Au moment où l’armée syrienne se trouve à des dizaines de mètres du centre de Homs, capitale de la Syrie centrale et fief historique de la rébellion, le fossé n’a jamais été si grand entre celle-ci et la population.
A Alep, capitale économique de la Syrie, asphyxiée par le blocus que les groupes armés lui impose, faisant flamber d’une façon vertigineuse, des manifestations ont été organisées contre les « affameurs » et les « pilleurs de la ville. Ces manifestations ont éclaté le premier jour du Ramadan. Il s’agit d’une première, car ces mouvements de contestation ne visent pas à dénoncer les agissements du régime mais plutôt ceux des rebelles qui contrôlent une partie de la ville et les routes d’approvisionnement en nourriture et en essence.
Selon RFI, les habitants d’Alep sont en colère et l’ont scandé haut et fort : les insurgés doivent lever leur siège. Depuis plusieurs mois, la grande métropole du nord est coupée en deux. La rébellion en contrôle la partie Est, les forces de Bachar el-Assad sont retranchées à l’Ouest dans l’autre moitié de la ville.
Et c’est justement cette zone-là qui pose problème. Les habitants qui y vivent sont privés de nourriture. Rien n’entre et rien ne sort, les civils sont bloqués. Condamnés au même titre que les soldats de Bachar el-Assad à subir le siège des troupes rebelles.
Les habitants de la région « libérée » s’inquiètent au plus haut point pour leurs frères encerclés. Ils jugent leur situation alimentaire très préoccupante.
Dans leur manifestation, ils ont contesté les choix stratégiques de la rébellion. Dans une vidéo publiée ce mercredi sur Internet, ils expliquent que priver l’ouest d’Alep de denrées alimentaires ne gêne en rien les militaires loyalistes. Les civils sont seuls à souffrir surtout en ce début de ramadan.
Cette colère contre les rebelles semble se généraliser sur l’ensemble des zones tenues par les groupes armés. Particulièrement à Raqqa, sur l’Euphrate où le raz le bol populaire s’exprime désormais publiquement. A cela s’ajoutent les combats réguliers entre les groupes rebelles eux mêmes pour des questions de rackets, de partage de butins ou d’application de la Charia à la mode wahhabite.
Les jihadistes coupés du peuple à cause de leurs abus
L’AFP abonde dans ce sens, comme le montre cette dépêche.
Au début de la révolte en Syrie, quand les insurgés cherchaient désespérément de l’aide, ils avaient accueilli les jihadistes à bras ouverts. Mais à force d’abus, ces derniers se sont aliénés une grande partie de la population. »Dehors ! L’État [islamique en Irak et au Levant] doit dégager, » scandaient des manifestants cette semaine à Manbij, dans le nord, exprimant leur exaspération envers cette organisation affiliée à Al-Qaïda. De nombreuses vidéos montrent que de plus en plus de civils et de rebelles appartenant à l’Armée syrienne libre (ASL), principale organisation de l’opposition armée, se retournent contre les factions islamistes les plus radicales. Les insurgés qui cherchent depuis plus de deux ans à renverser le président Bachar al-Assad sont composés d’unités disparates, dont beaucoup adhèrent à divers courants islamistes sans toutefois se reconnaître dans les plus extrémistes. Les deux principales formations jihadistes en Syrie sont le Front al-Nosra et l’État islamique en Irak et au Levant (EIIL), qui ont prêté allégeance au chef d’Al-Qaïda. Il existe aussi une multitude de groupuscules jihadistes, composés exclusivement de combattants étrangers. L’ASL, reconnue par une partie de la communauté internationale, reçoit des armes et de l’argent principalement des pays du Golfe, tandis que les jihadistes vivent de dons de riches familles arabes. Dotés d’armes sophistiquées, aguerris au combat, ils ont acquis une influence qui dépasse leur nombre en remportant des victoires contre le régime. Mais l’engouement du début a laissé progressivement la place au rejet en raison de la forme extrême de leur islam et d’arrestations arbitraires. Ils répètent les mêmes erreurs qu’en Irak où, après la prise de pouvoir par les chiites dans le sillage de l’invasion américaine en 2003, les sunnites avaient reçus les jihadistes avec enthousiasme avant de les chasser à cause de leurs abus. A Rakka, seule capitale provinciale aux mains des rebelles, les deux groupes affiliés à Al-Qaïda sont accusés de détenir des dizaines de prisonniers. »Ils prétendent être de vrais musulmans mais les membres d’Al-Nosra détiennent mon père depuis un mois » sans jugement, pleure une fillette lors d’une manifestation dont des images ont été mises en ligne par des militants anti-régime. « Je veux qu’ils le libèrent ». »Nous sommes musulmans. Vous êtes des imposteurs, » crie une manifestante dans une autre vidéo, demandant la libération des détenus. Les