Soupçonnés d’avoir écoulé des œuvres du Moyen-Orient sur le marché de l’art en France, les suspects interpellés appartiennent à un réseau de professionnels, impliquant des marchands d’art, des experts et des musées internationaux.
Par Le Figaro avec AFP
Coup de filet retentissant dans le milieu feutré du monde de l’art et des antiquaires parisiens: cinq personnes, dont le patron d’une prestigieuse maison de ventes, sont soupçonnées d’avoir participé à un vaste trafic d’antiquités provenant de pays instables du Proche et Moyen-Orient.
Le président de la maison Pierre-Bergé & Associés, un expert de l’archéologie méditerranéenne, une ancienne conservatrice du Louvre, un galeriste parisien réputé de la rive gauche et un marchand d’art: ces cinq personnes ont été interpellées lundi et mardi par les agents de l’Office central de lutte contre le trafic de biens culturels (OCBC), a appris l’AFP de sources concordantes, confirmant une information de RTL.
Ces figures respectées du monde des antiquités à Paris, considérée comme l’une des places fortes mondiales du secteur, sont soupçonnées d’avoir «blanchi» des antiquités et oeuvres d’art volées ou pillées dans plusieurs pays en proie à l’instabilité politique depuis le début des années 2010 et l’émergence du Printemps arabe: Égypte, Libye, Yémen ou Syrie.
Selon des sources proches du dossier, ce trafic aurait concerné des centaines de pièces et porterait sur plusieurs dizaines de millions d’euros.
Les agents de l’OCBC soupçonnent ces cinq personnalités ayant «pignon sur rue» d’avoir maquillé, avec l’aide d’intermédiaires sur place, l’origine et l’histoire de ces œuvres pour les revendre ensuite légalement à des particuliers mais aussi à de grandes institutions culturelles comme Le Louvre Abou Dhabi ou le «Met» de New York. «C’est un très gros dossier qui dépasse largement les frontières hexagonales», a commenté l’une des sources.
En 2019, le prestigieux musée new-yorkais avait déjà dû restituer à l’Égypte un sarcophage datant de 150 à 50 avant J.C, qui avait été volé probablement en 2011, en plein tumulte révolutionnaire dans ce pays. Il avait été acquis pour quatre millions de dollars à un marchand d’art parisien dont l’identité n’avait pas été dévoilée.
À Paris, l’enquête préliminaire qui a conduit au coup de filet avait été ouverte en juillet 2018 et confiée à l’OCBC et l’Office central de répression de la grande délinquance financière (OCRGDF).
Les investigations ont ensuite été transmises le 7 février dernier par la Juridiction nationale chargée de la lutte contre la criminalité organisée (Junalco) du parquet de Paris à des juges d’instruction dans le cadre d’une information judiciaire pour recel de vol en bande organisée, association de malfaiteurs, blanchiment et escroquerie en bande organisée, faux et usage de faux ainsi qu’omission de mention par le vendeur sur le registre des objets mobiliers.
En 2015, le Conseil de sécurité de l’ONU avait adopté une résolution interdisant le commerce des biens enlevés illégalement d’Irak et de Syrie, et imposé à tous les États membres de prendre des mesures pour empêcher ce trafic. Cette résolution assimilait ce trafic au financement du terrorisme.
En Libye, Syrie ou au Yémen, pays encore aujourd’hui déchirés par des conflits armés, la sécurité défaillante a favorisé les fouilles clandestines, le pillage de musées et le trafic d’antiquités. Selon Gilles de Kerchove, coordinateur de l’UE pour la lutte contre le terrorisme, un grand nombre d’antiquités volées en Syrie et en Irak pendant le «califat» du groupe État islamique (EI) ont par ailleurs été cachées dans la région en attendant d’être revendues.
En Égypte, les tentatives de faire sortir clandestinement des antiquités s’étaient multipliées après la chute de Moubarak, lors de la révolte de 2011.