Il n’y a désormais plus de doute possible sur la direction à prendre.
« Nul n’est plus asservi que celui qui s’imagine à tort être libre » – Goethe
On me demande souvent comment il se fait qu’un ancien dirigeant d’une grande association d’industriels du secteur manufacturier comme moi, qui a milité activement en faveur de la conclusion de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) au début des années 1990, soit désormais si critique à l’endroit de la mondialisation, au point même de souhaiter ardemment le démantèlement de certaines structures de gouvernance internationale et la reprise en main par les États de leur économie.
Soulignons tout d’abord que le contexte n’est plus du tout le même. Un certain nombre d’événements majeurs sont survenus depuis cette époque qui ont complètement modifié la donne. Si certains d’entre eux sont des conséquences de la mondialisation qui pouvaient parfaitement être anticipées, ce n’est pas le cas de tous. Mais il n’y a aucun doute que ces derniers se sont trouvés à amplifier au delà de ce qui pouvait être prévu les effets des premiers.
Pour ma part, j’ai commencé à me poser sérieusement des questions sur ce qui était en train de se passer lorsqu’est survenue la crise du peso mexicain en 1994-1995 . Mais comme j’étais alors en pleine préparation du référendum en tant que ministre délégué à la Restructuration dans le gouvernement Parizeau, je n’eus pas l’occasion de pousser très loin ma réflexion. J’avais toutefois été très surpris de la vitesse avec laquelle une crise locale s’était propagée à l’ensemble du système international pour devenir pour lui un sujet de préoccupation majeur.
Quelques années plus tard, en 1998, dans la foulée de l’effondrement de l’empire soviétique, la crise économique qui sévissait alors en Russie allait déboucher sur une grave crise financière marquée par une dévaluation brutale du rouble et un défaut sur la dette russe. Mais l’élément le plus surprenant allait être la faillite du fonds de couverture « Long Term Capital Management », victime de la course aux liquidités qu’avait déclenchée le défaut sur la dette russe.
Les conséquences avaient été si graves que la FED américaine avait été obligée d’intervenir en catastrophe pour obliger les grandes banques de Wall Street à recapitaliser le fonds pour éviter un éclatement du système financier international, faisant apparaître pour la première fois la possibilité qu’un tel éclatement puisse se produire.
J’en étais alors à m’interroger sur la portée de cet évènement lorsque je tombai en 1999 sur un livre nouvellement paru du grand financier international George Soros, intitulé « The Crisis of Global Capitalism » (paru en français sous le titre « La crise du capitalisme mondial », dans lequel il anticipait même la fin du capitalisme dans une éventuelle implosion, comme ce fut le cas pour le communisme.
Pour justifier sa conclusion, Soros pointe du doigt l’interaction de plus en plus grande des marchés financiers internationaux et la vitesse avec laquelle les mouvements sur les uns se répercutent sur les autres. Cette observation l’amène à faire une analogie entre le marché mondial et le Titanic qui aurait très bien pu ne pas couler par le fond aussi rapidement s’il avait été muni d’un nombre suffisant de compartiments d’étanchéité pour empêcher l’eau qui envahissait ses cales de déstabiliser son assiette.
Les marchés financiers sont devenus le Titanic des temps modernes. Opérant dans un environnement de plus en plus intégré grâce à l’harmonisation des règlementations dans le sens d’une libéralisation toujours de plus en plus grande, au développement des technologies de communication qui permettent de transférer presque instantanément des milliards d’un bout du monde à l’autre, et à la multiplication des entreprises trans-nationales, ils forment désormais un grand marché mondial unique dépourvu de tout équivalant à ces compartiments d’étanchéité qui empêchent un navire de sombrer.
En 2008, au moment de la faillite de Lehman Brothers, George Soros y allait d’une autre prophétie en suggérant qu’il y aurait « beaucoup d’autres mauvaises nouvelles » de ce genre
Mais aussi juste que puisse paraître une analyse, la formation d’une opinion éclairée exige de rechercher des corroborations, préférablement à partir d’une autre perspective.
C’est ainsi qu’en bouquinant chez un libraire quelque part en 2006, je suis tombé sur un ouvrage de John Ralston Saul (surtout connu au Canada pour le fait d’être l’époux de l’ancienne gouverneure-générale Adrienne Clarkson), intitulé « The collapse of globalism and the reinvention of the world », paru en français sous le titre « Mort de la globalisation ».
