit voler en éclat la porte. Or l’artisan hongrois de ce canon l’avait d’abord proposé au porphyrogénète du moment, en même temps le dernier, lequel refusa car trop préoccupé, parait-il du sexe des anges – aujourd’hui on dirait des « genres ». Vexé, le fabricant l’a alors vendu aux Ottomans qui en comprirent immédiatement tout l’intérêt. Exit ainsi l’empire romain d’Orient après un millénaire d’existence.
Au jour le jour, le stratège dément et son peuple acolyte nécessairement doivent s’abreuver d’illusions pour durer. Ainsi à l’Ouest spécule-t-on sur d’hypothétiques contre-offensives ou contre-attaques en Ukraine en toute méconnaissance de la chose militaire en cours. Les « anges » de l’actuelle Constantinople américaine s’incarnent systémiquement dans l’adoration du dément sénile qui la préside, et conjoncturellement dans les « quatre » Mig 29 polonais, 8000 obus canadiens, ou encore dans une CPI aussi impuissante que corrompue et dans tant d’autres illusions encore nonobstant la réalité des combats sur le terrain.
Bakhmout, un siècle après le Chemin des Dames
Or cette réalité – et le mainstream US l’admet du bout des lèvres – veut qu’une troisième armée ukrainienne bâtie par l’Otan qui est en passe d’être détruite dans le piège à rat de Bakhmout, et que la quatrième en cours de construction est étrillée avant même que d’exister.
Dans ce cas-là, la démence c’est donc quand le Pentagone – une entité plus bureaucratique que militaire et qui touche toujours plus d’argent après chaque défaite – pousse sans raison tactique acceptable les réserves ukrainiennes – de 50 à 70 000 soldats – dans le « hachoir » parfaitement réglé par l’artillerie russe, simplement pour répondre à l’exigence politique intérieure US d’obtenir une « victoire » au moins symbolique avant le début de primaires américaines où « unsere geliebte neue führer » joue très gros malgré les manipulations éculées qu’on lui connaît.
Or ce type de démence resituée au plan militaire n’est pas une nouveauté, au contraire. Elle est typiquement celle du général Nivelle, ce prédécesseur de Gamelin, qu’il a fallu dare-dare relever de force avant qu’il ne consomme à lui tout seul la totalité de l’armée française dans ses attaques aussi répétées que meurtrières au Chemin des dames en 1917.
Dire que dans le camp d’en face on s’amuse des effets de cette démence n’est pas qu’une figure rhétorique.
La stratégie d’attrition qu’il a adoptée hors des schémas médiatiques occidentaux fonctionne plutôt bien.
Alors que l’économie russe prospère, les arsenaux occidentaux se vident, l’industrie de l’armement – dans une fausse impression de carnets de commande bien rempli – ne fait que la démonstration de son incapacité totale à s’adapter à une guerre qu’elle a voulue, l’économie US montre des signes évidents d’essoufflement, aggravés de surcroît d’un effondrement bancaire rampant. Clairement, cette guerre est en train de s’inviter inopportunément dans une société américaine déjà très chancelante. Ne parlons pas de l’Europe qui en fait n’existe plus, sinon pour lui dire sans qu’elle comprenne : « Vae victis » …
La pire des situations géostratégiques
Géostratégiquement, la situation est pire encore, et ceci principalement à cause des rodomontades aussi vaines qu’imbéciles des Américains.
La Chine vient ainsi de sortir de ses gonds d’observateur distant pour envoyer paître l’administration de « Let’s go Brandon », ce qu’elle n’aurait jamais imaginé. La Chine livrera donc à la Russie « autant d’armes que les US en livrent à Taïwan ». Autre très mauvais signe, le nouveau ministre de la défense chinois est sur la liste des personnes sanctionnées par eux.
Comme Hitler à partir de décembre 1941, l’Amérique vient de s’engager malgré elle dans une guerre sur deux fronts, et pas n’importe lesquels.
Pire encore est le récent accord entre l’Iran, l’Arabie saoudite et la Chine. Outre ses répercutions en matière de dédollarisation et de guerre du pétrole, il place de fait l’Iran comme puissance nucléaire, histoire de faire s’effondrer toute la stratégie US moyen-orientale US, elle-même étant une pure erreur stratégique. Encore quelques erreurs comme quand le secrétaire à la défense US annonce benoîtement une guerre contre l’Iran avec Israël, puis se rétracte le lendemain … et on y sera.
La démence ne se satisfaisant jamais d’elle-même, le Congrès US vient aussi d’apprendre que le Mexique va demander à rejoindre les BRICS, ce qui revient bien à placer la Chine et la Russie aux frontières Sud des USA, celles par où précisément se déversent des millions de migrants, parfaitement encadrés par les cartels.
