La voie de l’apaisement, du dialogue et de la réconciliation est probablement la seule voie porteuse pour la Tunisie, surtout à quelques mois des élections. Il reste à savoir si la classe politique tunisienne pourra se rendre compte à temps, qu’en démocratie, la politique n’est pas « un jeu à somme nulle. »
À première vue, le climat politique en Tunisie semble plus propice au dialogue et aux compromis ces derniers temps. En effet, les observateurs à Tunis constatent une certaine « accalmie », et ce depuis environ deux semaines. La cessation des « hostilités politiques » a coïncidé avec la formation d’un nouveau gouvernement, certes dirigé par un islamiste, l’ancien ministre de l’Intérieur Ali Laraiedh, mais comprenant des personnalités réputées « politiquement neutres » à la tête des ministères de souveraineté – l’Intérieur, la Justice et les Affaires étrangères.
Autre facteur d’apaisement a été vraisemblablement la secousse occasionnée par l’assassinat du dirigeant gauchiste Chokri Belaid. Suite à cet attentat sans précédent depuis la révolution, la classe politique tout entière semble avoir pris conscience du risque d’effondrement de l’État. Face à l’abîme, la classe politique a fait marche arrière.
Ce n’est pas d’ailleurs fortuit que l’une des premières mesures prises par M. Ali Laraiedh était de demander à ses ministres de limiter leurs interventions médiatiques aux questions qui sont de leur ressort. Cette mesure a réduit les tensions causées par les polémiques intempestives sur les plateaux de télévision et « modéré » le ton des débats politiques.
L’apaisement relatif des esprits sur la scène politique a rendu possible certaines initiatives, encore timides, de recentrage politique. Comme cela a été démontré à l’occasion du vote de confiance par l’Assemblée Constituante au sujet du gouvernement Laraiedh, la position du parti « El Moubadra » (l’Initiative), formation néo-destourienne dirigée par l’ancien ministre des affaires étrangères Kamel Morjane, a ainsi évolué de l’opposition systématique au gouvernement au « soutien critique ».
Le principal parti de l’opposition, « Nida Tounes » (Appel de Tunisie), ne semble pas se démarquer de son « opposition fondamentale » aux islamistes, influencé en cela en grande mesure par les penchants des ténors de gauche au sein de son comité directeur. La polarisation entre les deux camps « d’Ennahdha » et de « Nida Tounes » semble cependant moins marquée ces derniers jours.
Le week-end dernier a été ainsi l’occasion d’un spectacle inédit dans une salle de conférences à Tunis : Rached Ghannouchi écoutant pendant une vingtaine de minutes son rival Beji Caid Essebsi, dirigeant de la formation laïque « Nida Tounes ».
Les chemins des deux dirigeants s’étaient croisés lors d’un panel organisé par le centre de la démocratie, du développement et de l’État de droit à l’université californienne de Stanford, qui tenait sa quatrième conférence annuelle à Tunis.
Au cours de la semaine écoulée, Taieb Baccouche, le numéro deux de « Nidaa Tounes », a aussi partagé le podium avec le même Rached Ghannouchi et ce lors d’une autre conférence internationale à Tunis.
Est-ce l’amorce d’un dialogue politique ou d’un processus de réconciliation nationale ? C’est certainement prématuré de prétendre que c’est déjà le cas. Il est plus réaliste par contre de parler de début de décrispation entre les deux camps « laïc » et « islamiste », en vue du lancement d’un débat politique sans exclusive. Malgré l’opposition des « ultras » du parti « Wafa », alliés « d’Ennahdha », le principal parti islamiste dit ne plus avoir d’objection à la participation de « Nida Tounes » à tout dialogue politique.
Autre signe de décrispation est le nouvel intérêt du leadership « d’Ennahdha » pour la « réconciliation nationale ». Bien que nécessaire pour la réussite de la transition démocratique, cet objectif était devenu quasiment tabou au cours des derniers mois. Ceux qui le prônaient naviguaient à contre-courant étant donné la recrudescence des tensions et des suspicions. Récemment, le ministère de la justice transitionnelle et des droits de l’homme manifestait son intérêt pour l’expérience sud-africaine en matière de « commission de vérité et de réconciliation »
« Nous ne souhaitons pas qu’il y ait de nouvelles victimes ou de nouvelles tragédies, » déclarait la semaine dernière Rached Ghannouchi, citant parmi ses objectifs pour la prochaine étape : « l’établissement d’un dialogue national réunissant tous les Tunisiens et la réalisation dans un prochain avenir d’une réconciliation nationale globale qui tournerait définitivement la page de la dictature avec ses maux et ses souffrances… ». Il indiquait toutefois qu’il « n’y a pas lieu de tourner la page avant que les plaies ne soient assainies, que ceux qui ont commis des erreurs reconnaissent leurs erreurs et s’excusent auprès du peuple tunisien ».
Un important pas psychologique aura été ainsi franchi. Les analystes tunisiens s’accordent à dire que la première étape de cette réconciliation bénéficiera probablement aux hommes d’affaires actuellement interdits de voyage. Lever cette interdiction qui restreint leurs mouvements aurait certainement un impact positif sur le climat d’affaires et ouvrirait la voie à d’autres étapes dans le processus de réconciliation nationale. « J’espère que la crise des hommes d’affaires sera résolue de même pour la situation des hauts responsables de l’État, et ce pour que l’on puisse tirer profit de leur compétence sans considération de leur appartenance… », déclarait récemment M. Morjane.
La voie de l’apaisement, du dialogue et de la réconciliation est probablement la seule voie porteuse pour la Tunisie, surtout à quelques mois des élections. Il reste à savoir si la classe politique tunisienne pourra se rendre compte à temps, qu’en démocratie, la politique n’est pas « un jeu à somme nulle ».