L’institution exceptionnelle définie dans le cadre de la Constitution sud-africaine est attaquée par ceux mêmes qui l’avaient mise en place. Thuli Madonsela la défend sans concession.
Thuli Madonsela, 42 ans, est le « Public protector » d’Afrique du Sud, ou « Protecteur public » et non « médiateur » comme la presse francophone a l’habitude de la nommer. Elle est aujourd’hui la cible d’attaques répétées de la part de l’appareil de l’ANC et du président Zuma lui-même. Son tort, avoir rendu un rapport après enquête enjoignant à Jacob Zuma de rembourser une partie des 18 millions d’euros consacrés à la construction de sa propriété personnelle à Nkandla prélevés sur fonds publics.
L’affaire fait rage depuis mars 2014. Accusée d’abord d’avoir produit un « rapport politique » anti-ANC par Gwede Mantashe secrétaire général de l’organisation et par la ministre Lindiwe Sisulu, attaquée par la Ligue de la Jeunesse de l’ANC, par différents hauts cadres et ministres, accusée d’avoir outrepassé ses prérogatives, menacée, discréditée, poussée à démissionner, Thuli Madonsela tient courageusement tête.
Obligé de se présenter devant le Parlement le 14 août dernier, après avoir réussi à en reculer l’échéance pendant plusieurs mois, Jacob Zuma qui continue de refuser de payer et nie les faits avec une légèreté choquante pour l’opinion publique sud-africaine, avait, entretemps, nommé sa propre Unité spéciale d’investigation. Thuli Madonsela a estimé que le rapport de l’Unité présenté par le président en guise de réponses à ses questions précises n’était pas « satisfaisant ». Elle lui intimait l’ordre, par lettre, le 14 septembre, comme l’y autorise sa fonction, de lui donner des réponses « acceptables ». Accusée d’avoir fait « fuiter » la lettre au président dans les médias – on sait depuis qu’il s’agissait d’un ministre proche de Jacob Zuma – elle eut à nouveau à affronter les persifflages publiques de Gwede Manatashe et autres, comme Jessie Duarte, porte paroles de l’ANC. Mais, soutenue par une équipe solide bien qu’affectée, elle tint bon.
Pour finir, elle fut traitée de « contre-révolutionnaire » et d’ « agent de la CIA » par le vice-ministre de la Défense et des Vétérans de l’ANC, Kebby Maphatsoe, lui même accusé, aujourd’hui, par des anciens militaires de la branche armée de l’ANC, Umkhonto we Sizwe, d’avoir déserté le camp militaire de l’ANC en Ouganda. Ce qu’il reconnaît avoir fait, mais « pour de bonnes raisons ».
L’enjeu de la bataille que mène Thuli Madonsela va bien au-delà de l’affaire de Nkandla. Membre de l’ANC à Pretoria, engagée dans la lutte contre l’apartheid et dans le Front Démocratique Uni, cette avocate qui a toujours refusé tous les postes qu’on lui a proposés au plus haut sommet de l’État, à l’ANC ou comme candidate au Parlement, depuis 1994, s’était consacrée à la défense des syndicats depuis 1980. Ironie de l’histoire, c’est Jacob Zuma qui l’a nommée, en 2009, Protecteur public, avec l’accord unanime de tous les partis représentés au Parlement. Il avait alors déclaré « Madonsela devra garantir que son institution continuera d’être accessible aux citoyens ordinaires et fera son travail sans peur ou favoritisme ».
Institution établie par la Constitution d’Afrique du Sud (chapitre 9, section 182), le Protecteur public est l’un des « gardiens de la démocratie ». Il enquête à partir de plaintes ou de sa propre initiative, à tous les niveaux des gouvernements, national, provinciaux et locaux, dans toutes les structures publiques, paraétatiques ou conseils statutaires et prend les mesures qui s’imposent en toute indépendance. Il ne doit rendre de comptes qu’au Parlement. C’est une des spécificités de la Constitution sud-africaine considérée comme l’une des plus démocratiques au monde.
Dans le contexte de corruption et de mauvaise gouvernance qui gangrènent l’État sud-africain, c’est donc une charge lourde de responsabilités et de risques. Et c’est contre les atteintes portées à cette institution et la volonté aujourd’hui exprimée par le pouvoir et l’ANC d’en limiter les prérogatives que se bat Madonsela, soutenue par la société civile, l’association des juristes sud-africains, la COSATU (confédération des syndicats liée à l’ANC, mais aujourd’hui très contestataire), et un certain nombre de personnalités, y compris au sein de l’ANC. De Mandela, Thuli Madonsela déclarait « Nous l’admirerons toujours pour avoir heureusement soumis son administration à la surveillance de l’équilibre des pouvoirs tels que les tribunaux et les institutions piliers de la démocratie, lorsque ses actes sont mis en cause. »