« on ne peut pas répondre à la violence en Syrie à travers une mission d’observation traditionnelle s’interposant entre deux armées » Kofi Annan
Le n°1 des Nations Unies Ban Ki-moon a déploré jeudi 5 avril devant le Conseil de sécurité la poursuite des violences en Syrie.. Et certes, les violences se poursuivent en Syrie. Mais les déplorer officiellement devant un organisme ayant un rôle international majeur et toujours dominé par les adversaires du régime syrien, alors que le délai fixé pour le cessez-le-feu est au 10 avril, c’est participer pour le moins d’une mise en accusation anticipée du gouvernement de Damas, rendu implicitement responsable unique de cet état de fait.
Annan salue les gestes syriens devant l’ONU
Une telle façon de faire n’est pas surprenante de la part du secrétaire général de l’ONU qui sur la Syrie comme hier sur la Libye, a toujours hurlé – ou plutôt – avec les loups occidentaux. Mais elle contribue quand même à tendre un climat déjà lourd, et donc à savonner quelque peu la planche de son émissaire Kofi Annan, représentant officiel en Syrie d’une organisation chargée théoriquement d’une mission de paix et de conciliation, et tenue à un minimum de neutralité, et qui par les mots de Ban Ki-moon continue malgré tout de se comporter en procureur vis-à-vis de Damas.
Kofi Annan, justement, s’est exprimé lui aussi hier devant l’Assemblée générale des Nations Unies (par vidéo-conférence depuis Genève), présentant un rapport sur la situation. Lui aussi a bien sûr, déploré la persistance de la violence, et pressé le gouvernement syrien de remplir pleinement ses engagements, de façon à ce que dans les 48 heures, l’opposition fasse de même
Mais son discours reflétait, contrairement à celui du secrétaire général, une certaine « positive attitude » : il a d’abord rappelé que sa mission s’inscrivait dans le cadre d’un pays dont l’indépendance et l’intégrité territoriale devaient être absolument respectés.
Ensuite, il a salué l’acceptation de son plan par le gouvernement syrien : « Le fait que la Syrie ait accepté le plan avec les six points inclus est une démarche constructive vers la coopération entre les deux côtés pour trouver une issue à la crise ». L’émissaire spécial des Nations Unies a d’ailleurs rappelé qu’une mission de spécialistes des opérations de maintien de la paix, dirigée par le général norvégien Mood, était arrivée à Damas pour préparer, en concertation avec le gouvernement, le déploiement d’observateurs onusiens du cessez-le-feu.
A ce sujet, on doit noter que M. Annan n’a pas donné dans la langue de bois irénique. S’agissant de cette mission, a-t-il expliqué, « on ne peut pas répondre à la violence en Syrie à travers une mission d’observation traditionnelle s’interposant entre deux armées » . En effet, note Kofi Annan, la situation sur place est « fluide » car « il n’y a pas de ligne de front » . En conséquence, rien ne se fera vraiment sans un processus politique crédible en parallèle au cessez-le-feu. Et c’est pourquoi, en Syrie, il faudra, dixit Annan, une « présence des Nations-Unies petite et agile », qui soit « déployée rapidement avec un mandat large et souple« .
Kofi Annan a également salué l’engagement de Damas à permettre l’accès aux centres de détention, ainsi que l’acheminement de l’aide humanitaire.
L’émissaire des Nations-Unies a aussi informé l’Assemblée générale que le gouvernement s’était engagé à fournir très rapidement des visas pour les journalistes européens, russes et coréens (il ne semble pas qu’al-Jazeera bénéficiera de la même mansuétude !)
Enfin, Annan a lancé devant les représentants des nations du monde entier un appel à celles susceptibles d’exercer une influence sur les parties en conflit, afin que la violence cesse et que le plan de paix puisse être appliqué. Bien sûr, côté gouvernement syrien la Russie, la Chine et sans doute aussi l’Iran, l’Irak et le Liban. Mais on sait qu’Annan s’efforce aussi, évidemment, d’obtenir un accord du côté du CNS et de l’ASL, et là, il doit penser très fort aux Américains, au Turcs et – qui sait ? – aux Français.
On retiendra de tout ça que, pour l’heure, Kofi Annan joue la carte de l’apaisement et de l’objectivité. Une position certes louable quand on pense à la façon dont l’ONU et la Ligue arabe, qui patronnent officiellement sa mission, se sont comportés ces derniers mois. Mais une position qui va être mise à rude épreuve dans les jours et les semaines qui viennent, le cessez-le-feu paraissant très problématique, qu’il s’agisse d’abord de l’imposer, ensuite de le faire durer. Effectivement, les hommes de l’ONU devront faire preuve, non seulement du maximum de neutralité politique, mais d’une certaine « agilité » tactique.
Par Louis Denghien (InfoSyrie, le 6 avril 2012