L’issue de la bataille d’Alep sera donc assurément révélatrice du rapport de force dans ce conflit syrien… La Syrie pourrait être l’Irak en pire.
L’issue de la bataille d’Alep qui fait rage entre l’armée du régime syrien et les combattants de la rébellion sera déterminante pour la suite de leur confrontation. D’où l’acharnement des affrontements. La perte du contrôle de celle ville, la deuxième en importance du pays après la capitale Damas, constituerait plus qu’un coup dur pour le régime.
Alep est proche de la frontière avec la Turquie, pays d’où se déversent les aides multiformes dont a besoin la rébellion. Un avantage qui une fois la ville expurgée de la présence de l’armée régulière et des symboles du régime permettrait à la rébellion de la proclamer zone libre et d’en faire le siège d’un pouvoir provisoire que s’empresseront de reconnaître ses soutiens étrangers. Bachar El-Assad et les autres dirigeants du régime savent que c’est là l’enjeu de la bataille d’Alep pour la rébellion. C’est pourquoi ils n’assignent plus de limite à l’engagement du potentiel militaire dont ils disposent. Ils ont conscience en effet qu’ils ne doivent pas perdre cette bataille qui remportée par la rébellion saperait le moral de l’armée régulière et ouvrirait la voie à la réédition du scénario qui s’est joué à Benghazi dans le conflit libyen.
En faisant donner dans la bataille l’élite de son armée qui utilise l’armement lourd dans tout son potentiel, le régime prouve toute sa détermination à contrer la stratégie de ses ennemis. Face à sa démonstration de force, en mesure effectivement de mettre en échec le plan de la rébellion qu’ils soutiennent, les Occidentaux ne peuvent s’engager ouvertement aux côtés de celle-ci au prétexte de l’asymétrie de la guerre qui oppose le régime aux insurgés. Ils escomptent néanmoins rendre possible leur engagement direct en faisant valoir à l’opinion internationale que le régime de Damas étant aux abois, bousculé par la rébellion est susceptible d’employer les « armes de destruction massive » dont il dispose. D’où tout le matraquage médiatique de ces derniers jours autour des « armes chimiques » dont est dotée la Syrie. Armes dont les autorités syriennes n’ont pas nié l’existence mais en prévenant qu’elles ne les utiliseront qu’en cas d’intervention étrangère contre le pays. Réponse en somme du berger à la bergère, Damas faisant savoir aux Occidentaux et autres sponsors de la rébellion que ce qu’ils disent redouter c’est eux qui le déclencheront en s’avisant d’intervenir militairement en Syrie.
Il n’empêche que le régime est en grande difficulté car la rébellion est parvenue à ouvrir de nombreux fronts qui l’obligent à disperser ses forces. Mais il dispose encore de la capacité de lui faire échec car les affrontements sont devenus guerre civile dans laquelle il peut compter sur la solidarité d’une grande partie des composantes du peuple syrien que l’éventuelle victoire de la rébellion effraie. Bachar El-Assad a voulu démonter cette réalité en nommant à des postes clefs tant civils que militaires et sécuritaires des responsables issus de communautés religieuses et ethniques autres que celle des alaouites à laquelle lui et sa famille appartiennent. L’issue de la bataille d’Alep sera donc assurément révélatrice du rapport de force dans ce conflit syrien.
Dangereuse routine (K. Selim)
La Syrie, c’est l’Algérie des années 90 sans l’intrusion musclée d’acteurs étatiques extérieurs, suggèrent certains analystes. Le rôle déterminant de ces acteurs extérieurs dans l’empêchement d’une solution politique en interne en Syrie est mis en exergue. Il leur fait dire que notre propension à faire, plutôt mal que bien, les choses avant les autres est, une fois n’est pas coutume, une chance.
Outre l’élément israélien qui compte beaucoup, le régime syrien subit aujourd’hui une forte propension des régimes occidentaux à collaborer sans aucune gêne avec certains courants islamistes notamment les Frères musulmans. Les États vassaux du Golfe ont apporté leur obole à cet enfermement syrien. Il n’existe plus désormais – à moins d’un improbable miracle – d’espace pour une solution politique. Dans un article dans le New York Times intitulé La Syrie, c’est l’Irak, Thomas L. Friedman souligne qu’au Proche-Orient « l’alternative à ce qui est mauvais n’est pas toujours bonne ». Et avec un sens percutant de la formule, il explique qu’on ne passe pas de « Saddam à la Suisse sans passer par Hobbes », c’est-à-dire par un « état de nature » avec absence totale de règles, un état de guerre permanente de tous contre tous avec pour seul souci l’autoconservation. Cet état de nature théorique s’est traduit concrètement en Irak par une guerre civile et des entreprises de « purification ethnique ». Cela a abouti, derrière la fiction d’un État irakien uni, à trois grandes zones géographiques, chiite, sunnite et kurde, qui sont déjà des États. La Syrie pourrait être l’Irak en pire. Il y a peu de chance qu’elle devienne une Suisse démocratique sans « passer par Hobbes ». Et elle risque d’y rester longtemps.
L’Algérie a sombré dans les violences dans les années 90 et elle a eu la chance – en dépit du discours officiel et officieux sur le mode du « on a fait face tout seuls » – d’avoir été épargnée par de trop grandes ingérences extérieures. Cela est resté largement une violente explication interne qui n’a pas été soldée par les lois portant amnistie. Le problème quand on observe la dérive syrienne avec au bout l’éclatement probable du pays est de constater à quel point l’inertie politique reste de mise. Le pays – ou le pouvoir – est dangereusement assis sur la retenue des Algériens qui ne veulent plus entendre parler d’un retour à l’enfer des années 90. Mais sur le fond aucun des problèmes qui ont plongé l’Algérie dans les violences n’est réglé. L’économie algérienne n’a pas besoin de fonds, elle est en attente de droit, de règles et de compétences administratives et techniques pour décoller. Le chétif taux de croissance que le pays affiche n’a rien de réjouissant.
Au plan politique, on louvoie toujours. On a eu des élections législatives censées, selon le discours officiel, nous prémunir des ingérences étrangères. Mais depuis, on a repris la routine. Comme si, une fois de plus, on comptait davantage sur la « sagesse » des Algériens que sur l’action politique résolue et sérieuse pour éviter une exacerbation de la crise. Car, elle est là la crise, irrésolue, pesante, incapacitante. Et par certains côtés, c’est une crise fortement aggravée. La réforme est aujourd’hui beaucoup plus difficile à faire qu’en 90, les forces du changement ayant été largement neutralisées, les forces de l’inertie se sont étendues à la faveur de l’amélioration des revenus de la rente. On a évité les grosses ingérences étrangères dans les années 90, les évitera-t-on à la prochaine grosse crise ? Car on n’a encore rien fait pour résoudre les questions de fond. Le défunt Aboubakr Belkaïd disait que le FIS a été une mauvaise réponse à un vrai problème. 20 ans après, on ne s’est toujours pas attaqué au « vrai problème » et personne ne peut, honnêtement, dire que la « mauvaise réponse » ne sera pas encore là… Avec en sus des Etats intéressés prêts à s’instituer « amis de l’Algérie ».