Sulfureux ou magnifié, le petit-fils du fondateur des Frères musulmans a récemment fait la une des journaux. Ian Hamel, auteur d’un nouvel ouvrage (*) décapant pour son image nous a confié quelques réflexions.
Afrique Asie : Treize ans après avoir consacré un épais volume (**) au parcours de Tariq Ramadan, vous récidivez avec un nouveau livre centré sur le même personnage. Certes, l’actualité l’a poussé, cette fois-ci à son corps défendant, aux premiers rangs des médias. Or tout ce que vous avez déjà écrit semblerait avoir clôt le sujet. Pourquoi revenir à la charge ? Y aurait-il du nouveau depuis ?
Ian Hamel : En réalité, si. Depuis cette date de 2007, de nouveaux évènements et des informations inédites ont émergé depuis qui permettent à la fois de mieux cerner l’individu et aussi de donner un éclairage nouveau à des situations plus anciennes grâce à des données inédites désormais accessibles. Il nous fallait donc compléter le dossier en améliorant son intelligibilité. Avec le recul, les choses prennent de l’ampleur et nous pouvons voir de plus loin et de plus haut. En 2007, Tariq Ramadan n’était pas encore officiellement “subventionné“ par le Qatar, grâce à un poste d’enseignant à Oxford, comme professeur d’études islamiques, créé en 2009. Pour cela, le Qatar a investi 11 millions de livres sterling pour rénover un des bâtiments du St Antony’s College, où enseigne Tariq Ramadan. Ajoutez un don de deux millions de livres pour la création de la chaire de théologie présidée par Ramadan… jusqu’à sa retraite.
Qu’entendez-vous par plus loin ?
De nouvelles informations ont été apportées il y a deux ans par la police cantonale de Genève sur une ancienne affaire restée dans l’ombre. En 1995, mourait à Genève Saïd Ramadan, père de Tariq et beau-fils de Hassan al-Banna. Ce père de six enfants, dont mon personnage est le dernier, avait longtemps été l’un des trésoriers de la branche européenne de la Confrérie crée par al-Banna. Quelques mois plus tard, Alaa el-din Nazmi, un diplomate égyptien, était abattu à Genève de six balles, dans le parking de son immeuble. L’enquête fut diligentée par Carla del Ponte, alors procureur fédéral, descendue spécialement depuis Berne. A cette occasion furent organisées des perquisitions au Centre islamique de Genève (Cig), créé par Saïd Ramadan en 1961, et piloté depuis sa mort par Hani Ramadan, frère aîné de Tariq. En vain. Les soupçons auraient été alimentés par les dépenses soudaines entreprises par la famille à la mort du père. Le journaliste Richard Labévière, dans Les dollars de la terreur, paru en 1999, a écrit, sans être démenti : « La famille s’est partagée une somme apparemment considérable que Saïd Ramadan avait en gestion pour le compte des Frères d’Egypte ». En particulier, à partir de cette date, les Ramadan ont massivement investi dans la maison d’édition al-Tawhid de Lyon. Les livres, les brochures et les enregistrements de la propagande confrérique, via les ouvrages de Tariq et de Hani Ramadan, se sont mis à inonder le monde francophone (France, Belgique, Québec, Suisse).
Fort bien, mais en cela quoi de neuf ? Cette vieille affaire semblait enterrée.
Pas vraiment. Il y a deux ans, en octobre 2018, la police cantonale a arrêté un Italo-Ivoirien, déjà impliqué dans un recel d’or volé, et l’a emprisonné. L’évolution technologique a permis de rendre lisibles les empreintes (l’ADN) retrouvées sur le silencieux de l’arme qui a tué le diplomate égyptien. Curieusement, après avoir incarcéré le suspect pendant deux ans, la justice suisse l’a relâché, sur la base de ses dénégations. Il aurait touché l’arme, mais n’aurait pas tué avec… Dans tout cela, le plus significatif reste que depuis cet assassinat, Tariq Ramadan n’a plus jamais remis les pieds en Egypte. Même pas durant l’année de passage des Frères musulmans à la présidence avec Mohammed Morsi, en 2012-2013. Or, sa famille est originaire d’Egypte.
Cela justifiait-il ce nouveau livre ?
Pas à lui seul. Il y a surtout les investigations de la police française contre Tariq Ramadan, relatives à ses violences sexuelles sur diverses femmes. L’enquête suit son cours, en dépit des vigoureuses dénégations de l’intéressé. Ces excès, dont je subodorais l’existence dans mon premier livre, sont désormais jetés en pâture à l’opinion. Principale conséquence : Musulmans de France, c’est-à-dire l’ex UOIF (Union des Organisations Islamiques de France), la branche française de la Confrérie, qui faisait jusqu’en 2017 acclamer le nom de Tariq, a depuis pris du recul par rapport au prêcheur. Ils l’ont même publiquement désavoué. Il faut dire que l’essentiel des discours-sermons de Ramadan s’attachaient à prôner une morale étroite et puritaine. Ainsi, avait-il cloué au pilori un jeune couple venu l’écouter en… se tenant par la main, sans être marié. Cet extrême rigorisme verbal a été confronté à l’étalage d’un laxisme affiché et partiellement reconnu par le donneur de leçons. Certes, il est toujours présumé innocent en ce qui concerne les viols (quatre mises en examen en France et une en Suisse). Mais il a été contraint de reconnaître non pas une infidélité passagère, mais d’innombrables relations extraconjugales. C’est ainsi qu’à la suite d’une enquête menée en Belgique, l’actuel directeur des éditions al-Tawhid a immédiatement suspendu la diffusion de la littérature de Tariq Ramadan.
Dans ce contexte quelle est la réaction de la famille Ramadan ?
Ils font bloc autour de lui, considérant qu’il s’agit d’un complot. Descendant d’un ancêtre aussi prestigieux que Hassan al-Banna, ils s’estiment au-dessus du commun des mortels. Ils considèrent que tous les autres musulmans sont sur terre pour les servir et doivent leur faire allégeance… Son frère Hani Ramadan, qui ne craint pas le ridicule, est allé jusqu’à déclarer lors d’un prêche que c’était la fornication qui était la cause du coronavirus ! Quand l’un de ses amis lui a dit qu’il allait se ridiculiser avec de tels propos, en raison des agissements de son frère, il a répondu : « Mon frère est innocent, ce sont les femmes qui iront en enfer ».
Entretien réalisé par Habib Tawa
(*) Tariq Ramadan, histoire d’une imposture, Flammarion, 475 pages, janvier 2020, 22 euros.
(*) La vérité sur Tariq Ramadan, sa famille, ses réseaux, sa stratégie, Favre, 364 pages, janvier 2007, 20 euros.