Dans leur approche émotionnelle, chancelleries et médias occidentaux continuent à nous vendre la fiction des bons contre les méchants, des démocrates contre les dictateurs, de la civilisation contre la barbarie…
Personne ne peut justifier les atrocités commises en Syrie. Celles-ci sont organiquement le lot habituel des guerres civiles, et que l’on ne nous dise pas qu’elles sont l’invention du seul régime de Damas. Depuis mars 2011, la crise a connu plusieurs phases.
Dans la foulée des séquences tunisienne et égyptienne, ce fut d’abord un mouvement social classique. En raison de la composition démographique du pays, il a rapidement pris une dimension confessionnelle, surtout parce que les Frères musulmans y ont vu une opportunité de revanche de l’échec de leur révolte armée de 1982. Depuis un an, à la fin de la grande prière du vendredi, les manifestants scandent : « les Alaouites dans la tombe, les Chrétiens à Beyrouth ! ». L’été 2011, des poches de guerre civile éclatent sur les 4 frontières : Jordanie, Irak, Turquie, Liban. En plus des déserteurs de l’armée syrienne, on voit ressurgir les groupes salafistes Jund al-Sham, Osbat al-Ansar et Fatah al-Islam basés au Liban, financés par des mécènes et ONG du Golfe.
Dans leur approche émotionnelle, chancelleries et médias occidentaux continuent à nous vendre la fiction des bons contre les méchants, des démocrates contre les dictateurs, de la civilisation contre la barbarie… en commettant une nouvelle erreur : croire que la situation tient au seul Bachar al-Assad et qu’il finira par s’en aller comme l’ont fait Ben Ali et Moubarak. Dans la perspective d’une « bataille de Damas » qui ne sera pas un long fleuve tranquille, on s’achemine vers le pire des scénarios, celui d’une sanctuarisation de la montagne Alaouite et d’une partition du pays. Cette « libanisation fabriquée » débordera fatalement sur le pays du Cèdre, mais générera aussi une nouvelle déstabilisation d’un Irak tacitement allié à l’Iran. Les minorités chi’ites de la région ne resteront pas les bras croisés, y compris en Arabie Saoudite. C’est le scénario des guerres balkaniques, qui ont fait 300 000 morts.
La Balkanisation est là, opposant frontalement les monarchies pétrolières sunnites – soutenues par les États-Unis et les Occidentaux – à l’Iran et au croissant chi’ite. Une guerre de l’empire global : il s’agit d’appliquer le plan américano-israélien et ses « délices » du néo-libéralisme à l’ensemble des Proche et Moyen-Orient. Sous administration Obama, le programme du « Grand-Moyen-Orient » des idéologues de l’administration Bush s’accomplit à la perfection : casser les derniers État-nations arabes, fragmenter les territoires et re-tribaliser les populations dont l’avenir se conjuguera entre la mosquée et Mc Donald’s. Leçon provisoire de l’histoire : les contre-révolutions arabes s’accomplissent au service de Washington. Frères Musulmans et Salafistes raflent la mise.
(1) Les guerres de l’empire global, Alain Joxe, Éditions La Découverte, mars 2012.
Richard Labévière est rédacteur en chef de Espritcors@aire, auteur de Quand la Syrie s’éveillera…, Éditions Perrin, janvier 2011.
Source : Tribune de Genève