La catastrophe minière de Soma qui a fait plus de 280 victimes est sans conteste un drame qui n’est pas directement imputable au pouvoir politique. S’il y a négligence, elle appartient d’abord à la société privée qui exploite le charbonnage. Mais c’est le Premier ministre turc qui cristallise la fureur des gens depuis le début. Il se fait de plus en plus arrogant. Un tel accès de colère n’avait jamais été relevé à son encontre. Il a été hué, sa voiture a été attaquée. Pourquoi une telle fixation sur Tayyip Erdogan ? Trois raisons l’expliquent.
Le décret de 2012 et le manque de vigilance
Un décret de 2012 a soumis à l’autorisation du Premier ministre toute privatisation ou concession dans le secteur de l’énergie. En 2011, un rapport du Conseil d’Inspection de l’Etat (DDK) avait en effet attiré l’attention sur les risques élevés en matière de sécurité et de santé dans les mines. On aurait pu s’attendre à ce que l’examen des demandes soit plus scrupuleux.
Or il semble que ça n’a pas été le cas puisque les accidents se sont multipliés. A tel point que les trois partis d’opposition ont demandé, il y a trois semaines, la formation d’une commission parlementaire pour en rechercher les causes et proposer des solutions. Cette demande a été perçue comme une mesure d’obstruction par l’AKP, le parti de Tayyip Erdogan, et finalement rejetée. Erdogan a déclaré avoir lu les procès-verbaux des discussions parlementaires pour affirmer que les députés de l’opposition n’avaient rien dit sur Soma. Il s’est trouvé que c’était loin d’être vrai. La presse, dont les propriétaires font souvent des affaires dans le secteur de la sidérurgie, n’a pas insisté.
Les propos déplacés du Premier ministre
Erdogan est connu pour son impulsivité et ses coups de sang. Il avait déjà rabroué un agriculteur qui lui avait reproché sa politique en disant : «nos mères pleurent !» (expression turque qui signifie «nous sommes dans un pétrin pas possible»). Et le Premier ministre de lui répondre au tac-au-tac : «prends ta mère et tire-toi !». Dernièrement, il joutait avec le bâtonnier du Conseil national des barreaux. Il lui avait lancé, «tu es grossier, tu es un menteur !».
Dernier épisode en date : l’accident à Soma. Le Premier ministre est venu prendre des nouvelles mais ses propos lors de la conférence de presse ont stupéfié tout le monde. Il a déclaré que les accidents étaient «dans la nature des choses» dans ce métier et a donné des exemples. Le fait de sortir ses notes, de chausser ses lunettes et d’énumérer des catastrophes minières qui ont eu lieu à l’étranger au 19è et au 20è siècles a littéralement sidéré les proches des victimes. Il a d’ailleurs étrangement pris la défense de la société d’exploitation avant d’avoir toutes les données en mains.
Les gestes choquants du Premier ministre et de son entourage
Lors de sa visite à Soma, Erdogan a été fraîchement accueilli. La présence d’une foultitude de gardes du corps pour un homme politique qui se targue d’être proche du peuple a suffi à exaspérer la foule. Celle-ci l’a conspué, pis, sa voiture, qui a été banalisée afin d’échapper à la colère du peuple, a été secouée.
Le chef du gouvernement, fidèle à lui-même, s’est emporté. Il a interpellé l’un des manifestants en lui disant, «lorsque tu conspues le Premier ministre de ce pays, tu dois t’attendre à recevoir une baffe» ! A une autre personne qui l’apostrophait, il a lancé, «viens me le dire en face!» avant de le suivre jusqu’à l’entrée d’une supérette et de le bousculer. La vidéo qui le montre en train de l’agripper par le cou a fait le tour du monde. Au même moment, on entend une voix proférer l’insulte, «semence d’Israël». L’AFP a immédiatement diffusé l’information.
Le même jour, un conseiller d’Erdogan, Yusuf Yerkel était en train de flanquer des coups de pied à un proche de victime à terre. Les tentatives de justification du porte-parole de l’AKP, Hüseyin Celik, ont ajouté à l’exaspération.
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