Le 32eme Sommet arabe qui vient de se conclure à Djeddah, en Arabie saoudite a accouché d’une déclaration finale imposée par l’Arabie saoudite sans discussion préalable avec les autres pays membres et en premier lieu l’Algérie, jusqu’ici présidente en exercice du sommet. Les chefs d’États présents s’étaient contentés de réciter leurs discours devant les caméras et ont été privés des séances à huis clos, comme c’est la tradition dans ce genre de réunion, où les vraies questions qui divisent le monde arabe se traitent en profondeur. Le royaume saoudien est passé outre, et a fait perdre au monde arabe une occasion de se positionner face à un ordre mondial en plein chamboulement.
Par Majed Nehmé
Le sommet d’Alger tenu le 1er Novembre 2022 a été, faut-il le rappeler, celui du resserrement des rangs arabes, de la réunification des organisations palestiniennes face à l’ennemi commun israélien, de la récupération par la Syrie de son siège dans la Ligue arabe dont elle a été illégalement privée, mais aussi celui du refus de toute ingérence dans les affaires intérieures arabes.
Contrairement aux pratiques inacceptables introduites par certains pays membres qui, à la veille de chaque réunion au sommet, se font briefer par des émissaires américains qui leur dictent la ligne à suivre, l’Algérie a toujours rejeté ces comportements honteux. Les Etats-Unis connaissant d’avance la réaction algérienne de rejet catégorique de telles tentatives d’ingérences et n’essaient même pas de s’en servir. Ils l’ont fait cette fois-ci d’une manière détournée en comptant sur la servilité de certains de leurs clients obéissants. Quand la question du retour de la Syrie dans le giron de la Ligue arabe a été posée avec insistance par l’Algérie, avec l’accord d’une majorité des pays membres, le comportement étrange de l’Égypte a surpris plus d’un observateur. Contre toute attente, elle s’était fortement opposée à un tel retour. L’Algérie, soucieuse de ne pas semer la zizanie entre les pays arabes, n’a pas fuité cette information. C’est le président syrien en personne qui l’avait révélée en exprimant son étonnement et son mécontentement du double jeu égyptien devant un parterre de personnalités et d’intellectuels arabes qu’il avait reçus à Damas. Les Etats-Unis ont-ils « briefé » le chef d’état égyptien pour qu’il se comporte de telle manière ? Le doute est bien légitime.
Ces pratiques ont été, semble-t-il, exercées directement sur le pays hôte, l’Arabie saoudite, mais cette fois-ci pour inviter, sans consulter les autres membres de la Ligue, le président ukrainien Zelenski, à s’adresser directement au sommet. C’est, dit-on à Riyadh, Jake Sullivan, le Conseiller à la sécurité nationale de la Maison blanche, qui avait transmis en personne cette demande pressante au prince héritier saoudien, Mohammed ben Salman, lors de sa rencontre en tête-à-tête le 7 mai dans la capitale saoudienne. Cela explique sans doute la présence « énigmatique » de cet invité surprise au sommet, qui s’est permis de faire la leçon aux chefs d’état présents, de proférer de grossières contre-vérités historiques et de plaider son droit de « libérer les territoires ukrainiens occupés », sans piper mot sur les territoires arabes occupés par son allié israélien !
Le président algérien Abdelmadjid Tebboune, pourtant président en exercice du sommet, n’a pas été mis au courant de cette invitation incongrue. Contrairement à certaines rumeurs farfelues véhiculées par des réseaux sociaux, ce n’est pas la raison de sa non-présence au sommet de Djeddah. Tout simplement car il n’était pas informé. A cheval sur les principes de la souveraineté et de la réciprocité, le chef de l’État algérien n’a fait qu’appliquer un principe fondamental de la diplomatie algérienne, à savoir la RECIPROCITE. Rappelons que le prince héritier saoudien dit MBS n’avait pas daigné assister au sommet arabe d’Alger sous prétexte d’une maladie imaginaire subite qui l’aurait empêché d’y participer. Quelques jours plus tard on l’a vu s’envoler vers la lointaine Indonésie pour assister au sommet du G20 et effectuer une tournée régionale en Asie. Ce mensonge a été très mal apprécié par Alger.
A cela s’ajoute les innombrables maladresses et manquements à la courtoisie à l’égard du pays qui assume la présidence de la Ligue des États Arabes. La question syrienne a été la goutte qui a fait déborder la vase. Le président Tebboune, incarnant une opinion publique totalement solidaire de la Syrie, a porté le dossier syrien à bras le corps. L’Algérie s’était farouchement opposée à l’exclusion rocambolesque et illégale de la Syrie. Les responsables syriens, à commencer par le président syrien en personne, ont toujours souligné la profondeur historique et exceptionnelle de la relation particulière entre deux pays rebelles, insoumis et souverains. Or voici que ceux qui avaient participé à la destruction de la Syrie s’improvisent maintenant, après le fiasco de leur douze ans de guerre contre elle, en nouveaux « amis » de ce pays qu’ils avaient trahi et saigné à blanc. Une imposture insupportable. Heureusement que le peuple syrien se souviendra de ses vrais amis.
Malgré ces griefs, l’Algérie, voyant les principes dont elle avait été la première à promouvoir, se concrétiser, à savoir le retour tant souhaité de la Syrie dans le concert des nations arabes, n’a pas boudé cette rencontre. Le président Tebboune s’est fait représenter à Djeddah par son Premier ministre qui a lu en son nom, un discours qui fera date.
Il a ainsi mis le point sur « l’inéluctabilité de la réforme et de la modernisation de l’action arabe commune, selon une nouvelle approche qui place les préoccupations du citoyen arabe au centre de ses priorités. »
Voici les idées centrales évoquées dans ce discours :
• La situation dans le monde arabe est inséparables des mutations profondes et des développements effrénés que connait le monde et qui augurent de l’avènement d’un nouvel ordre mondial multipolaire qui s’érige sur les ruines de l’ordre unipolaire.
• Cette conjoncture avec ses multiples complications et ses répercussions importantes, nous impose de renforcer la solidarité et l’action en tant que communauté unifiée mue par le principe du destin commun, afin que nous puissions jouer un rôle actif et efficace dans la définition des nouveaux équilibres de manière à assurer la préservation de nos intérêts communs.
• Les propositions formulées par l’Algérie pour l’activation du rôle de la Ligue arabe dans la prévention et la résolution des conflits, et le renforcement de la place des jeunes et de l’innovation dans l’action arabe commune, soulignant la nécessité d’accélérer la concrétisation de ce processus de réformes afin de relever les défis qui se posent actuellement sur les plans régional et international.
Le sommet de Djeddah a en quelque sorte « copié » les idées promues par le sommet d’Alger en se nommant « Sommet des Ponts ». Et tant mieux. Surtout que ces « ponts » s’érigent après des années de tranchées et de guerres fratricides. Rappelons que le président Tebboune avait placé sa présidence du Sommet arabe sous le slogan de la « réunification des Palestiniens », et « l’unification des rangs », un slogan qui s’est concrétisé avec « le retour de la Syrie, pays frère au sein de la Ligue des Etats arabes, grâce aux efforts laborieux consentis », soulignant que « ce retour a une portée symbolique pour le peuple algérien vu qu’il coïncide avec la commémoration par l’Algérie de l’anniversaire des massacres du 8 mai 1945 ».
Majed Nehmé