À Paris, on a enfin compris que le danger numéro un pour le monde ne venait pas de Bachar al-Assad mais de « Daech ». Bon gré mal gré Laurent Fabius a dû accepter le tête-à-queue décidé par François Hollande.
Ministre des Affaires étrangères depuis près de quatre ans, Laurent Fabius, dès son entrée en fonction, avait très clairement indiqué ce qu’était le choix de la France, en tout cas de la diplomatie française, dans la guerre civile syrienne. Considérant que la révolte d’une partie de la population contre Bachar al-Assad s’inscrivait dans le cadre plus vaste des fameux « printemps arabes », et misant sur une chute rapide du « boucher de Damas », notre pays se devait, au nom du réalisme autant que des droits de l’homme, de soutenir aveuglément la jeune démocratie syrienne, encore à venir, et contribuer de concert avec les monarchies du Golfe, nos alliées, politiquement, financièrement matériellement et militairement, à sa victoire.
Quatre années durant, les deux locataires du faubourg Saint-Honoré n’en ont pas démordu, arc-boutés sur leur ligne contre l’évidence, contre nos intérêts, contre ceux de l’Occident et, finalement, contre les principes mêmes qu’ils prétendaient défendre.
Contrairement à leurs prévisions, le régime attaqué de toutes parts et lâché par le reste du monde à l’exception notable de la Russie et de l’Iran avait tenu tant bien que mal et conservé l’appui, notamment, de toutes les minorités ethniques et confessionnelles qui voyaient bien à quel sort les exposait le succès de la « révolution ». Contrairement à leurs dires, les démocrates syriens n’étaient qu’une baudruche et un leurre, un paravent derrière lequel se cachaient de moins en moins le Front al-Nosra, succursale d’Al-Qaïda, et d’autres organisations du même acabit. Contrairement à leurs assurances, les secours et les armes prodigués aux démocrates syriens aboutissaient dans les poches de politiciens planqués ou tombaient entre les mains de groupes islamistes dont les faux nez étaient de plus en plus visibles. Contrairement à la vision unilatérale et manichéenne qui nous était donnée du conflit, il ne s’agissait plus, depuis longtemps, du « massacre » d’un peuple entier par son régime, mais de l’implacable affrontement entre l’insurrection sunnite et les forces loyalistes, avec autant de morts d’un côté et de l’autre. Si l’un des deux camps avait été, comme on nous le martelait, celui de la violence, de l’oppression et du mal et l’autre celui des libérateurs, qu’est-ce qui aurait pu empêcher la masse du peuple syrien de déserter le premier et de rallier dans l’enthousiasme les seconds ?
Pourtant, le régime de M. Hollande et le gouvernement de M. Fabius s’obstinaient dans leur erreur initiale. Toutes relations rompues avec Damas, les deux hommes, après avoir vainement tenté d’entraîner les États-Unis et la Grande-Bretagne dans des opérations de représailles contre Bachar, après avoir refusé toute coopération avec les services de renseignement syrien, au détriment de notre propre sécurité, après avoir tacitement accepté le double jeu d’Ankara, de Riyad et de Doha, en étaient encore, il y a deux mois, à menacer le président syrien d’un procès pour crimes contre l’humanité.
Les succès du groupe « État islamique », sa mainmise, à cheval sur la Syrie et l’Irak, d’un territoire aussi étendu que la Grande-Bretagne, la proclamation du califat et la déclaration de guerre sainte qui y étaient attachées, la menace puis la réalité de l’offensive internationale du terrorisme islamiste n’avaient pas laissé d’ébranler les certitudes de Paris, et, amorçant un délicat virage, on y affirmait ces dernières semaines que, désormais, on tiendrait la balance égale entre Bachar et Al-Baghdadi. Ni l’un ni l’autre…
Les attentats de Paris ont dessillé les yeux les plus obstinément fermés. Chacun, ou à peu près, en France, semble enfin admettre qu’il y a une différence de nature entre un régime dictatorial qui n’a ni les moyens ni la volonté d’entreprises extérieures, et qui est un rempart contre l’expansion djihadiste, et un système de terreur qui vise à répandre la peur et à étendre son empire sur le monde entier. Barack Obama, seul parmi les dirigeants occidentaux, refuse de mener la lutte contre un adversaire autrement redoutable que feu Saddam Hussein et, sous prétexte que les États-Unis ont eu tort de s’engager en Irak il y a douze ans, s’abstient de les engager au Moyen-Orient où leur intervention s’impose.
À Paris, on a enfin compris que le danger numéro un pour le monde ne venait pas de Bachar al-Assad mais de « Daech ». Bon gré mal gré, Laurent Fabius a dû accepter le tête-à-queue décidé par François Hollande et déclarer d’une voix blanche, avant-hier, que « les forces au sol » qui seules peuvent faire pencher le sort des armes contre la barbarie devaient comprendre « l’Armée syrienne libre » (?), « les combattants kurdes », « les forces arabes sunnites » (?) « et, pourquoi pas, les forces du régime ».
Le ministre des Affaires étrangères avait pris l’habitude de s’affubler d’un feutre et d’une écharpe qui lui faisaient une silhouette proche de celle de son initiateur et maître en politique, de François Mitterrand. Ces derniers temps, il va de nouveau tête nue. N’en cherchez pas la raison. Laurent Fabius a mangé son chapeau.
Dominique Jamet est journaliste et écrivain. Il a présidé la Bibliothèque de France et a publié plus d’une vingtaine de romans et d’essais. Co-fondateur de Boulevard Voltaire, il en est le directeur de la publication.
Source : Boulevard Voltaire
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