Ainsi, ces braves congressistes nourris des dollars de la corruption pour être élus, reprochent-ils au Mexique la crise du Fentanyl, laquelle a un coût humain annuel équivalent de deux guerres du Vietnam (100 000), mais comme si l’Amérique n’avait jamais elle-même trafiqué la drogue …
Au global, force est de constater qu’un tel résultat global au bout d’un an de guerre seulement est plutôt remarquable.
Exemples quotidiens de l’infériorité militaire américaine
Si on passe du macro au micro, la différence de nature entre les deux belligérants majeurs est encore plus marquée. On le constate dans la récente affaire du drone MQ9 – une perle de la technologie ISR US sous la forme d’un système de surveillance aéroporté à large zone, dit « Gorgon Stare », montée sur le côté bâbord de l’engin » – envoyée au fond de la mer Noire par un chasseur russe Su-27, simplement en larguant un peu de carburant pour étouffer son moteur. Bien sûr, les Russes ont ou vont récupérer l’engin à 900 mètres, simplement parce qu’ils savent faire et que la zone est à eux. L’ISR est un des derniers points forts
américains, ce qui signifie que ses satellites civiles sont les prochaines cibles ! Le résumé de l’affaire est que « les US sont capables de dépenser 2 missiles à 400 000 $ pièce pour abattre un ballon qui en vaut à peine quelques dizaines et se faire voler par les Russes un drone de 50 millions de $ au prix de seulement quelques dizaines de $ de kérosène ».
Un autre constat de cette péripétie est le changement de stratégie américaine qui consiste désormais à provoquer ( drone au-dessus de la mer Noire ), puis à se faire gifler ( capture du drone ), et ensuite aller pleurnicher ( Milley appelle Gerassimov ), pour enfin re-provoquer ( renvoi d’un autre drone ).
Autre péripétie mais plus alarmante US. On sait à quel point s’est gaussé l’Occident en 2018 quand le président russe a dévoilé ses nouveaux armements, notamment en matière d’hypervélocité. Plus maintenant depuis le 9 mars où les Russes ont tiré une poignée de missiles Kinzhal**, détruisant entre autre un état-major de l’Otan enterré à 80 mètres. Au bilan, c‘est au moins 300 hommes qui y sont restés, dont 40 officiers occidentaux parmi lesquels nécessairement un ou deux étoilés américains. Pour les Béotiens, le Kinzhal qui vole à mach 12 est invisible à tout système radar et son énergie cinétique à cette vitesse suffit à en faire l’arme anti-bunker la plus performante. Rien donc d’anormal concernant le silence total des Américains et de la presse mainstream sur l’affaire : ça n’existe tout simplement pas.
Des Américains incapables de tirer les leçons de l’arme hypersonique
Si les militaires américains n’étaient pas dans le cycle de la démence, ils en déduiraient que l’hypervéloce, domaine où ils sont complètement dépassés, a détruit la profondeur stratégique par sa capacité à traiter instantanément n’importe quel point, infrastructure ou individu important du globe, dont l’Amérique elle-même.
Les Kinzhal et équivalents sont peut-être la prochaine rupture dans les affaires militaires comme le fut le canon de Byzance et qui mit à bas la féodalité, alors qu’il existait depuis bien avant. Il ne faut donc pas non plus s’étonner que les militaires n’y comprennent rien. Quand fut adoptée l’arme à feu dans les troupes, ils s’ingénièrent à la prolonger de l’inutile baïonnette parce que cela leur rappelait les piquiers d’avant, et cette pitrerie a duré trois siècles !
Cette guerre ne peut que monter dans les tours jusqu’aux extrêmes vu qu’elle est voulue par le segment le plus fanatique et intouchable de l’État profond américain. C’est lui qui en initie chaque étape, lequel immanquablement se traduit par une erreur stratégique américaine En face, on l’a si bien compris que ce n’est pas l’Ukraine qui est l’enjeu mais bien ces faucons ultimes qui l’ignorent. Les vrais déterminants de l’équation de cette guerre ne se situent donc pas vraiment où la plupart l’imaginent. À la stratégie de démence US répond manifestement une contre-stratégie qui consiste bien à laisser faire ces erreurs, ce qui prendra du temps, celui de l’attrition tous azimuts en particulier, mais c’est bien que le jeu doit certainement en valoir la chandelle.
En attendant, la routine de la guerre se poursuit. Concernant celle-ci, il n’aura certainement pas échappé au lecteur sagace la corrélation temporelle entre ces trois éléments que sont la contre-offensive promise à l’Ouest, l’emploi impromptu de Kinzhal et l’absurde prolongation de la bataille de Bakhmout par les réserves disponibles. Il devient clair alors que le second élément à détruit la tête du premier et ainsi déclenché le troisième, histoire de gommer médiatiquement l’effet Kinzhal. De la contre-offensive promise ne reste donc plus que le volet cybernétique, dont les curieux pourront prendre connaissance ici, un clin d’œil manifeste des services russes à leurs homologues US.
Par Edouard Husson