En cette période anniversaire, des hommes et des femmes manifestent encore leur colère au cœur de la capitale, le mercredi, comme tous les mercredis depuis un an. Le grand rassemblement du 6 février à l’appel du Parti des patriotes démocrates unifiés (WATAD) et du Front populaire aura rappelé aux nouvelles autorités, si besoin est, que les démocrates tunisiens n’ont rien perdu de leur volonté d’instaurer une véritable démocratie dans leur pays.
Un an après l’assassinat du démocrate tunisien leader du Parti des patriotes démocrates unis, Chokri Belaïd, sa famille exige toujours des autorités qu’elles fassent toute la lumière. Et ce, après l’annonce de la mort d’un des assassins présumés par le ministre de l’Intérieur, Lotfi Ben Jeddou. En effet, Kamel Gadhgadh aurait été tué avec sept autres islamistes pendant le siège du quartier Raoued, dans le nord de la capitale, qui a duré une vingtaine d’heures.
Chokri Belaïd, représentant charismatique de la gauche anti-islamique et opposé au parti Ennahada alors au pouvoir, avait était froidement abattu à l’extérieur de son domicile le 6 février 2013. Cet assassinat avait été suivi, cinq mois plus tard, de celui du député et leader d’opposition Mohamed Brahmi, également coordinateur du Front populaire. C’était le 25 juillet 2013, jour de la fête de la République. Les deux assassinats avaient été attribués au groupe salafiste Ansar al-Sharia.
« C’est le plus beau cadeau que nous pouvions faire aux Tunisiens », a déclaré Lotfi Ben Jeddou, en ce jour d’anniversaire tragique. Pour Abdelmajid Belaïd, « Tuer un homme n’est pas un cadeau ». « Nous ne voulions pas que Gadhgadhi soit tué et nous ne fêtons certainement pas sa mort. Nous voulions qu’il soit jugé normalement » a-t-il déclaré en soulignant qu’il ne pouvait pas garder ce présent. Les familles des deux victimes dénoncent, par ailleurs, la présence dans le nouveau gouvernement, de Lotfi Ben Jeddou qui était déjà ministre de l’Intérieur dans le gouvernement islamiste précédent de Larayedh.
Alors que l’enquête n’est toujours pas terminée, la famille Belaid n’est, comme de nombreux autres Tunisiens, pas convaincue de la version officielle assénée avec beaucoup de certitude. Elle continue de demander la vérité. « Gadhgadhi n’était pas seul. Il y a d’autres personnes impliquées et nous espérons qu’elles seront arrêtées afin que soit faite toute la vérité », a encore déclaré Abdelmajid Belaïd au nom de sa famille. De son côté, la députée à l’Assemblée nationale constituante, Karima Souid, a accusé le ministre de l’Intérieur de se prêter à « une mascarade et une tromperie ».
L’assassinat de Chokri Belaïd avait provoqué la colère en Tunisie et dans la communauté internationale. Le jour de ses obsèques, la Tunisie était touchée par une grève générale d’ampleur, l’armée se déployait dans la capitale, une foule immense envahissait les rues et la route menant au cimetière. Mais plus encore, cet assassinat devait être le déclencheur d’une crise violente.
Pour tous, y compris le président d’alors, Moncef Marzouki, il s’agit, bien sûr, d’un assassinat politique. Pour un grand nombre, le mouvement démocratique dans son ensemble, entre autres, c’est le pouvoir et Ennahda qui en portent la responsabilité. L’ampleur de la colère est telle que le Premier ministre, Hamadi Jebali se voit obligé de tenter de former un nouveau gouvernement de consensus. Il échoue et démissionne. Un autre dirigeant d’Ennahda, Ali Larayedh prend le relai, le parti islamiste reste au pouvoir.
La crise tunisienne s’amplifie, l’assassinat de Mohamed Brahmi intervient, attisant encore les flammes du conflit. Plusieurs dizaines de députés se retirent de l’Assemblée et ne participent plus à ses travaux, entrainant à leur suite un mouvement populaire exceptionnel. Des foules occupent la place de l’Assemblée constituante pendant plusieurs mois pour exiger le départ du gouvernement et une accélération dans la rédaction de la Constitution. Rien n’avance.
Un déblocage de la situation est rendu possible par la médiation de quatre organisations, l’UGTT, le syndicat patronal, la Ligue tunisienne des droits de l’Homme, l’ordre des Avocats. L’accord trouvé en octobre, s’il n’est pas totalement satisfaisant pour l’opposition, oblige néanmoins Ennahda à reculer. En janvier, finalement, la nouvelle Constitution est mise en place, un nouveau Premier ministre, Mehdi Jomaâ, prend ses fonctions, en principe jusqu’aux élections qui devraient se tenir en 2014, et forme avec une grande difficulté un gouvernement dont le caractère « indépendant » est immédiatement contesté. Mehdi Jomaâ, lui-même, avait été appelé comme ministre de l’Industrie par Ali Larayedh. Pratiquement inconnu du grand public, cet ingénieur qui a fait carrière dans le secteur privé, est, lui aussi, présenté comme une personnalité indépendante. Il aura en tout cas réussi à faire l’unanimité – moins une voix, celle du parti Nidaa Tounès qui boycottait le vote – de 21 partis présents aux négociations.
En cette période anniversaire, des hommes et des femmes manifestent encore leur colère au cœur de la capitale, le mercredi, comme tous les mercredis depuis un an. Le grand rassemblement du 6 février à l’appel du Parti des patriotes démocrates unifiés (WATAD) et du Front populaire aura rappelé aux nouvelles autorités, si besoin est, que les démocrates tunisiens n’ont rien perdu de leur volonté d’instaurer une véritable démocratie dans leur pays.
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