Le contexte international dans lequel a été convoquée, en juin dernier, la Conférence des Nations unies sur l’environnement et le développement à Rio de Janeiro n’était pas des plus favorables. Frappés par l’une des plus graves crises économiques et financières de leur histoire, les pays développés n’ont pas pris la mesure de la gravite du changement climatique global et de la dégradation de la biodiversité, cela dans un cadre général marqué par des écarts croissants entre les pays les plus riches et les pays plus pauvres et au sein de leurs sociétés, et le décollage de pays dits émergents.
Après les échecs des conférences mondiales de Copenhague, Cancun et Durban, la plupart des participants n’attendaient pas grand chose de ce Sommet Rio+20, qui se déroulant vingt ans après celui de 1992, dans la même ville. Le document final, intitulé L’Avenir que nous voulons, a été encore plus décevant que prévu. Non seulement parce que les importantes propositions des pays du Sud sur la réduction de la pauvreté, le réchauffement climatique, l’épuisement des ressources non renouvelables, l’approvisionnement en eau et la sécurité alimentaire n’y figurent pas ou ont été renvoyées à différentes agences des Nations unies, mais aussi parce que plusieurs résolutions reflètent l’influence grandissante du lobby des entreprises multinationales sur une partie de l’Onu, au profit de l’industrie privée et du système de marché.
Quels étaient les enjeux de cette rencontre mondiale ?
Aucun autre événement des Nations unies n’aura été précédé d’aussi longues négociations que ce sommet. Les pays en développement ont dû exercer de fortes résistances pour contrer les pressions des pays développés sur plusieurs points critiques. Par exemple, le Canada, les États-Unis, la Norvège et la Suisse ont proposé de supprimer le « principe de responsabilités communes mais différenciées », qui était appuyé par le Groupe des 77 (G-77) représentant 132 pays en développement et la Chine. Selon ce principe, la responsabilité commune de protéger la planète incombe à tous les pays, mais puisque les puissances industrielles sont responsables de la majeure partie des destructions de l’environnement, elles doivent contribuer davantage à la gestion des changements climatiques.
Mais c’est la proposition d’inclure l’« économie verte » comme axe stratégique pour atteindre le développement durable qui a déclenché la plus grosse divergence. L’Union européenne (UE) l’a considérée comme un « outil fondamental » pour y parvenir, tandis que la plupart des pays en développement, les mouvements sociaux et les ONG l’ont interprétée comme un projet de marchandisation et financiarisation de la nature au profit de grands monopoles et de l’accumulation capitaliste.
En février 2011, le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) avait publié un rapport de 700 pages sur l’économie verte. Très médiatisé et salué par la Banque mondiale et l’Organisation mondiale du commerce (OMC), il promouvait l’idée que les gouvernements stoppent leurs subventions à des activités préjudiciables à l’environnement (combustibles fossiles, pêche industrielle, etc.) et investissent ces fonds dans des technologies nouvelles massives pour permettre de passer à l’économie verte. Une démarche positive seulement en apparence. Car le PNUE considère nécessaire d’identifier les fonctions spécifiques des écosystèmes, de la biodiversité et des ressources naturelles non renouvelables, de leur assigner une valeur monétaire puis d’établir un marché pour chacune. Tel le marché du carbone, qui représente plus de 100 milliards de dollars annuels. Dans cette optique, la « gestion durable de la nature » promeut la privatisation préalable des biens naturels, la gestion communautaire et publique étant réputée inefficiente.
Cette « gestion » implique, entre autres, le contrôle de l’extension des terres pour favoriser les affaires et empêcher les populations rurales de continuer à exercer leur vocation productive en se soustrayant aux mécanismes de la dépendance du marché. Elle implique l’expulsion de milliers de familles paysannes, l’anéantissement de leurs organisations, la criminalisation des actions de résistance sociale…
Depuis des décennies, la question de la transition vers un nouveau modèle de croissance fondé sur des énergies renouvelables, une gestion raisonnée des ressources naturelles et une production génératrice d’emplois a été au centre des débats internationaux. Elle est devenue un enjeu stratégique décisif à partir de 1987, lorsque la Commission mondiale sur l’environnement et le développement nommée par l’Onu a rendu un rapport, Notre avenir à tous, incluant quelques préoccupations du Tiers-Monde. Pour la première fois, la notion de « développement soutenu » était invoquée, ultérieurement traduite par « développement durable ».
Il a été défini comme celui qui « répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à satisfaire leurs propres besoins » et est devenu le centre d’une problématique où l’accès aux ressources naturelles et leur gestion s’est transformé en dispute mondiale entre ceux qui pensent que les États doivent légiférer pour garantir l’accès de tous aux biens communs et ceux qui croient, au contraire, qu’ils doivent tout déréguler pour faciliter le succès des investissements des multinationales.
Les 283 articles et les 60 pages du texte final de Rio+20 traduisent cette controverse. On y trouve en particulier le lancement d’un programme de travail sur les indicateurs de développement durable, supposés plus significatifs que le produit intérieur brut (PIB) ; on y prévoit le lancement d’un processus intergouvernemental pour élaborer les fameux Objectifs de développement durable (ODD) mondiaux, qui devraient remplacer les Objectifs du millénaire établis en 2002 à Johannesburg et se terminant en 2015 – sans avoir éradiqué plus d’un milliard de personnes de la pauvreté, comme promis.
Moins encourageant dans le rapport : la participation des représentants de la société civile (accrédités auprès des Nations unies) sera renforcée afin de mieux faire usage de leur expertise, mais avec un simple rôle consultatif, c’est-à-dire avec le risque de n’avoir aucune incidence dans les décisions ou rédactions des résolutions finales.
Plus préoccupant : la proposition en faveur d’un nouveau traité international pour mieux réglementer la pêche en eaux profondes, le problème de l’acidification des océans et la prolifération des déchets plastiques est accompagnée d’un appel pressant à « l’exploitation durable des océans et des mers et de leurs ressources ». La voie est ouverte pour faciliter l’exploitation minière de quelque 100 000 montagnes sous-marines, souvent d’origine volcanique, qui pourraient se révéler des réserves uniques de vie sous-marine, de métaux rares très recherchés par certaines industries et de nouvelles molécules utiles pour les biotechnologies.
En marge du Sommet officiel, à une quarantaine de kilomètres, des dizaines de milliers de personnes ont participé au Sommet des peuples. Des ONG et des mouvements sociaux du monde entier ont débattu intensément des causes structurelles de la crise de civilisation et ont questionné durement le texte officiel, avant de formuler des propositions entraînant des changements substantiels.
Inspirés dans la première Conférence mondiale des peuples contre le changement climatique à Cochabamba (Bolivie) en avril 2010, dont le principal objectif était de ne pas laisser l’échec de Copenhague paralyser l’action contre le réchauffement global, les participants ont mis en avant l’établissement du bien-vivre comme un nouveau paradigme de l’humanité fondé sur l’harmonie et l’équilibre avec la nature et sur la reconnaissance des droits de la Terre mère, la réciprocité et la complémentarité en tant que principes réglementaires de l’économie.
Le Sommet des peuples de Rio de Janeiro a aussi repris l’idée de la création d’un tribunal international de justice climatique ayant pouvoir de punir les individus, les entreprises et les États qui détruisent la nature. Il s’agit de « décoloniser et rendre l’atmosphère à l’ensemble des êtres humains ». Il a aussi été exigé – entre autres – le paiement d’une dette climatique des pays industrialisés aux pays appauvris, sans condition, à hauteur de 6 % de leur PNB. Une chimère ?
(1) Conseiller technique du Mouvement pachakutik de l’Équateur.