contestataires de la ville dénoncent aussi la disparition d’un opposant de la première heure et militant des droits de l’Homme, Abdallah al-Khalil. »Il s’apprêtait à organiser des élections générales à Raqqa mais Al-Nosra était contre. Il a disparu le lendemain », raconte à l’AFP un militant, qui préfère rester anonyme par peur de représailles. »Bien que leurs méthodes ne soient pas les mêmes que celles du régime, ils sont tout aussi brutaux ». « A mesure qu’ils deviennent plus puissants militairement, ils restreignent les libertés. Ils veulent le pouvoir, pas la démocratie », maugrée-t-il. Dans la province d’Idleb, frontalière avec la Turquie, par où ont transité nombre de jihadistes étrangers rejoignant la révolte, des dizaines de rebelles de l’ASL ont été tués dans une bataille contre les groupes affiliés à Al-Qaïda, a rapporté l’Observatoire syrien des droits de l’Homme (OSDH), qui s’appuie sur un réseau de militants et sources médicales. Les combats ont éclaté après que des rebelles ont protesté contre l’arrestation par les jihadistes d’un garçon de 12 ans accusé de blasphème. »Nous n’avons pas vu beaucoup de batailles de ce genre, mais il est clair que la colère contre l’EIIL et les autres jihadistes est en train de monter en Syrie », note le directeur de l’OSDH, Rami Abdel Rahmane. Ce cas rappelle l’émoi provoqué par l’exécution d’un garçon de 14 ans par des combattants de l’EIIL à Alep dans le nord du pays, tué pour avoir prononcé ironiquement le nom de Mahomet. Selon Rami Abdel Rahmane, l’ASL est prête à une nouvelle confrontation avec ses rivaux jihadistes à Idlib, après que l’EILL a demandé à tous les autres groupes de déposer les armes. Pour Nizar, un militant de Deir Ezzor (est), « le temps est compté pour tous ces groupes (jihadistes). Ils utilisent la violence et la religion pour nous contrôler, et même si beaucoup des gens craignent d’afficher leur désaccord, personne ne veut d’eux. »
Nouvelles tensions entre les Kurdes et les rebelles syriens
De son côté, le chef du Mouvement National kurde pour le Changement pacifique, Ali Bachar Omri, a révélé que les unités de protection du peuple kurde, déployées dans les zones frontalières kurdes d’Alep, notamment dans le village «Chrane» de la région Efrine, avaient fait avorter plusieurs tentatives d’acheminement d’armes américaines de qualité aux rebelles syriens, via les frontières turques.
Omri a indiqué à Al-Ahednews que «les forces américaines et turques avaient l’intention de transformer le village «Chrane», situé à Efrine près des frontières syro-turques, en point de passage pour les armes américaines lourdes destinées aux rebelles, comprenant des roquettes thermiques. Il a toutefois noté que les comités de défense populaire kurdes ont affronté ces tentatives.
«L’échec des tentatives des rebelles d’entrer à Chrane, les a poussés à pilonner le village à partir de Mazraa et à assiéger la région Efrine à majorité kurde, interdisant le passage des produits alimentaires».
M. Omri a dans ce contexte salué le rôle assumé par le ministère syrien du Commerce intérieur, pour avoir envoyé les denrées alimentaires, notamment la farine à la région assiégée.
Selon le responsable kurde, les accrochages sont quasi quotidiens autour de «Chrane» afin de faire face à l’avancée des rebelles soutenus par la Turquie, vers le village.
A la question de savoir les raisons pour lesquelles les rebelles ont choisi «Chrane» pour acheminer les armes américaines, M. Omri a dit : «Chrane est un village frontalier de nature montagneuse. Il surplombe plusieurs villages de son entourage. Ce fait permet aux combattants qui s’y trouvent de contrôler les zones avoisinantes et d’y faire parvenir les armes. Cependant, les efforts déployés par la Turquie pour introduire les armes américaines sur le territoire syrien et semer le chaos dans les villages frontaliers, ne sont guère nouveaux. Mais dernièrement, de telles tentatives se répètent quotidiennement, dans le but d’exporter la crise intérieure turque vers l’extérieur».
Et d’ajouter : «La Turquie s’emploie à étendre les tensions en cours à Efrine, vers les autres régions kurdes, telles, Ras-el-Ein, Derbassieh et Amouda à Hassaka. Les groupes armés y ont agressé les membres des comités populaires kurdes, ce qui a fait dernièrement, deux martyrs Kurdes et trois morts parmi les rebelles. Les rebelles blessés ont été transportés à bord d’ambulances turques vers les hôpitaux de la Turquie».
M. Omri a enfin confirmé l’échec du gouvernement d’Erdogan, de semer la division dans les rangs des forces kurdes.
Source : Al-Ahed, RFI
https://french.alahednews.com.lb/essaydetails.php?eid=9989&;cid=323#.Ud6xV3CVpLo
11 juillet 2013
Légende : La population, à bout de nerfs, manifeste à Alep contre les groupes armés