Comme attendu, la Russie et la Chine ont mis leur veto contre l’adoption par le Conseil de sécurité de l’Onu d’un projet de résolution marocain qui pourrait ouvrir la voie à une intervention étrangère de type libyen.
On en sait donc un peu plus sur les circonstances du double veto sino-russe qui a ruiné les espoirs du camp euro-américain et de ses auxiliaires arabes. Moscou, se sentant décidément en position de force en dépit de l’impressionnante coalition des adversaires de la Syrie, avait exigé un addendum au texte du projet de résolution, pourtant déjà adouci par ses auteurs pour amadouer Russes et Chinois : une condamnation par l’opposition politique type CNS (Conseil national syrien)de la violence des groupes armés se réclamant d’elle. C’eut été, en effet, un geste fort de la part des radicaux politiques, qui justifient et glorifient les actions de l’ASL(Armée syrienne libre) et de tous les groupes violents qui sévissent sur place, dont ils font les « protecteurs » du peuple syrien.
C’eût été aussi de la part du CNS un signe d’ouverture et de bonne volonté, qui aurait tranché avec son attitude actuelle, qui consiste à refuser de s’asseoir à une table de négociations tant que Bachar n’aura pas quitté le pouvoir – en attendant de le faire juger et exécuter comme un Saddam Hussein ?
Mais les Occidento-arabes n’ont pas accepté cette dernière – et nécessaire – modification de leur texte, et ont voulu passer au vote, pensant peut-être que leur récupération-manipulation des derniers événements sanglants de Homs paralyserait leurs adversaires et les contraindraient à se réfugier dans une abstention complice : on connaît la suite….
Les réactions des vaincus du 4 février n’ont pas tardé, et l’on se contentera d’en citer deux, emblématiques. Dans le registre contrit, le secrétaire général de l’ONU Ban Ki-moon, qui s’est donné beaucoup de mal, sous son mandat, pour faire de « Nations-Unies » un synonyme d’ « Etats-Unis » a exprimé que le double veto sino-russe risquait d’ « amoindrir » le rôle de l’organisation internationale : au vu de ce qu’elle a couvert en Libye récemment, on serait enclin à s’en réjouir.
Dans le registre grinçant, sinon grincheux, le représentant français à l’ONU Gérard Araud – digne élève de son patron Alain Juppé en arrogance et moralisme à sens unique – a accusé le coup – et les Russes et le Chinois – à la tribune, exprimant en substance que le combat pour la démocratie et la justice continuerait, ce dont nous ne doutons pas, mais probablement sans lui ni son ministre et son président de tutelle.
Entendu sur I-Télé : « Les groupes armés ? Quels groupes armés ? »
Il faudrait aussi dire un mot des réactions de la média sphère française : n’ayant pas les mille yeux de l’Argus de la mythologie grecque – ni peut-être la patience résignée de Sisyphe – nous nous sommes contentés de regarder notre chaîne d’ « information » bobo favorite, I-Télé. Juste après l’annonce du double veto, dans l’édition de 18 heures du journal, Olivier Galzi reçoit pour commenter l’événement un opposant de Paris, Rabee Alhayeck, déjà mis à contribution sur ces plateaux. Alhayeck, comme bien l’on pense, exprime son dégoût de l’attitude russe et chinoise, et enchaîne « naturellement » sur le « massacre » de Homs de vendredi. Là, on doit donner acte à Galzi d’avoir dérogé un peu à la pensée unique : tout d’abord, il demande si le bilan de 250 morts avancé par l’opposition est fiable, puis quelles sont les sources qui permettent à l’OSDH d’établir ses bilans – questions auxquelles Alhayeck répond comme à l’accoutumée en évoquant un dense réseau de correspondants locaux équipés de téléphones satellitaires et portables.
Puis Galzi fait remarquer à son invité que le gouvernement syrien nie toute implication dans les événements de Homs dont il attribue la responsabilité aux groupes armés. Et Olivier Galzi de demander à Alhayeck s’il a des informations sur ces groupes armés qui séviraient à Homs, selon le gouvernement syrien. Là, l’opposant syro-parisien s’énerve, au point de nier carrément l’existence de groupes armés en Syrie ! On voit de quels témoins de moralité – et de quels avocats crédibles – dispose l’opposition radicale syrienne.
I-Télé contre « Poutine al-Assad »
Un peu plus tard, pour l’édition de 20 heures, Galzi accueille cette fois Olivier Ravanello, spécialiste maison de la Syrie et déjà épinglé à ce titre sur ce site (voir notre article « La réjouissante angoisse d’Olivier Ravanello d’I-Télé », mis en ligne le 17 janvier). Notre journaliste citoyen – qui s’inquiétait déjà, à la mi-janvier, que le temps travaillât pour Bachar – a la mine des mauvais jours. Mais sa déception, on doit le dire, ne l’empêche pas de faire une analyse assez juste des raisons du double veto du samedi 4 février : les Russes ne veulent plus, après l’expérience libyenne – mais aussi, pourrait-on ajouter, après les expériences irakienne et yougoslave, voire les manipulations ukrainienne et géorgienne – que l’ONU se transforme en machine à renverser les chefs d’Etat. Tout de même, mauvais perdant, Ravanelo s’autorise une petite perfidie : peut-être, suggère-t-il, que les dirigeants russes craignent que l’ONU s’intéresse un jour à leur cas…
C’est un bon enchaînement, le sujet suivant traitant des manifestations anti-Poutine en Russie de ce même samedi. Et là on s’aperçoit très vite (ce n’est pas une découverte en ce qui nous concerne) que le Premier ministre russe, et probablement futur président de la Fédération de Russie, n’est guère mieux considéré par les gaucho-atlantistes d’I-Télé/Canal+ que son allié Bachar. Le titre du reportage « Contre Poutine ! » renseignant autant, à cet égard, sur la ligne éditoriale d’I-Télé que sur les motivations des manifestants : le reportage dit que les opposants à Poutine sont descendus en masse dans la rue, mais finit par admettre que les contre-manifestants pro-gouvernement étaient au moins quatre fois plus nombreux. Et même le reporter se sent obligé de signaler que l’opposition russe suscite le scepticisme chez de nombreux Russes et que Poutine demeure largement en tête dans les sondages sur la présidentielle à venir. Mais, évidemment, rien dans le titre du reportage ni sa présentation répétée mécaniquement par la présentatrice de service, ne suggère cette réalité.
Autre tromperie – ou « simplification » – bien caractéristique de notre information sous influence : le commentateur du reportage veut bien reconnaître furtivement que l’opposition est « divisée » . Et en effet quoi de commun entre la toute petite minorité des « pro-démocratie -pro-Occident » chéris et montés en épingle par nos médias, et les gros bataillons de cette manifestation, fournis par les communistes et sans doute les ultra-nationalistes. Qui au moins ne sont pas divisés, et même rejoignent Poutine, sur un point essentiel : l’hostilité à l’Amérique, l’OTAN et l’Occident. Et donc sur le soutien à la Syrie (voir notre article « L’opposition russe sur la même longueur d’ondes syrienne que Poutine/Medvedev », mis en ligne le 27 janvier). Mais ça, c’est sans doute trop compliqué à expliquer au cerveau formaté du téléspectateur moyen d’I-Télé !
Source : InfoSyrie, 4 février 2012