Les coupes drastiques dans l’aide à la Tunisie prévues par la requête de budget de l’administration Trump pour l’exercice fiscal 2018 envoient un message décevant pour ce petit pays nord-africain qui s’efforce de protéger son expérience démocratique contre les menaces du terrorisme et de l’instabilité.
La requête budgétaire prévoit en effet de diminuer l’aide sécuritaire à la Tunisie de plus de 80%, soit la réduire de 82 millions de dollars au cours de l’exercice fiscal 2016 à 15 millions de dollars pour l’exercice fiscal 2018, et d’atrophier l’assistance économique du tiers.
S’il est peu probable que la requête de budget de l’administration Trump puisse résister à l’épreuve du législatif, il n’en demeure pas moins que pour la Tunisie, qui est constamment en première ligne du combat contre l’extrémisme, ces propositions budgétaires sont peu encourageantes.
Dans la mémoire collective des Tunisiens demeure incrustée l’image des Etats-Unis prodiguant, dès l’aube de l’indépendance, leur soutien au programme national d’alimentation scolaire ainsi que d’autres formes d’aide au développement.
Pour sa part, la Tunisie n’a nullement hésité pendant les années 60 à prendre le parti des Etats-Unis au cours de la Guerre Froide ou à prôner courageusement un règlement pacifique du conflit arabo-israélien.
La Tunisie a bien fait du chemin depuis. Elle a, certes, connu, à travers les années, nombre de transformations mais elle a constamment été fidèle à la voie de la modération et de l’ouverture sur le monde. Depuis environ six ans, la Tunisie a mis fin à des décennies de gouvernement autoritaire.
A la faveur d’une politique de concertation fondée sur la recherche de compromis et qui a valu, en 2015, à un groupe d’activistes tunisiens le Prix Nobel de la Paix, les dirigeants politiques et les acteurs de la société civile ont pu convenir, deux ans plus tard, d’une feuille de route qui a mis sur les rails une expérience démocratique unique en son genre dans le monde arabe.
Cependant, la mise en place d’une démocratie stable et pérenne requiert en premier lieu de trouver des solutions aux problèmes socio-économiques qui avaient fait jaillir l’étincelle du soulèvement populaire de 2011. Cela nécessite aussi l’instauration d’un climat de sécurité et de stabilité, qui demeure fragile.
Depuis 2011, la crise en Libye voisine a fait naître des risques sécuritaires évidents pour la Tunisie. Face au vide du pouvoir qui a permis l’exploitation du vaste territoire libyen pour le trafic d’armes et l’entraînement des terroristes, les Tunisiens n’ont épargné aucun effort pour sécuriser les frontières longues de près de 450 kilomètres avec leur voisin du sud.
Plus d’une fois, des extrémistes tunisiens se sont infiltrés à partir de la Libye pour perpétrer des actes terroristes en Tunisie, dont les attentats contre des touristes étrangers au Musée du Bardo et dans la station balnéaire de Sousse, au cours de l’année 2015.
Un an plus tard, des dizaines de membres de Daech ont tenté de s’implanter dans la localité de Ben Guerdane, proche de la frontière avec la Libye. Leur tentative fut avortée par les forces de sécurité et la police locale, avec la participation active de la population. Lors de cet épisode, les Tunisiens on démontré à quel point ils sont déterminés à assumer leur responsabilité dans le combat mené par leur pays contre le terrorisme, offrant au monde à cette occasion une leçon sur la manière de combattre et de vaincre Daech.
Mais la Tunisie se trouve contrainte d’utiliser une grande partie de ses ressources limitées pour assurer la sécurité de ses frontières et mettre en œuvre d’autres mesures en matière de lutte contre le terrorisme, ressources qui auraient dû être allouées aux projets de développement et de la reprise économique.
Les extrémistes, tels ceux qui ont mené les attaques contre Le Bardo, Sousse et Ben Guerdane, ont montré qu’ils sont décidés à porter préjudice à la Tunisie. S’ils éprouvent une telle animosité à l’égard de ce pays à majorité arabo-musulmane, c’est justement parce que les Tunisiens sont attachés aux mêmes idéaux de démocratie et de modernité que les Américains entendent promouvoir dans le Monde arabe. Le pire cauchemar de ces extrémistes est de voir la Tunisie réussir.
C’est pourquoi il est difficile de comprendre les raisons pour lesquelles les Etats-Unis choisiraient de réduire leur engagement envers la Tunisie en ce moment critique.
Aider la Tunisie importe énormément pour tous ceux qui souhaitent le succès de l’expérience démocratique la plus avancée dans le monde arabe. Ce pays est peut être petit par sa taille géographique, mais sa stabilité et sa croissance sont d’une importance cruciale pour la paix et la prospérité en Afrique et en Europe.
Même du point de vue retour sur investissement, assurer la réussite des efforts de la Tunisie en vue de relever les défis actuels servirait les intérêts sécuritaires occidentaux dans le long terme. Ce serait de toute façon plus rentable que d’essayer de recoller les morceaux si jamais la Tunisie échouait.
Les Tunisiens ont déjà parcouru la partie la plus ardue du chemin. Ils ont établi un système démocratique qui commence à prendre rapidement racine. Ils sont en train d’introduire les réformes socioéconomiques qui s’imposent pour promouvoir la croissance et le progrès. En même temps, ils sont en train d’assumer leurs responsabilités dans la lutte internationale contre l’extrémisme. Cette longue guerre, ils sont convaincus que c’est aussi la leur. Mais il leur faut l’aide et le soutien de l’Occident. La Tunisie a besoin d’être traitée, par les Etats-Unis en particulier, comme le partenaire stratégique qu’elle est effectivement.
* Oussama Romdhani est le rédacteur en chef de The Arab Weekly et ancien haut responsable tunisien.