« Dieu se rit des hommes qui se plaignent des effets dont ils chérissent les causes » (Jacques-Bénigne Bossuet). Cette maxime trouve un parfait point d’application dans l’attitude des pays occidentaux à l’égard du conflit syrien qui vient de passer le cap de la décennie. Deux fois plus long que la Seconde guerre mondiale !
Jean Daspry
« La guerre médiatique contre la Syrie va rebattre tambour »1. En cette mi-mars 2021, nos grands oracles tirent tous à boulets rouges sur le boucher de Damas. Le quotidien Le Monde, journal des bobos germanopratins, consacre dans son édition des 14 et 15 mars 2021, un cahier de douze pages titré : « Syrie. Dix ans de guerre et ‘plus rien n’est à sa place’ ». Le site de délation en ligne, autoproclamée conscience universelle consacre une série au titre accrocheur à la manière des tabloïds britanniques : « Syrie : dix ans de crimes de guerre » composée de quatre volets : « L’État islamique réinstaure la terreur en Syrie », « Bachar al-Assad est le dirigeant d’un régime génocidaire », « Des mercenaires en accusation à Moscou » et « Wagner, le bras armé clandestin du Kremlin »2.
Dans sa matinale du 15 mars 2021, France Culture, avec l’appui d’experts à sens unique, instruit le procès à charge, et à recharge, du régime syrien. Au passage, Barack Obama est épinglé pour avoir refusé de bombarder la Syrie alors que ce dernier avait franchi la « ligne rouge » en 2013 avec l’usage d’armes chimiques contre sa population. La chaîne parlementaire LCP diffuse, ce même jour, un reportage au titre choc « Assad, la dynastie de l’horreur » suivi d’un débat. Le journal d’ARTE n’est pas en reste. Tous les médias sont à l’unisson de la dénonciation du président syrien, désigné comme le seul et unique responsable de la situation actuelle. Pas une seule voix discordante dans ce lamento médiatique hormis quelques francs-tireurs qui sont désignés à la vindicte publique3.
Les médias français qui jouent aujourd’hui le grand air de la vertu outragée, ont la mémoire qui flanche. Ils ont perdu de vue la chronologie du déroulement des « Printemps arabes »4. Pour avoir oublié que « l’on ne fait pas de politique autrement que sur des réalités » pour reprendre la célèbre formule du général de Gaulle. Pris soudainement d’une vision romatico-lyrique du monde version bisounours, nos dirigeants successifs (Nicolas Sarkozy épaulée par Michèle Alliot-Marie, François Hollande par Laurent Fabius et Emmanuel Macron par Jean-Yves Le Drian) n’ont toujours rien compris à l’Orient compliqué.
Au lieu de jouer la carte de l’apaisement, de la conciliation, de la médiation pour prévenir que la situation ne dégénère comme cela a malheureusement été le cas. Tout diplomate, même néophyte, a appris de ses anciens que l’on sait toujours comment les révolutions commencent mais l’on ne sait jamais comment elles finissent. Et cela d’autant plus que des États extérieurs à la région mettent de l’huile sur le feu en alimentant la rébellion en armes et argent (Cf. les déclarations délirantes de Laurent Fabius à l’été 2012), pensant que c’était la garantie du départ de l’autocrate et de l’arrivée des démocrates à la suédoise.
Nos dirigeants ont été en-dessous de tout. Ils auraient été bien inspirés en se rappelant la citation du psychanalyste Jacques Lacan : « Le réel, c’est quand on se cogne ». Et, le moins que l’on puisse dire est que leur front est meurtri par toutes les bosses qu’ils ont reçues. Mais, ils n’ont tiré aucune leçon de leurs multiples et graves erreurs d’appréciation de la situation.
Dans la sphère des relations internationales comme dans celle de la médecine, si le diagnostic est erroné, il y a de fortes chances que le remède soit au mieux inefficace, au pire contreproductif. Nos brillants hommes politiques ont accumulé les bévues, estimant à tort que le dictateur syrien n’en avait que pour quelques mois et que la flambée de violence resterait circonscrite à la Syrie alors que le feu s’étendait au Proche et au Moyen-Orient5.
Ils n’ont jamais imaginé – alors même que gouverner, c’est prévoir – que la guerre pourrait prendre une triple dimension : locale, régionale et internationale (concept de « guerre par procuration ») et qu’elle avait changé de nature6. Ils n’ont pas imaginé un seul instant que les cartes pourraient être rebattues dans la région au profit d’autres que les Occidentaux : Russes, Turcs, iraniens… Ils n’ont jamais imaginé que le conflit syrien pourrait s’exporter jusqu’en Europe à travers une flambée des phénomènes migratoires incontrôlés et incontrôlables et une poussée du terrorisme généré par l’État islamique qui renaît aujourd’hui de ses cendres après avoir été terrassé militairement mais pas idéologiquement. Leur stupide diplomatie des droits de l’homme a fait l’impasse sur la dimension sécuritaire dans la détermination de la politique étrangère française. Comme le souligne justement l’ancien ministre des Affaires étrangères, Hubert Védrine : « Une version plus réaliste et plus honnête serait que les droits de l’homme soient une composante des politiques étrangères qu’on actionnera quand les circonstances le permettent, mais pas la seule et qu’il faut combiner avec d’autres objectifs, et d’abord la sécurité »7. Comment qualifier une telle incompétence de notre élite formée majoritairement à l’école nationale de l’arrogance ?
