La France désormais « certaine » que du gaz sarin a été utilisé en Syrie. Les Etats-Unis beaucoup moins. L’histoire se répète toujours deux fois : la première fois comme une tragédie, la deuxième comme comédie.
Du gaz sarin a été utilisé en Syrie, a affirmé hier la France. Elle est le premier pays à se montrer aussi catégorique quant à l’utilisation d’armes chimiques en Syrie, régulièrement évoquée depuis plusieurs mois et considérée comme une ligne rouge par les États-Unis.
Les analyses faites par un laboratoire français sur des échantillons en possession de Paris « démontrent la présence de sarin » et « la France a désormais la certitude que le gaz sarin a été utilisé en Syrie à plusieurs reprises et de façon localisée », selon un communiqué du ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius. « Nous n’avons aucun doute sur le fait que les gaz ont été utilisés dans au moins un cas (…). La conclusion du laboratoire est claire (…). Dans le deuxième cas (analysé par la France), nous avons remonté toute la chaîne et il ne fait aucun doute que c’est le régime et ses complices » qui s’en sont servis, a-t-il plus tard expliqué sur la chaîne France 2. « Il y a une ligne qui est franchie, incontestablement », a-t-il poursuivi. « Nous discutons avec nos partenaires (…) et toutes les options sont sur la table », a-t-il encore déclaré, ajoutant : « Ou bien on décide de ne pas réagir, ou bien on réagit y compris d’une façon armée là où est produit, stocké le gaz (mais) nous n’en sommes pas là. » Selon une source diplomatique, les échantillons proviennent de Jobar, dans la banlieue de Damas, où deux envoyés spéciaux du journal français Le Monde ont été témoins mi-avril de l’utilisation de gaz toxiques et ont rapporté des échantillons aux autorités françaises, et de Saraqeb, dans le Nord-Ouest, où une attaque a été signalée fin avril. Paris n’a pas précisé qui avait été responsable de l’utilisation du gaz sarin.
Le 6 mai, la magistrate suisse Carla Del Ponte, membre de la Commission d’enquête de l’ONU sur les violations des droits de l’homme en Syrie, a affirmé que les rebelles syriens avaient fait usage de gaz sarin, évoquant des « témoignages recueillis ». M. Fabius précise qu’il a remis les résultats des analyses hier matin au professeur Ake Sellström, chef de la mission d’enquête mise en place par le secrétaire général des Nations unies et chargée d’établir les faits sur les allégations d’emplois d’armes chimiques en Syrie. La Commission d’enquête de l’ONU sur la Syrie a dénoncé hier l’usage de « quantités limitées d’agents chimiques » dans au moins quatre occasions en Syrie, en mars et avril, dans son dernier rapport devant le Conseil des droits de l’homme, sans pouvoir identifier précisément la nature de ces agents ni leurs utilisateurs.
Syrie – armes chimiques : « Le Monde » de Colin Powell ou de Nayirah ?
A quoi joue Le Monde, honnêtement ? Par Boniface Musavuli
Les journalistes du Monde, revenus de Syrie, sont sûrement des professionnels de la presse, mais l’histoire retiendra qu’ils auront été la caution morale dont les pays occidentaux avaient besoin pour intervenir « officiellement » aux côtés des rebelles syriens. En ramenant des « preuves irréfutables » accusant Bachar Al-Assad d’utiliser des armes chimiques, ils participent au choc psychologique nécessaire pour permettre d’identifier, dans tout conflit, le « méchant » à combattre à tout prix, et le « bon » aux côtés de qui il faut absolument se ranger. Reste que, sciemment ou pas, ces « révélations » rappellent les scénarios précédant l’entrée en guerre de l’Occident contre des pays arabes (et autres).
Un de ces scénarios, sûrement la mise en scène la mieux élaborée de l’histoire des guerres modernes, s’est produit à New York le 10 octobre 1990. Une jeune koweitienne dénommée Nayirah témoigna, larmes aux yeux, devant le Congrès américain pour décrire les atrocités que les troupes de Saddam Hussein faisaient subir aux populations koweitiennes.
« … j’ai vu les soldats irakiens entrer dans l’hôpital avec leurs armes. Ils ont tiré sur les bébés dans les couveuses, ils ont pris les couveuses et ont laissé mourir les bébés sur le sol froid… » (1)
Des bébés tués dans les couveuses… Il fallait absolument intervenir militairement contre le dictateur irakien. Sauf qu’il s’avéra, après la guerre, que le témoignage de la jeune femme était entièrement faux.
Sur le conflit syrien, heureusement, on est à peu près informé sur le déroulement des opérations, les dirigeants occidentaux en premier. Nos « barbouzes » parcourent le monde depuis des décennies et nous rapportent des renseignements extrêmement fiables. Tous les jours, ils glanent de précieuses informations et sont en mesure de mettre la main sur le moindre secret du plus inconnu des dirigeants politiques à l’autre bout de la planète.
Avec les moyens modernes (satellites), les états-majors, en Occident, et les différents services secrets sont au courant de l’armement dont dispose Bachar Al-Assad et les rebelles qui le combattent. Ils savent que les deux camps disposent des armes chimiques et suivent le déroulement de la guerre comme devant un jeu vidéo.
En tout cas, on sait, depuis plusieurs mois que les rebelles syriens utilisent des armes chimiques contre l’armée loyaliste. Des personnalités de haut rang comme l’ancienne Procureur du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, Carla del Ponte (2), ont déjà publiquement dénoncé l’utilisation des armes chimiques par les rebelles syriens. Tout le monde, à l’époque, s’était tu, du moins dans les rangs des autorités…
Et tout d’un coup, on feint d’apprendre que les armes chimiques sont utilisées dans le conflit syrien. Dans une curieuse précipitation, l’Union européenne lève l’embargo sur les armes en destination de la Syrie.
On va donc ouvertement armer les rebelles syriens (leur fournir quel type d’arme ?) et, peut-être, envoyer des troupes occidentales contre Bachar Al-Assad. Ce sera une guerre juste, parce qu’il s’agit de combattre un dictateur qui utilise des armes chimiques contre son propre peuple.
On en rirait s’il n’y avait pas mort d’hommes.
En réalité, dans le conflit syrien, la question n’est pas de savoir qui utilise les armes chimiques, mais plutôt qui a été le premier à les utiliser.
La réponse est d’une banalité ludique. Il suffit de dérouler le fil de l’actualité sur le web…
Les journalistes du Monde n’aurait jamais dû se prêter à ce genre de scénario et servir, peut-être en toute innocence, de caution aux motivations guerrières des dirigeants occidentaux désireux d’orienter l’actualité sur autre chose que la crise.
(1) https://www.youtube.com/watch?v=LmfV…
(2) https://www.lemonde.fr/proche-orient…