La convocation devant un juge d’une femme accusée d’atteinte à la pudeur après son viol par des policiers fait polémique.
L’affaire a provoqué l’émoi en Tunisie. D’après France 24, une jeune femme de 27 ans, violée le 3 septembre dernier par deux policiers, se retrouve convoquée devant une juge d’instruction pour « atteinte à la pudeur ». Cet appel à comparaître au tribunal mercredi a déclenché la colère de la société civile, qui reproche aux islamistes « modérés » d’Ennahdha au pouvoir de faire peu de cas de la condition féminine. Selon l’AFP, plusieurs ONG, parmi lesquelles l’Association tunisienne des femmes démocrates et la Ligue tunisienne de défense des droits de l’Homme, ont dénoncé avec virulence cette convocation.
« Trois agents nous ont arrêtés alors que nous étions en voiture », raconte à France 24 le fiancé de la victime, un ingénieur informatique de 26 ans. « L’un d’entre eux m’a mis des menottes en réclamant 300 dinars (200 euros, NDLR). Il a pris tout ce que j’avais : 40 dinars (environ 15 euros, NDLR). Et pendant ce temps, deux autres ont conduit ma fiancée à l’arrière de leur voiture et l’ont violée », ajoute-t-il à France 24. Selon le ministère de l’Intérieur, la jeune femme et son ami avaient été appréhendés par trois agents de la police dans une « position immorale ». Deux des agents avaient alors violé la victime pendant que le troisième retenait le fiancé menotté.
« Nous vous aimons : violez-nous »
Mercredi, la jeune Tunisienne, diplômée d’une maîtrise de finance et d’un master en management, a été confrontée aux deux agents de la paix, ses violeurs présumés. Les trois policiers ont été incarcérés pour viol. Quant aux deux membres du couple, ils risquent chacun six mois de prison. « Les deux agents ont commis un crime mais ça n’empêche pas qu’elle était dans une position illégale » avec son petit ami, a commenté un représentant du ministère de la Justice cité par l’AFP, sous couvert d’anonymat.
De leur côté, les ONG ont relevé que cette procédure transformait « la victime en accusée » et visait « à la terroriser et à l’obliger, elle et son fiancé, à renoncer à leurs droits », dans la mesure où le même juge instruit le viol et l’atteinte à la pudeur. Les associations s’interrogent aussi « sur le sérieux de l’engagement du gouvernement à appliquer le plan national de lutte contre la violence faite aux femmes ». Le procès doit commencer le 2 octobre prochain, et un appel à manifester à cette date devant le tribunal de Tunis a été lancé sur les réseaux sociaux sous le titre « Nous nous aimons : violez-nous ».
« La goutte d’eau qui fait déborder le vase » (députée d’Ettakatol)
Mais la polémique a enflé jusqu’au cœur du gouvernement tunisien. Sur Facebook, la députée Karima Souid, membre d’Ettakatol, un parti de gauche allié aux islamistes d’Ennahdha, a dénoncé sur Facebook le soutien de son parti au gouvernement. « Je me désolidarise complètement de ce gouvernement. L’affaire du viol et la convocation de la victime ce matin est la goutte d’eau qui vient de faire déborder le vase », a-t-elle écrit, lançant à la coalition tripartite au pouvoir « Je vous vomis ! »
Interrogé par l’AFP, le porte-parole du ministère de l’Intérieur, Khaled Tarrouche, a indiqué que son ministère « n’avait rien à voir » avec la convocation de la jeune femme : « Dans cette affaire, nous nous sommes comportés comme il fallait (…). Les trois agents ont été arrêtés tout de suite ». Depuis l’arrivée au pouvoir des islamistes d’Ennahdha après la révolution, plusieurs ONG tunisiennes dénoncent le comportement de la police à l’égard des femmes, qui seraient régulièrement harcelées pour leur tenue vestimentaire ou lors de sorties nocturnes sans un homme de leur famille.
Harcèlement des femmes
Khaled Tarrouche a cependant assuré que les agressions de femmes par des policiers étaient des cas « isolés ». « Il ne faut pas y voir quelque chose d’organisé ou de généralisé », a-t-il dit. « Les policiers sont aussi des citoyens avant tout et lorsqu’ils commettent des fautes, on applique la loi sans équivoque ». Les femmes tunisiennes bénéficient du statut le plus moderne du monde arabe depuis la promulgation du Code de statut personnel (CSP) en 1956 instaurant l’égalité des sexes dans plusieurs domaines, mais elles restent discriminées dans certains autres comme les héritages.Les islamistes d’Ennahdha avaient déclenché un large mouvement de contestation en août en proposant d’inscrire dans la nouvelle Constitution la « complémentarité » des sexes et non l’égalité. Ce projet de texte a été abandonné lundi. Pour lui, la procédure lancée à leur encontre vise purement et simplement à faire pression sur eux pour les « inciter à retirer leur plainte contre les policiers ».
Source : https://www.lepoint.fr/monde/tunisie-violee-et-accusee-d-atteinte-a-la-pudeur-27-09-2012-1510739_24.php?xtor=EPR-6-[Newsletter-Quotidienne]-20120927