Aujourd’hui, après avoir été évincée de la Syrie, la France se complait dans la diplomatie de l’incantation stérile au lieu de privilégier la diplomatie de l’action réaliste8. Washington ne brille pas non plus par sa lucidité. Les États-Unis ont appelé le 15 mars 2021 « la communauté internationale à ne pas se laisser berner par l’élection présidentielle à venir en Syrie », lors d’une session du Conseil de sécurité de l’ONU où aucune nouvelle initiative n’a été avancée pour relancer un processus de résolution politique « dans l’impasse ».
Nous nous pinçons lorsque le président de la République, Emmanuel Macron plaide de nouveau, le 15 mars 2021 pour « une solution politique, la seule possible », dans un conflit resté jusqu’ici sans issue. Dans un tweet, Il ajoute : « Au peuple syrien je veux dire : nous n’abandonnerons jamais ce combat » et « Nous restons à ses côtés pour répondre aux besoins humanitaires, défendre le droit international, lutter contre l’impunité, trouver enfin une solution politique, la seule possible ».
Mais, tout l’effet apaisant de sa déclaration est anéanti par les déclarations de son imbécile de ministre de l’Europe et des Affaires étrangères (MEAE), Jean-Yves Le Drian qui ne manque jamais une occasion de se taire : « La France, avec ses partenaires de l’Union européenne, continuera de conditionner la reconstruction de la Syrie et la normalisation des relations avec Damas à la mise en œuvre d’une solution politique crédible… Les élections présidentielles prévues cette année en Syrie ne seront ni libres ni régulières. Elles ne pourront être utilisées comme outil de contournement de cette solution politique … » « La responsabilité de ce drame revient au régime syrien et à ses appuis extérieurs », a-t-il dit en dénonçant « l’une des entreprises criminelles et des crises humanitaires les plus graves depuis la Seconde guerre mondiale ». Le Breton madré ne sait toujours pas qu’une crise de cette ampleur n’a pas qu’une unique cause. Elle est polyfactorielle. Alors que nous pensions que le soldat François Sénémaud, représentant personnel du président Macron était perdu corps et âme, nous découvrons qu’il vit encore. Que déclare-t-il ? « Il y a dix ans, des manifestations pacifiques ont débuté dans toute la Syrie. Depuis lors, d’innombrables violations et abus des droits de l’homme, dont le régime syrien est le principal responsable, ont causé d’énormes souffrances humaines », a-t-il déclaré lors d’une table ronde en ligne organisée depuis Genève sur le conflit. « Ces crimes ne doivent pas rester impunis. Mettre fin à l’impunité des auteurs de crimes atroces est de la plus haute importance pour parvenir à une paix durable et à une véritable réconciliation en Syrie », a-t-il ajouté au cours de cette table ronde organisée en marge de la 46e session du Conseil des droits de l’homme de l’ONU. Pense-t-il un seul instant que la réconciliation passe obligatoirement par la case Justice ? Quelle lamentable cacophonie de la diplomatie française qui explique l’état de délabrement dans laquelle elle se trouve au Moyen-Orient comme en Europe ! Comment pense-t-elle sortir du bourbier géopolitique syrien ? Cette débandade explique également la gestion calamiteuse de la pandémie (Cf. sa stratégie de vaccination problématique). Un an après, nous nous nous trouvons au même point, n’ayant pas anticipé les rechutes en ouvrant des lits de réanimation au titre du principe de précaution.
La France évolue entre aveuglement et désillusion. Il y a des évènements qui gagnent à être expressément formulées dix ans après le début de la guerre en Syrie9. Il faudrait moins de catéchisme et d’incantation, et plus de réalisme et d’analyse. Quand notre clergé médiatique et les communicants des politiques, qui les abreuvent de leurs EDL (éléments de langage), cesseront-ils de nous jouer le chœur des pleureuses ?
Jean Daspry
22 mars 2021
Notes
1 Bernard Cornut, La semaine au cœur, www.prochetmoyen-orient.ch , 15 mars 2021.
2 Benoît Vitkine/Madjid Zerrouky, Premières plaintes à Moscou contre les mercenaires Wagner, Le Monde, 16 mars 2021, p. 5.
3 Bruno Guigue, Fichez la paix à la Syrie !, www.prochetmoyen-orient.ch , 15 mars 2021.
4 Guillaume Berlat, Révolutions arabes : que reste-t-il de nos amours ?, www.procheetmoyen-orient.ch , 1er février 2021.
5 Frédéric Bobin/Nadia Chelly, Libye : la réconciliation assombrie par des soupçons de corruption, Le Monde, 16 mars 2021, p. 4.
6 Henri Bentégeat/Bernard Pêcheur, Quelles valeurs pour le « soldat augmenté » ?, Le Monde, 16 mars 2021, p. 30.
7 Hubert Védrine, Droits de l’homme (ou droits de l’individu ?) dans Dictionnaire amoureux de la géopolitique, Plon/Fayard, 2021, p. 134
8 Jérôme Drevon/Patrick Haeni/Arthur Quesnay, Pour défaire durablement l’État islamique en Syrie, ce sont désormais les rebelles qu’il faut stabiliser, Le Monde, 16 mars 2021, p. 30.
9 Le regard de Plantu, Syrie : 10 ans, Le Monde, 16 mars 2021, p. 1.
https://prochetmoyen-orient.ch/syrie-le-choeur-des-pleureuses/