Les Tunisiens qui continuent vaille que vaille une transition démocratique difficile assistent, choqués, à l’ébauche d’une guérilla djihadiste. Pour un pays qui vit en partie du tourisme, cela constitue une grande calamité économique.
Les forces de sécurité tunisiennes tentent de venir à bout d’un groupe terroriste au mont Chaambi, dans l’ouest du pays et non loin de la frontière avec l’Algérie. Les Tunisiens qui continuent vaille que vaille une transition démocratique difficile assistent, choqués, à l’ébauche d’une guérilla djihadiste. Pour un pays qui vit en partie du tourisme, cela constitue une grande calamité économique. Certes – et l’argument est évoqué – la Tunisie est touchée par un phénomène djihadiste qui a tendance à se dupliquer dans les pays arabo-musulmans.
Ennahda, le parti qui domine le gouvernement, ne peut être accusé des faits commis par des salafistes djihadistes dont les chefs ont eu une «expérience» en Afghanistan et en Irak. C’est un fait. Par contre, on peut au moins lui reprocher d’avoir fait preuve d’angélisme – pour ne pas dire davantage – dans son rapport avec les salafistes. Quand un parti accède à la gestion et dirige le gouvernement, cet angélisme n’est pas de mise. Or, il était évident que les actions contre les libertés – rencontres artistiques notamment – menées par les salafistes tunisiens au nom de leur vision particulièrement bornée devaient être très fermement combattues par les moyens de la loi. Elles commandaient aussi que les dirigeants d’Ennahda qui se veulent partie prenante d’une Tunisie de démocratie soient sans équivoque au niveau idéologique. Et sur ce terrain, ils n’ont pas été à la hauteur.
Les comportements agressifs et violents contre les libertés se nourrissent souvent de la faiblesse de la réponse des autorités en charge de la mission de faire respecter la loi. Les salafistes tunisiens sont ultra-minoritaires mais leur «présence» médiatique est énorme. Ils ont réussi à peser lourdement sur le climat politique donnant des arguments inespérés aux tenants de l’ancien régime et à ceux qui ne s’accommodent pas du résultat des urnes. Le gouvernement tunisien de la transition n’avait pas à faire usage de la répression aveugle sur le mode de Ben Ali, mais il était de son devoir de faire respecter la loi qui protège les gens et assure au minimum un vivre-ensemble dans le respect des différences. Rached Ghannouchi continue de botter en touche quand il affirme, en parlant des salafistes, qu’on ne peut arrêter les gens qui «défendent des idées» et ne recourent pas à la violence. Ce qui s’est passé dans plusieurs affaires n’avait rien à voir avec l’expression des idées, c’était des actes de violence caractérisés. Même un rassemblement de soutien aux Palestiniens a été attaqué.
La Tunisie démocratique doit admettre que toute défaillance dans l’application de la loi est coûteuse. «Il n’y a aucune justification de la violence après la Révolution », a déclaré Ghannouchi. C’est juste. Y compris avant l’attaque de l’ambassade américaine en septembre dernier, événement qui a semblé déciller les yeux des dirigeants d’Ennahda. C’était valable tout le temps… même avant l’apparition de ces «maquis» islamistes. Dans le cas tunisien, il y a eu en plus une erreur d’appréciation au sujet du phénomène de recrutement de jeunes Tunisiens pour le «djihad» en Syrie. Les filières qui passent aussi bien par Benghazi qu’Istanbul n’agissaient pas en sous-marins. Elles exerçaient pratiquement au grand jour profitant ainsi de la sympathie et du soutien politique du gouvernement tunisien. La naïveté a été de croire qu’un flux de «djihadistes» vers la Syrie n’aurait aucun effet boomerang. Comme si l’histoire récente de l’Afghanistan à l’Irak ne constituait pas un avertissement éloquent.
Le Quotidien d’Orna
11 mai 2013