Personne ne se bat plus contre le régime. Les rebelles se battent désormais entre eux. Et pour beaucoup d’entre eux, la priorité n’est pas d’évincer le régime de Bachar al-Assad , mais d’appliquer la charia.
Depuis la montée de la résistance islamiste, des parties de la Syrie sont devenues inaccessibles pour les journalistes. Trente d’entre nous sont portés disparus. Aujourd’hui, mon casque est un voile, et mon gilet pare-balles est mon hijab. Parce que la seule façon de se faufiler dans Alep est d’avoir l’air d’une syrienne. Les habitants ici ne se réfèrent plus à des «zones libérées», mais à l’est et à l’ouest d’Alep -ils ne vous montrent plus des photos de leurs enfants, ou des frères et sœurs tués par le régime, mais tout simplement les photos de la magnifique Alep d’avant la guerre. Car personne ne se bat plus contre le régime. Les rebelles se battent désormais entre eux. Et pour beaucoup d’entre eux, la priorité n’est pas d’évincer le régime de Bachar al-Assad , mais d’appliquer la charia.
Alep n’est plus que faim et islam. Des dizaines d’enfants usés, défigurés par la leishmaniose, marchent pieds nus dans les pas de leurs mères, couvertes de noir de la tête aux pieds, un bol à la main, cherchant un peu de pain devant une mosquée, la peau jaunie par le typhus. Dans les ruelles étroites, pour esquiver les tirs de mortier, les garçons sont sur la droite avec leurs kalachnikovs en jouet, tandis que la gauche est pour les filles, déjà voilées. En juillet, Mohammad Kattaa, 15 ans, a été exécuté pour avoir utilisé abusivement le nom du prophète. Il n’y a plus que les Syriens maintenant pour nous dire ce qui se passe. Ils travaillent pour les grands médias et contribuent à des articles écrits à partir de New York, Paris et Rome. Ils sont les célèbres citoyens-journalistes, glorifiés par ceux qui n’auraient probablement jamais confiance en un citoyen-dentiste. Et les résultats sont similaires à ceux d’Elizabeth O’Bagy, l’analyste cité par John Kerry lors de l’affaire de l’attaque chimique. En fait, elle venait de publier dans le Wall Street Journal un article qui vous fait essentiellement croire que les rebelles sont tous de bons gars: les radicaux, ici, ne sont qu’une poignée -parce que le problème pour les Etats-Unis est qu’Assad pourrait être remplacé par Al-Qaida. Quelques jours plus tard, alors que Human Rights Watch faisait état de preuves accusant les rebelles de crimes de guerre contre les minorités, il est apparu que O’Bagy était sur la payroll d’un lobby syrien, dont le but était de faire pression sur l’administration Obama pour le pousser à intervenir en Syrie. Ce n’est pas que la guerre soit devenue plus dangereuse. Dès le début nous étions avec les rebelles et les rebelles étaient ceux qui se battaient pour la liberté. Et nous autre, journalistes, étions ceux qui étaient les témoins pour le monde des crimes d’Assad. Mais nous avons brusquement réalisé (…) que nous sommes également là pour témoigner des crimes des rebelles.
* Francesca Borri, Grand reporter The Guardian (Quotidien britannique)
Source : Médiarama
13 novembre 2013