Pour Fabrice Balanche, directeur du groupe de recherches et d’études sur la Méditerranée et le Moyen-Orient, le plan Annan peut être « une porte de sortie honorable »…
Enora Ollivier : Il y a eu trois morts dans les manifestations ce vendredi en Syrie, au lendemain de l’instauration du cessez-le feu. Peut-on dire que le plan Annan a échoué?
Fabrice Balanche Il semble que non. Le premier point – le cessez-le-feu – est plus ou moins respecté, même s’il y a eu quelques morts aujourd’hui. Il ne faut pas s’attendre à ce que les armes se taisent du jour au lendemain! D’ailleurs, même Kofi Annan a dit que ce n’est pas sur deux jours que l’application du plan pourrait s’évaluer, mais sur plusieurs semaines. Après, le texte comporte six points, dont le dernier – la liberté de manifester – n’est pas acquis.
Pourquoi Bachar al-Assad a-t-il accepté ce plan?
Le cessez-le-feu concerne le gouvernement, bien sûr, mais aussi l’opposition. Or Bachar al-Assad fait face à une guérilla dans son pays, donc si ce plan peut lui permettre de désarmer l’opposition, il est gagnant. Et le texte prévoit que les différentes parties discutent entre elles, ce qui peut lui être favorable.
Et l’opposition, et les occidentaux? Qu’est ce qui les a motivés à signer le plan Annan?
Pour les opposants, c’est simple: le plan prévoit que l’armée se retire des villes et que les manifestations soient autorisées. Quant aux occidentaux, ils voient le moyen de faire pression sur la Russie, pour montrer – si le plan n’est pas respecté – que la Syrie ne tient pas ses engagements. Le cas échéant, ils pourraient faire voter une résolution plus contraignante à l’ONU, pour instaurer un embargo sur la vente d’armes, par exemple.
Les manifestations de ce vendredi n’ont pas été aussi massives que prévues. Est-ce le signe d’un ralentissement de la contestation?
Cela montre que la population n’écoute pas le Conseil national syrien, qui avait appelé à manifester. Les gens ont peur, ils savent que l’armée va leur tirer dessus s’ils défilent. Ceux qui se sont engagés dans la lutte armée vont continuer, mais chez la plupart des habitants, il y a une vraie volonté de retour au calme. Ca fait six mois que la contestation se tasse: aujourd’hui, quand 5.000 personnes descendent dans la rue, on dit que c’est une grande manifestation.
Mais il y a un an, ces rassemblements réunissaient 100.000 personnes! Cela veut dire que Bachar al-Assad a gagné?
Le régime a su surmonter la crise, en tout cas sur le plan militaire. Maintenant, il va devoir recréer du lien avec la population, et ce n’est pas gagné. D’autant que l’économie va avoir du mal à redémarrer. La Syrie va être au ban de la communauté internationale pendant plusieurs années, et aura du mal à relancer le commerce, le tourisme…
C’est donc par ce plan que la sortie de crise peut avoir lieu?
Le plan Annan peut être une porte de sortie honorable pour les occidentaux, qui ont compris que Bachar al-Assad ne partira pas de lui-même. De toute façon, on a épuisé toutes les sanctions possibles, sur le plan diplomatique. Que pourrait-on faire de plus? Expulser les ambassadeurs syriens de nos pays?
Cela ne servirait pas à grand-chose. Une intervention militaire est totalement exclue?
Oui, et pour beaucoup de raisons. D’abord, la France et les Etats-Unis ne se lanceront pas en pleine année électorale. Ensuite, la Chine et la Russie ont mis leur veto à toute résolution. Si on décide d’intervenir en se passant de l’ONU, Moscou peut réagir, par exemple en avançant dans le Caucase. Je pense que la Géorgie en serait la première victime. Par ailleurs, les forces de l’Otan travaillent depuis le ciel, mais les Syriens possèdent des missiles anti-aériens, fournis par les Russes. Les occidentaux devraient alors voler plus haut, ce qui veut dire que les cibles seraient moins précises. Dans un pays si densément peuplé, le risque de pertes civiles est immense. Et n’oublions pas qu’il y a en face une armée régulière de 250.000 hommes. Ce n’est pas rien.
20 minutes— Propos recueillis par Enora Ollivier