Dans une lettre lue le 21 mars, jour de la fête de Norouz, lue en kurde et en turc par deux députés du Parti Paix et Démocratie (pro-Kurdes) à Diyarbakir (Kurdistan turc), le leader kurde et fondateur du Parti des Travailleurs Kurdes (PKK), Abdullah Öcalan, a annoncé un cessez-le-feu entre les combattants du PKK et le gouvernement turc.
Cette annonce était attendue car, depuis janvier, il ne faisait plus aucun doute que des négociations étaient en cours entre les deux parties. Le remaniement surprise de son gouvernement par le Premier ministre RecepTayyip Erdogan, le 25 janvier, était un signe fort envoyé au PKK. Après consultation avec le président Abdullah Gul, il avait nommé quatre nouveaux ministres. Entre autre, le ministre de l’Intérieur Naim Shain, un anti-PKK dur, avait été remplacé Muammer Guler, ancien gouverneur d’Istanbul, plus modéré. Avec en toile de fond, des pourparlers de paix difficiles avec Abdullah Öcalan, dirigeant et fondateur du Parti des Travailleurs Kurdes (PKK).
Détenu sur l’île d’Imrali, Öcalan avait été capturé au Kenya au cours d’une opération menée par les services secrets turcs, la CIA et le MOSSAD, le 15 février 1999, puis jugé et condamné à mort. Une peine commuée en prison à vie en 2002 avec l’abolition de la peine de mort. Dans le cadre de ces négociations, Öcalan avait pu, alors, recevoir pour la première fois les autres dirigeants du PKK. Après plusieurs cessez-le-feu et tentatives d’accord avortés, les pourparlers paraissaient prendre la bonne direction entre le PKK et les négociateurs dirigés par Hakan Fidan, le chef du MIT, les services de renseignements turcs, considéré en Turquie comme un « vice-président parallèle », proche de Erdogan et qui avait déjà pris part aux négociations avortées, à Oslo, en 2009. Il est venu personnellement rencontrer Öcalan en 2012, à Imrali pour relancer le processus, avec l’idée que seuls des contacts directs avec Öcalan pouvaient faire aboutir les négociations. Un moyen, également, de voir si les PKK et sa branche armée sont toujours derrière lui.
Dans sa lettre publique, Öcala en appelle à « la paix et la fraternité ». « Le combat que j’ai initié contre notre désespoir collectif, notre ignorance et l’esclavage visait à former une conscience, un mentalité et une volonté quels que soient les défis, écrit-il. Aujourd’hui, je vois que ce cri a atteint un certain point. (…) Que les armes se taisent et que parlent les opinions et la politique ». Sans doute le désir de paix existe-t-il chez tous les Kurdes et peut-être est-il temps, effectivement de mettre fin au cercle vicieux de la lutte armée. Mais Abdullah Öcalan, le pur et dur s’il en est, va plus loin que la simple question kurde. « Notre combat a toujours visé l’oppression, l’ignorance, l’injustice, le manque de développement et toutes sortes de pressions. Mais aujourd’hui, nous nous éveillons à une nouvelle Turquie, un nouveau Moyen-Orient et un nouveau futur. Un nouveau processus fondé sur la politique, le social et l’économie commence, une nouvelle idée des droits démocratiques, des libertés et de l’égalité se développe », dit-il aussi, signant un blanc-seing au gouvernement turc pour sa politique nationale et internationale. Le PKK a d’ailleurs démontré sa volonté de négocier sérieusement en libérant le 13 mars, huit civils turcs détenus en otage.
Recep Tayyip Erdogan – et son parti, le Parti pour la Justice et le Développement – qui, à travers sa politique agressive envers la Syrie par son soutien aux « rebelles syriens » et sa soumission aux desiderata des Américains et autres Saoudiens, vise à devenir le gendarme du Moyen-Orient, n’hésitant pas à appeler la Russie, la Chine ou l’Iran à réviser leur position sur le conflit syrien, ne peut que se réjouir. Aboutir à un accord politique avec le PKK lui permettrait, également, d’écarter l’approche militaire de la question et de se débarrasser du poids de l’armée si présente dans la politique turque. On a donc ressorti la vieille « feuille de route stratégique » des précédentes négociations, réactualisée en vue de l’accord de paix, le cessez-le-feu n’étant que la première condition préalable aux négociations.
Plusieurs étapes devront être franchies avant d’en arriver à un accord. Le gouvernement turc devra libérer les milliers de prisonniers membres du PKK ou de sa branche urbaine la Kurdistan Communities Union, tandis que 4000 combattants du PKK s’engageront à quitter leurs bases dans les Monts Qandil, au nord de l’Irak et à déposer les armes. L’accord a déjà été négocié avec Massoud Barzani, chef du Parti démocratique kurde d’Irak et président du gouvernement du Kurdistan irakien. Des négociations seront ensuite engagées sur le plan constitutionnel et les droits spécifiques des Kurdes, contre un soutien des réformes d’Erdogan par le PKK. Le statut d’Öcalan et une éventuelle amnistie concernant les généraux emprisonnés après la tentative de coup d’ État d’Ergeneken (réseau complexe criminel d’extrême droite et autres forces), pourraient également faire partie des négociations.
Mais comme toujours lorsqu’il s’agit de la question kurde, l’affaire est compliquée. L’Union démocratique kurde, faction kurde dominante en Syrie qui a des liens étroits avec le PKK turc, est prête à déclarer l’autonomie de la région kurde syrienne sur le modèle du Gouvernement régional du Kurdistan irakien. Ce qui aurait des conséquences – et Bachar al-Assad qui a lâché du lest sur les Kurdes syriens le sait – sur le Kurdistan turc et créerait les conditions d’un futur Kurdistan transnational. D’où l’urgence, aussi, d’un accord avec le PKK, car nul ne sait, même si aujourd’hui la direction du parti kurde déclare soutenir Öcalan, quelle serait, alors, la réaction des combattants de Qandil qui, pour certains, ont passé leur vie dans les maquis et sacrifié leur vie à la cause de l’indépendance kurde, sans avenir dans une Turquie pacifiée.
Des divergences sont déjà apparues entre Öcalan et les combattants. C’est ce qui ressort de fuites organisées d’un rapport de réunion pré-négociations entre Öcalan et des représentants du parti Paix et Démocratie. Le dirigeant kurde aurait fait état de l’incompréhensions du PKK dont les membres le considèreraient comme « un vieux frère ou un père… ». « Qandil est pessimiste quant aux négociations, dit-il, il faut qu’ils dépassent ça, je suis en colère contre eux ». L’assassinat de trois responsables du PKK à Paris le 9 janvier, par des opposants turcs à la décision d’Erdogan de négocier avec les Kurdes, contribue, également, à la méfiance des activistes du PKK.
L’issue de la partie d’échec jouée par la Turquie n’est pas encore terminée. Le pion kurde pourrait être une peut-être une bonne stratégie pour Erdogan, mais très incertaine, et on est encore loin de « cheikh mout ». Quant à Abdullah Öcalan, il a tout à gagner… et tout à perdre.