À quoi sert une politique étrangère ? Avant tout à défendre nos intérêts. Or, ceux-ci sont désormais clairement menacés par le chaos syrien.
La Syrie est devenue, à nos portes, l’incubateur du terrorisme international, comme le prouve l’arrestation de Mehdi Nemmouche, auteur présumé de la tuerie du Musée juif de Bruxelles. Ce dernier est allé parfaire son éducation auprès de groupes islamistes syriens pendant une année, avant de passer aux travaux pratiques chez nos voisins belges. En France, les vocations à s’enrôler dans les brigades internationales du terrorisme se multiplient.
L’affaire n’est pas nouvelle : il y a un an, le nombre de Français ayant rejoint les groupes djihadistes en Syrie était estimé à 270. Aujourd’hui, ils seraient 500 selon le ministre des Affaires étrangères Laurent Fabius. Depuis début 2013, à chaque conseil interministériel consacré à la situation syrienne, Manuel Valls, alors ministre de l’Intérieur, tirait déjà la sonnette d’alarme. Des mesures ont été prises, des moyens débloqués. Mais dans un État de droit, il est impossible de surveiller heure par heure tous les candidats au djihad, de les arrêter massivement à l’heure du laitier, d’emprisonner les gens sur de simples présomptions. Il faut, de toute évidence, stopper les métastases du cancer syrien. En prenant en compte la réalité. Car la stratégie occidentale envers ce pays a manifestement échoué. Pour quatre raisons.
Première raison : la capacité de résistance d’Assad a été sous-estimée
Beaucoup ont cru que le régime allait s’écrouler en quelques mois. Ce scénario rêvé ne s’est pas réalisé. Face à une opposition morcelée, le coeur du dispositif sécuritaire d’Assad est resté opérationnel. Les désertions et les ralliements à la résistance, parfois achetés à coups de pétrodollars, n’ont concerné que la périphérie du système. Le régime baassiste continue de bénéficier du soutien d’une partie non négligeable de la population, notamment de la minorité chrétienne, effrayée par la montée en puissance des islamistes. Les troupes gouvernementales ont peu à peu repris le contrôle du pays utile.
Deuxième raison : l’opposition « modérée » est une fiction
Les Occidentaux instauraient une césure purement théorique entre les opposants « modérés » de l’Armée syrienne libre (ASL), supposés être imprégnés des principes démocratiques et avoir lu Tocqueville dans le texte, et les méchants islamistes dont il fallait se méfier. Problème : ce sont les seconds qui ont pris le pas sur les premiers, avant de s’entretuer allègrement entre combattants d’al-Nosra, adoubés par al-Qaida canal historique (Ayman al-Zawahiri), et ceux de l’État islamique en Irak et au Levant (EIIL). Dès lors, la livraison d’armes à la résistance syrienne devenait très problématique compte tenu de la porosité existant entre tous ces groupes. Comment, en effet, être sûr que cet arsenal ne tombe pas entre les mains de sicaires peu recommandables ?
Troisième raison : l’engagement de la Russie était mal évalué
Moscou était sans doute prête à lâcher Assad, mais ne voulait pas la destruction du régime. Raisons stratégiques, crainte d’un islamisme radical qui gangrène aussi les républiques musulmanes russes, solidarité historique avec les chrétiens syriens, en majorité orthodoxes : le Kremlin aurait, à la rigueur, cautionné un changement en douceur, pas une révolution. En faisant du départ d’Assad le préalable à toute solution politique, les Occidentaux bloquaient l’option diplomatique. D’autant que les Chinois, les yeux rivés sur le Xinjiang où s’agitent des groupes radicaux musulmans, n’ont pas, non plus, une affection immodérée pour le désordre et les mouvements islamistes. Dès lors, Moscou n’a pas ménagé son aide militaire au régime syrien également appuyé par l’Iran et le Hezbollah libanais, alors que les États-Unis refusaient prudemment tout recours direct à la force, au grand dam des Français, bizarrement très va-t-en-guerre.
Quatrième raison : le jeu trouble du Qatar et de l’Arabie saoudite
Ces deux pays du Golfe sont depuis toujours en rivalité. La Syrie est pour eux un terrain de manoeuvre pour imposer leur influence. Chacun a ses clients. Le Qatar soutient les islamistes d’al-Nosra et les Frères musulmans. L’Arabie a, elle, rompu avec la confrérie. En Égypte, Riyad apporte d’ailleurs son aide financière au nouveau maréchal-président attendu Abdel Fattah al-Sissi, qui embastille les « Frères » à tour de bras. En Syrie, le royaume wahhabite est le parrain de l’Armée syrienne libre (ALS) et du Front islamique, un groupe fondamentaliste supposé plus présentable que ses rivaux. Le peuple syrien dans tout cela semble un élément secondaire.
Face à cette dangereuse pétaudière, il serait peut-être temps pour l’Occident de réviser drastiquement une approche qui s’est traduite par un désastre. Peut-être en refroidissant le chaudron syrien, en encourageant un cessez-le-feu et en arrêtant de réclamer tous les matins le départ d’Assad. Le caquètement des oies n’a sauvé le Capitole qu’une seule fois.
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