Avec de tels « amis », le peuple syrien n’a plus besoin d’ennemis !
Menaces et sanctions : c’est ce cocktail familier qui était au programme du sommet dit des « Amis de la Syrie « réuni ce vendredi à Tunis sous la triple autorité des États-Unis, de la France et du Qatar, sainte alliance, en quelque sorte, du sabre atlantiste et du goupillon islamiste.
Hillary menace, Alain aussi
Les travaux de cette conférence ont débuté, comme il se doit, par une « mise en garde » adressée à Bachar al-Assad d’Hillary Clinton qui, en tant qu’ancienne gauchiste des sixties devenue néo-conservatrice du troisième millénaire, symbolisait bien ce que sont aujourd’hui les élites dirigeantes occidentales, d’un rivage à l’autre de l’Atlantique. Le régime syrien, a averti Miss Clinton, « paiera le prix fort s’il continue d’ignorer la voix de la communauté internationale et de violer les droits de l’homme » Et, à défaut de pouvoir bombarder Damas, le chef de la diplomatie du pays qui « a ensanglanté l’Irak, l’Afghanistan, la Serbie et plus récemment la Libye », a envisagé d’infliger des « interdictions de voyage aux hauts responsables du régime », assorties d’une vague de fermetures d’ambassades et de consulats occidentaux en Syrie.
Soit. Bachar et ses ministres n’iront probablement jamais à Las Vegas ou au sommet de la Tour Eiffel, et ne seront pas reçus de sitôt par la reine d’Angleterre, ils s’en consoleront sans doute. Un peu plus grave est le resserrement du blocus économique et financier contre le pays, mais l’expérience montre qu’il en faut un peu plus pour faire plier une nation, et il peut y avoir pour la Syrie des partenariats économiques alternatifs.
Fidèle au créneau du bellicisme, le Qatar, épaulé pour la circonstance par la nouvelle Tunisie sous influence islamiste, a voulu revendre sa déjà vieille proposition de déploiement d’une « force arabe de maintien de la sécurité ». Mais Alain Juppé, un peu plus réaliste qu’à l’accoutumée, a quand même rappelé qu’un éventuel déploiement de casques bleus arabe était subordonné au feu vert du Conseil de sécurité, pour ne pas parler de celui du gouvernement syrien. Le chef de la diplomatie saoudienne, le prince milliardaire Saoud al-Fayçal, a essayé quant à lui de placer son idée d’armement immédiat de l’opposition syrienne, pourtant déjà assez bien équipée par les soins des pétromonarchies, du clan Hariri et de la Turquie. Il s’est ouvert notamment de ce projet à Hillary Clinton
Sans apparemment noter la contradiction avec les propositions saoudiennes, la Ligue arabe – moins le Liban, absent de cette pantalonnade tunisienne – a réclamé un cessez-le-feu en Syrie. Pour le coup, on se demande sur quel pied dansera Nabil al-Arabi, patron administratif de la Ligue arabe, quand celle-ci sera sous présidence irakienne, à la fin du mois prochain…
Perroquet – ou remora – d’Hillary Clinton, Alain Juppé a appelé lui aussi à renforcer les sanctions pour faire « plier » Damas, et a promis de nouvelles « mesures fortes « dès le lundi 27 février, lors de la réunion à Bruxelles des chefs de la diplomatie dite européenne, avec notamment le gel des avoirs européens de la Banque centrale de Syrie.
Le co-meneur de la récente guerre de Libye, qui a fait quelques dizaines de milliers de morts, a accusé le pouvoir de Damas, « crédité » selon des bilans invérifiables de 5 000 à 6 000 victimes, de « crimes contre l’humanité » : ça fait toujours genre.
Faux amis de la Syrie et communauté internationale croupion
Car, au fond, ce qui caractérise ce sommet des faux « Amis de la Syrie », c’est l’incantation, corollaire d’une certaine impuissance. Hillary Clinton évoquait la « communauté internationale » : elle était, ce vendredi à Tunis, amputée de deux éléments d’un certain poids, la Russie et la Chine, sans parler de l’Iran, et cette absence condamnait à l’avance les incantations et gesticulations de Tunis.
Dans ce festival de menaces, il revenait à l’hôte tunisien, le président crypto-islamiste Moncef Marzouki, d’agiter une dérisoire promesse d’immunité pour Bachar al-Assad et sa famille s’il avait la bonté de quitter le pouvoir.
À défaut de pouvoir contraindre Bachar à faire ses valises, le sommet a, comme prévu, accordé son onction au CNS contrôlé par le gouvernement turc et les Frères musulmans : cette structure radicale et exilée a donc été reconnue comme « un représentant légitime des Syriens qui cherchent un changement démocratique pacifique ». Pas mal pour des gens qui travaillent avec les terroristes de l’ASL. Pas mal mais pas assez : le CNS, figurez-vous, est reparti déçu de Tunis. Tout comme les Saoudiens dont le plan d’armement immédiat et massif des opposants n’a apparemment pas été assumé par les autres participants. Puisqu’on parle de l’« opposition syrienne « rappelons qu’une partie notable de celle-ci, le CCCND d’Hayssam Manna, avait refusé d’assister aux travaux du sommet, contestant la représentativité et les positions du CNS.
Vrais et faux Arabes
La Syrie a qualifié ce non événement très médiatisé qu’était le sommet des « Amis de la Syrie » de réunion des « ennemis de la Syrie » et des « amis des États-Unis et d’Israël » : il nous semble que les autorités syriennes cernaient là d’assez près la réalité.
On signalera, à l’extérieur de l’enceinte, à l’ouverture de la rencontre, une petite manifestation de plusieurs dizaines de Syriens et de Tunisiens opposés à la dérive atlantiste de leur pays et à cette énième trahison de la cause de l’indépendance et de la dignité arabes. Les manifestants, très remontés, criaient des slogans assez bien adaptés aux circonstances : « Non au congrès des ennemis de la Syrie et des ennemis de la nation arabe ! » ou encore « À bas le congrès des intérêts américains et sionistes ! » Ils ont tenté de forcer l’accès du grand hôtel où se tenait ce véritable « Congrès de Vienne » de l’atlantisme méditerranéen, mais en ont très vite été empêchés par les forces de l’ordre. Ils avaient cependant eu le temps de sauver un peu de l’honneur de la Tunisie, voire de la cause arabe.