Saul est un intellectuel humaniste de très haut calibre. Son approche fondée sur l’analyse historique et la philosophie des idées est totalement différente de celle de Soros, et il aboutit à la même conclusion. Voici la description de son ouvrage telle qu’on la retrouve sur son site :
« Il y a trente ans, la globalisation surgissait, balayant tout sur son passage. Ses apôtres, les néolibéraux, proclamaient que ce mouvement était inéluctable et que, pour leur plus grand bonheur, toutes les sociétés seraient désormais organisées autour d’un seul élément : l’économie. Ils nous demandaient de les croire ; nous les avons crus.
En vérité, la globalisation n’était pas une fatalité, mais une idéologie, une théorie expérimentale visant à remodeler simultanément les paysages économique, politique et social. Or, tout montre aujourd’hui que cette idéologie-là est en train de mourir… Dans la lignée des Bâtards de Voltaire, qui provoqua un électrochoc lors de sa sortie, John Saul décrit un monde en transition, où des pays, voire des continents, à la dérive, ont quitté le « navire global » tandis que s’affrontent les économistes, mais où pointent également les idées et les expériences, bonnes ou risquées, qui préparent la société de demain. »
La traduction française du titre rend mal l’original qui parle plutôt d’un effondrement (collapse), donc de quelque chose qui survient progressivement. En anglais, l’emphase est davantage sur le processus que le résultat. Cette distinction est nécessaire car elle nous permet de comprendre que le processus est en cours et qu’il n’est pas encore arrivé à son terme.
Quant à savoir qui étaient les promoteurs et les propagateurs de cette idéologie néo-libérale, certains d’entre eux sont bien connus, comme le banquier David Rockfeller, l’un des fondateurs de la Commission Trilatérale et membre du groupe Bilderberg, qui, dans ses « Mémoires » publiées en 2002 va même jusqu’à faire cet aveu extraordinaire :
« Certains croient même que nous faisons partie d’une conspiration secrète mobilisée contre les intérêts supérieurs des États-Unis. Ils vont même jusqu’à nous traiter, ma famille et moi, d’internationalistes qui complotent ensemble en vue de favoriser l’avènement d’un nouvel ordre économique et politique mondial intégré, un gouvernement unique, si vous voulez. À cette accusation, je plaide coupable, et j’en suis fier. »
L’influence de David Rockfeller et de ses amis, parmi lesquels on retrouve le Canadien Paul Desmarais, est énorme, comme l’a si bien documenté le journaliste d’enquête Daniel Estulin dans un ouvrage intitulé « La véritable histoire du Groupe Bilderberg ». Je vous invite à en lire le compte-rendu sur le site Globalresearch.org/Mondialisation.ca., sous le titre « The True Story of the « Bilderberg Group” and What They May Be Planning Now. Vous allez être sidérés de voir à quel point ils sont parvenus à imposer leur agenda, mais aussi à quel point cet agenda s’est révélé destructeur.
L’agenda de la mondialisation est donc téléguidé depuis le milieu des années 1950 par un groupe de gens très riches qui ont entrepris de conquérir le monde pour satisfaire leur appétit d’enrichissement personnel et leur soif de pouvoir. Ce sont des gloutons, des goinfres, prêts à tout sacrifier, et à sacrifier tout le monde, pour satisfaire leur besoin de richesse et de puissance.
Le choix de cette image de gloutonnerie pour les décrire m’a ramené en mémoire ce film italien culte des années 1970 réalisé par Marco Ferreri, « La Grande Bouffe » , et je comprends aujourd’hui que cette satire féroce sur la décadence des moeurs d’une certaine élite dépravée avait une portée beaucoup plus grande que celle que j’avais pu saisir à l’époque En version plus « light », vous pouvez aussi regarder le montage du film réalisé à l’occasion des 80 ans de Jacqueline Desmarais surimposé sur la trame de ce morceau d’anthologie de Pierre Falardeau qu’est « Le temps des bouffons ». Mais pour être moins caricaturale que dans « La grande bouffe », la goinfrerie dont il est fait étalage n’en demeure pas moins aussi repoussante. Au lieu de rire franchement, on rit jaune.
La grande bouffe :
https://www.youtube.com/watch?v=QiMK4HpG2yg&;feature=player_embedded
Le temps des bouffons
https://www.youtube.com/watch?v=GmDTrjpWVSs&;feature=player_embedded