D’une seule voix, jeunes, vieux, hommes, femmes, voilées ou non, reprennent les slogans de la révolution : « Le peuple veut faire tomber le régime », « Le peuple tunisien n’est pas à humilier. Ghannouchi, t’es un lâche ».
Devant le ministère de l’Intérieur, avenue Habib-Bourguiba, la foule s’est amassé. Des camions et des policiers casqués protègent l’édifice. Sifflets, cris, les mains en l’air, plusieurs milliers de manifestants hurlent « Dégage », comme ils l’avaient fait deux ans plus tôt, lors du soulèvement qui avait entraîné la chute de Ben Ali. D’une seule voix, jeunes, vieux, hommes, femmes, voilées ou non, reprennent les slogans de la révolution : « Du pain et de l’eau, l’État d’Ennahdha », « Le peuple veut faire tomber le régime », « Le peuple tunisien n’est pas à humilier. Ghannouchi, t’es un lâche ». L’air est saturé de gaz lacrymogène, des manifestants se protègent le nez et les yeux. Dans les rues adjacentes de l’avenue Bourguiba, des manifestants s’en prennent à coup de pierre aux policiers qui répliquent par des tirs de lacrymos. Ce matin, mercredi 6 février, à 8 heures du matin, Chokri Belaïd, opposant au gouvernement actuel, un des leaders du Front populaire (nouvelle formation politique rassemblant les partis de gauche) et chef du Parti des patriotes démocrates, a été assassiné alors qu’il sortait de son domicile dans le quartier de Menzah 6. Deux hommes à moto se sont portés à sa hauteur alors qu’il s’apprêtait à monter dans un taxi. Le passager de la moto a tiré quatre coups de feu. Puis la moto a pris la fuite. »Le parti au pouvoir [Ennahda, NDLR] a créé une atmosphère de violence qui justifie les agressions contre les politiques et la société civile », dénonce Naceur Laouini, avocat et militant. Samedi après-midi, le congrès régional du Parti des patriotes démocrates, qui se tenait au Kef, dans le nord-ouest, a été attaqué par des personnes que le parti a identifiées comme des islamistes. Ces derniers mois, d’autres meeting politiques ont été pris pour cible, comme celui de Nida Tounes, formation politique créée en 2012 et dirigée par Béji Caïd Essebsi, ancien Premier ministre de transition, à Djerba. Un des membres de ce parti a été lynché à Tataouine en octobre par des membres des Ligues de protection de la révolution, accusées par l’opposition d’être des « milices d’Ennahda ». Béji Caïd Essebsi avait alors dénoncé le « premier assassinat politique depuis le révolution ». À la clinique Ennasr, dans la banlieue chic au nord du Tunis, une foule s’est rassemblée. Des figures politiques sont aussi présentes. Les universités et les écoles se sont vidées de leurs étudiants. L’ambulance qui transporte le corps de Chokri Belaïd se dirige vers l’avenue Bourguiba suivie par une foule de manifestants. Tous pointent du doigt Ennahda, le mouvement islamiste, alors que l’enquête se poursuit. »En assassinant Chokri Belaïd, c’est comme s’ils nous avaient tous tués. Je n’ai pas voté pour eux l’an dernier [le 23 octobre 2011, NDLR], mais ils me représentent personnellement », déclare Erige, 27 ans, au chômage. « On veut la démission du gouvernement, du ministre de l’Intérieur, du ministre de la Justice. Ils ont perdu la bataille. Je ne suis pas avec la gauche, mais dès aujourd’hui je suis avec eux. C’est un combat qu’on doit tous mener », lance de son côté Tahri. « Il y a des personnes en Tunisie qui veulent entraîner le pays dans la guerre civile. Ils commencent déjà à accuser les salafistes, mais ce ne sont pas eux. Ce n’est pas vrai. » Chokri Belaïd sera enterré demain au cimetière Jallaz.