« Si vous ne savez pas ce que vous allez voir, eux ne savent pas ce qu’ils vont jouer. » Telle est la devise de la troupe d’improvisation théâtrale S’Toon Zoo, établie à Casablanca, au Maroc, qui a vu le jour en 2005. « Le collectif réunit aussi bien des comédiens que des musiciens et techniciens. On est spécialisés dans les spectacles d’improvisation théâtrale en organisant ce qu’on appelle des matchs d’impro », confie le leader du groupe, Youssef Elmortaji, avant de revenir sur l’origine de leur nom. « S’Toon Zoo : S pour société, Toon pour cartoon [dessins animés en anglais] et Zoo en référence à la jungle. C’est-à-dire l’espace de jeu pour les comédiens que représente la société marocaine. On reproduit les différentes thématiques de la société en les théâtralisant sur scène. »
Mais ce qui caractérise la troupe, c’est avant tout l’improvisation : elle lui permet de se renouveler et ne jamais sombrer dans la routine. « L’improvisation est un art à part entière. Cette discipline vient du Canada. On s’inspire tout naturellement de ses précurseurs tout en travaillant à notre manière, reconnaît Youssef Elmortaji. On fait énormément de tournois internationaux pour la dynamique et peaufiner notre technique. Les matchs d’impro nécessitent beaucoup de moyens. Il y a la contrainte du temps, il faut un arbitre, un public qui vote, etc. »
Le public parlons-en. Il ne fait pas seulement acte de présence, mais il participe au spectacle. Ce qui crée une interaction entre lui et les S’Toon Zoo. « C’est toujours le public qui propose les thèmes, on fait nos spectacles par rapport à ça. À notre tour, on impose aussi des catégories, un timing… » De quoi allécher. Car, comme le disait le metteur en scène Franco Dragone, « la meilleure façon d’amener les gens au théâtre, c’est de faire du théâtre avec eux ».
Théâtre de vie
Si les S’Toon Zoo proposent un théâtre atypique fondé sur l’improvisation, Jaouad Essounani, lui, s’inscrit dans un registre anticonformiste. C’est à l’âge de 7 ans que ce natif de Sefrou, dans le Moyen-Atlas, découvre le théâtre : « En me baladant avec mon frère dans mon petit patelin, j’ai aperçu des gens vêtus de masque qui faisaient des mouvements bizarres. Mon frère m’a dit que c’était le masrah [théâtre en arabe] et m’a présenté le metteur en scène, un ami à lui. J’ai commencé à faire du théâtre ainsi, à l’école ou dans les maisons de jeunes… […] Après la fac, j’ai passé le concours national de théâtre, car je voulais faire de cette passion un métier. De fil en aiguille, j’ai rencontré pas mal de beau monde, comme Peter Brook, David Greig ou Harold Pinter. »
Souvent qualifié de metteur en scène « engagé », Jaouad ne réfute pas, même s’il ne cautionne pas non plus totalement : « On me dit souvent : “Jaouad, tu fais un théâtre engagé.” Pour moi, être engagé, c’est bien faire son travail, tout simplement. Je ne me positionne pas comme un militant, mais le contexte social actuel fait que je le suis. Cette forme d’hypocrisie sociale donne naissance à un art militant, même si initialement ce n’est pas le but. Si tout allait bien, mon théâtre serait sans doute banal. »
Jaouad prône surtout l’entraide. Cette volonté de partage l’a poussé à créer en 2004 la compagnie Dabateatr, composée d’une quarantaine de personnes. « Sans prétention, je dirais que c’est la plus belle aventure artistique que le Maroc ait connue jusqu’à maintenant. Au-delà du spectacle, c’est un mouvement d’ensemble, un sentiment d’appartenance à une famille. Il y a une idée fédératrice. Celle d’une action citoyenne, culturelle, artistique et libre. Une idée de partage aussi bien sur le plan artistique qu’économique. » On n’a pas fini d’entendre parler de Dabateatr.