Mais à quoi joue donc le chef du gouvernement et pourquoi se joint-il à deux des principaux symboles de l’ancien régime, à savoir Hédi Baccouche et Hamed Karoui ?
Le dîner du dimanche 2 septembre a fait couler de l’encre et en a surpris plus d’un. Aussi bien les anciens RCDistes que les membres et sympathisants d’Ennahdha.
La présence de Hamadi Jebali, chef du gouvernement, au même dîner que deux anciens premiers ministres de Ben Ali a en effet de quoi surprendre, surtout que le timing du dîner coïncide avec la campagne Ekbess, menée par des proches d’Ennahdha et où l’on demande au gouvernement d’écarter les corrompus et les anciens RCD de la scène publique. Éclairages…
C’est un dîner organisé par une association de bienfaisance dirigée par Néjib Karoui, fils de Hamed Karoui, ancien Premier ministre de Zine El Abidine Ben Ali et, longtemps, premier vice-président du RCD. Un dîner organisé à Sousse en présence d’hommes d’affaires et de figures connues de cette région du Sahel qui a enfanté l’essentiel des dirigeants tunisiens depuis des décennies, y compris, bien entendu, durant les 23 ans de pouvoir de Ben Ali. Cette même région qui a enfanté Hamadi Jebali.
L’information a surpris et a déclenché la risée des anti-Ennahdha et la colère des Nahdhaouis.
Mais à quoi joue donc le chef du gouvernement et pourquoi se joint-il à deux des principaux symboles de l’ancien régime, à savoir Hédi Baccouche et Hamed Karoui ?
Et ce n’est pas une première, plusieurs autres figures de l’ancien régime ont été appelées au secours de l’actuel gouvernement dont les membres disent, devant leurs troupes, mener une bataille contre ces mêmes figures ayant confectionné et gravité autour du système Ben Ali.
Le dîner en question est, comme indiqué plus haut, organisé par une association de bienfaisance. L’objectif étant de collecter des fonds au profit de nécessiteux et on a réussi à ramasser plusieurs dizaines de milliers de dinars.
C’est à ce titre que le chef du gouvernement était présent et c’est à ce titre que les deux anciens premiers ministres l’étaient également. Précision importante, les deux anciens dirigeants et l’actuel chef du gouvernement n’étaient pas assis à la même table, comme suggéré au conditionnel précédemment, ils se sont juste salué avant de s’asseoir chacun de son côté à sa table.
Mais au-delà de l’organisation de ce dîner, hautement significative et marquée par la présence d’un nombre d’hommes d’affaires dont certains sont réputés avoir eu maille à partir avec l’ex-RCD, des questions se posent avec insistance sur le pourquoi de ces appels du pied, de plus en plus publics, faits par Ennahdha à l’ancien parti de Ben Ali ?
La première raison serait, selon les analystes, la prise de conscience de cette importante frange de la population dont le poids pourrait s’avérer décisif lors de la prochaine échéance électorale.
Or, les ex-RCDistes, qui n’ont rien à se reprocher sur le plan judiciaire, semblent constituer une source au sein de laquelle puisent les dirigeants du parti qui monte, Nidaa Tounes. C’est donc, dans l’esprit de priver Nidaa Tounes de profiter de ce gisement humain qu’Ennahdha, aidé par sa détention actuelle du pouvoir, tente d’amadouer les anciens RCDistes.
Le parti islamiste sait parfaitement et mieux que quiconque l’avantage de l’action sur le terrain et de proximité pour mieux convaincre le commun des citoyens. Pour le scrutin du 23 octobre 2011, le parti Ennahdha était le seul à profiter des atouts du travail sur le terrain. Aujourd’hui, les donnes ont changé avec l’avènement de Nidaa qui risque fort de lui disputer, voire neutraliser cet éventuel avantage.
Le parti islamiste sait, parfaitement, que l’ex-RCD disposait d’une véritable machine, de mécanismes efficaces et d’une grande capacité de propagande et de mobilisation, même dans les zones les plus reculées du pays. Et ayant le sens du pragmatisme, Ennahdha aimerait bien en profiter de ces franges de la société qui, logiquement, seraient plus proches, voire plus enclins à adhérer à Nidaa Tounès.
Ainsi et malgré le risque réel d’être traité d’user d’un double langage, Ennahdha se trouve contraint de dire la chose et son contraire. En effet, d’un côté, il crie haut et fort qu’il s’oppose catégoriquement à tout retour des « forces réactionnaires qui tirent vers le passé tyrannique, des symboles du régime dictatorial de Ben Ali ».
Et de l’autre, il s’est rallié – et tente de se rallier encore – à nombre de figures réputées très proches voire carrément impliquées avec l’ancien régime, qui se retrouvent à des hauts postes de responsabilité dans plusieurs secteurs sensibles dont notamment, les finances, l’information, la magistrature et l’administration et autres cabinets de certains départements ministériels.
Les cas les plus frappants étant les nominations controversées à la tête de la Banque centrale de Tunisie et de deux organes phares de l’information, sans oublier les hommes d’affaires qui soutiennent, en catimini, le parti islamiste.
C’est dire que l’importance de s’attirer les faveurs de ces « bannis d’hier » a amené Ennahdha à courir le risque de se discréditer auprès de ses partisans et de l’opinion publique.
L’autre facteur expliquant le rapprochement entre le parti au pouvoir et certains barons – politiciens et homme d’affaires – de l’ex-RCD serait, selon des observateurs, une reconnaissance de dette envers ceux qui avaient contribué à les libérer des prisons ou les avaient aidés matériellement. Certains noms de ces « bienfaiteurs » au profit des Nahdhaouis, lors des années de braise comme ils se plaisent à les appeler, sont bien connus et on les voit agir publiquement comme des partisans du groupe de Ghannouchi.
Ce nouvel état des lieux et cette nouvelle vision envers les anciens RCDistes, conduiraient-ils les CPRistes, conduits par le couple Abbou, à enterrer définitivement leur projet de loi interdisant toute activité politique, notamment lors des toutes prochaines échéances électorales, à tous ceux ayant servi à des postes de responsabilité au sein de l’ex-RCD et aux différents gouvernements de Ben Ali ?
On attend les éclaircissements et les positions des auteurs de ce projet de loi. Auront-ils le courage de défier leurs maîtres d’Ennahdha ?
Noureddine HLAOUI
Business News (4 septembre 2012)