Attention à la géopolitique émotionnelle…
Mercredi dernier, l’utilisation d’armes chimiques aurait fait des centaines de morts près de Damas, selon l’opposition syrienne, qui a réussi, par la divulgation massive de cette information, à faire sortir de l’ambiguïté Barack Obama, qui était resté ces derniers mois bien plus prudent que la France et la Grande Bretagne sur ce sujet embarrassant, puisqu’une partie des rebelles syriens est liée à Al-Qaïda en Irak, qui combat les Etats-Unis depuis 2003. Washington a ainsi envoyé un renfort militaire dans la région, et selon les dernières informations, un raid visant à effectuer des frappes « chirurgicales » sur des centres stratégiques du régime syrien serait même imminent. Le Président français François Hollande n’hésite plus à parler lui-même de « punition » contre Bachar Al-Assad, et son ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius n’a même pas attendu les résultats de experts onusiens, présents sur place, pour accuser l’armée syrienne dès le 24 aout, avant d’avoir les moindres éléments de preuves, et exonérer totalement les rebelles pourtant fortement suspectés, notamment par l’experte onusienne et ex Présidente de la Cour Pénale Internationale pour l’ex-Yougoslavie, Carla del Ponte. Les snipers qui ont tiré sur l’équipe d’enquêteurs onusiens qui traversaient une zone tenue par l’opposition islamiste, ces dernières heures, pourraient d’ailleurs être des rebelles salafistes.
Mais malgré ces doutes et suspicions, Paris, Washington et Londres poursuivent leur stratégie, déjà ancienne, visant premièrement à défendre les intérêts des Frères musulmans et du Qatar concernant le soutien aux rebelles islamistes dans les pays arabes, et deuxièmement à endiguer la Russie et la Chine en faisant tomber un par un tous les régimes hostiles à l’alliance altantique et pro-Russes. Et pendant que l’on focalise l’attention des peuples occidentaux endormis par les médias qui montrent du doigt le « méchant » du moment (Irak de Saddam, ex-Yougoslavie de Milosévic, Syrie de Bachar, Libye de Kadhafi, etc), accusés de détenir et d’utiliser à chaque fois des « armes de destruction massives », d’autres « méchants » plus dangereux encore mais moins faciles à endiguer comme l’Iran, le Pakistan, l’Arabie saoudite, le Soudan ou la Corée du Nord, continuent à défier en toute impunité la dite « communauté internationale » et à s’équiper ou à armer des groupes terroristes…
Guerre de l’information
A l’opposition, qui accuse le régime d’avoir bombardé à l’arme chimique des secteurs aux mains de la rébellion près de Damas, le régime syrien répond que l’armée loyaliste n’a jamais utilisé d’armes chimiques en Syrie sous quelque forme que ce soit, liquide ou gaz, renvoyant la responsabilité des massacres à une unité de terroristes islamistes encerclée dans un secteur de Jobar. Il s’est dit prêt à travailler de concert avec l’ONU pour prouver l’utilisation d’armes chimiques par les rebelles. Pour Damas, l’accusation est insensée car l’armée syrienne, qui est en train de gagner la bataille contre les rebelles sur le terrain, n’a aucun intérêt à fournir un prétexte à une intervention de l’OTAN. Pour les rebelles comme pour l’armée, c’est donc toujours la faute de l’autre, aussi est-il pour l’heure impossible de savoir qui est le vrai responsable des massacres au gaz sarin.
Mais ce qui est sûr, c’est que, parallèlement à cette guerre civile syrienne que l’Occident alimente en refusant les solutions russes de sortie de crise fondées sur le dialogue, nous assistons, comme au temps des interventions de l’OTAN et anglo-américaines contre les régimes pro-russes de Milosevic (ex-Yougoslavie-Serbie) et de Saddam Hussein (Irak), à une nouvelle guerre froide entre « Occidentaux » et Russes doublée d’une guerre psychologique à coups de slogans et d’images destinées à diaboliser chaque camp en présence. Or, il y a nécessairement désinformation dès lors que les agences de presse qui ne peuvent pas se rendre en territoire syrien utilisent les images d’agences locales acquises au camp des rebelles, comme l’Observatoire syrien des droits de l’Homme, dont les sources ne sont que des réseaux de blogueurs, ou encore l’agence officielle des rebelles, Shaam News. Ces images et vidéos sont postées sur les réseaux sociaux par qui ont tout intérêt – ce qui est de bonne guerre – à noircir le tableau du régime, à nier leurs propres erreurs, et à retourner à leur avantage toute atrocité quels qu’en soient les vrais auteurs. Et personne ne doit être dupe du fait que nombre de « cyber-combattants » des révolutions arabes ont été formés par des officines occidentales qui préparent depuis des décennies les opposants des dictatures ou régimes pro-russes dans le cadre d’un nouveau containment (cf les révolutions de couleurs en ex-Union soviétique). A Paris, par exemple, le groupe Smart (Syrian Media Action Revolution Team) a formé par Skype plus d’une centaine de « correspondants ». Au début des révolutions arabes en Tunisie et en Egypte, on a ainsi retrouvé la marque de fabrique de la fondation Albert Eistein qui forme depuis des années des cyberactivistes avec les méthodes du grand théoricien des guerres d’images, Gene Sharp. Pour prendre de distance, nos officiels devraient donc tenir compte de la remarque de bon sens de Lama Fakih, responsable de Human Rights Watch (HRW) au Liban, qui estime qu’ »on ne tire jamais de conclusions à partir de vidéos »… Comme la bien montré Vladimir Volkoff, la « désinformation est un art et ne se réduit pas au mensonge », car elle désigne « la manipulation de l’opinion publique à des fins politiques avec une information, véridique ou mensongère, traitée par des moyens détournés ». Ainsi, quand les médias occidentaux citent depuis plusieurs jours que « même l’’Iran a reconnu pour la première fois, par la voix de son président, Hassan Rohani, que des armes chimiques ont été utilisées en Syrie et a appelé la communauté internationale à les interdire », ils ne mentent pas factuellement, mais ils insinuent que la Syrie est presque désavouée par son allié, alors qu’en réalité, Téhéran, comme Moscou, dénoncent l’utilisation de gaz sarin non pas par le régime mais par les rebelles sunnites liés à Al-Qaïda.
Attention à la géopolitique émotionnelle…
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