- Les réactions “occidentales” au départ de Shoigou ont été aussi misérables que notre pensée générale dans cette période de sécheresse intellectuelle et d’effondrement de l’âme.
- On ne s’étonne pas, on laisse cette misère se poursuivre et nous réduire au néant.
- Au-delà des changements enregistrés hier à Moscou, il y a, de la part de Dimitri Trenine dont nous reprenons un texte une vision riche et fascinante de “la Russie à venir”.
- Si elle se fait, on peut en être assurés, nous n’aurons rien vu venir, tout occupés à mieux nous autodétruire.
Par Dedefensa.org
La plupart des journaux, de référence ou pas, de la presseSystème américaniste-occidentaliste, ont donc titré : « Shoigou limogé », goûtant le délicieux parfum de l’amorce de l’effondrement du régime Poutine. Dans le reste du monde, c’est-à-dire la jungle qui entoure de sa convoitise le magnifique jardin plein de fleurs de la corruption et de pelouses bureaucratiques qu’est l’Occident-Très-Collectif, on s’est un peu interrogé devant cette curieuse interprétation de décider le “limogeage” de son ministre de la défense au moment où les armées russes sont lancées dans d’irrésistibles offensives.. Nos deux compères, eux, ne s’y sont pas trompés, et Christoforou a titré dans sa page des nouvelles du jour « Shoigou promu ».
Vous pouvez ensuite lire deux programmes, l’un commun aux deux qui vous expliquent ce qui s’est passé et qui sont les acteurs de cette journée exceptionnelle, l’autre du seul Mercouris qui complète la première intervention par ses commentaires vertigineux de sagesse et de culture. Vous saurez alors l’essentiel sur ce que la civilisation américaniste-occidentaliste ignore : la structure du pouvoir de sécurité nationale en Russie, sa logique, son efficacité, le renforcement qu’il va recevoir avec ces changements. Et la nouvelle position de Shoigou qui est l’équivalent russe de la position de Sullivan par rapport à Biden, avec en plus des positions de maîtrise et de direction du complexe militaro-industriel.
Ayant dit enfin tout le bien que nous disons comme habituellement de l’équipe Christoforou-Mercouris par cette appréciation générale de l’opération par rapport à la base industrielle et l’industrie de guerre russe , nous poursuivront pour boucler cet épisode de “la promotion de Shoigou” en disant quelques mots de son successeur. On citera Andrei Perla, chroniqueur d’Istanboul, qui figure dans une nouvelle de la ligne ‘Chronique de Russie’ de Boris Karpov, sur ‘Telegram :’
« La nomination d’Andrei Belousov au poste de ministre de la Défense a été pour beaucoup une grande mais agréable surprise. Et même intriguante : pourquoi un civil, un économiste, a-t-il été nommé au poste de chef du ministère de la Défense ? Après tout, Belousov a travaillé sur les questions économiques tout au long de sa carrière.
» La victoire dans une guerre patriotique est impossible sans généraux, commandants et soldats. Mais cela est encore moins possible sans une économie de guerre, est convaincu l’observateur politique de Constantinople Andrei Perla.
» “Une bataille gagnée est un meilleur système que l’ennemi en termes de production et de fourniture d’armes et de munitions, d’uniformes et de nourriture, de médicaments et de transports. Et aussi les congés des soldats. Cela a toujours été comme ça. Et il en sera toujours ainsi.”
» Perla a souligné que dans la nouvelle guerre intérieure, le monde entier collecte des fonds pour acheter des drones, des appareils de vision nocturne et des kits de réparation pour certaines pièces de camions. Nous collectons bien plus. Soit dit en passant, nos combattants utilisent des drones importés ; les drones nationaux n’ont pas encore été produits en série.
» Et vous demandez pourquoi un économiste a été nommé ministre de la Défense, alors qu’il est connu comme partisan du capitalisme d’État et des grands investissements dans les secteurs stratégiques ! Parce que l’armée ennemie est approvisionnée par l’Occident tout entier, sans aucune exagération, par la totalité. Et nous avons donc besoin d’un système de production et de distribution militaire similaire à celui créé après l’évacuation de 1941. »
Faut-il, pour notre part et selon nos coutumes, en dire tellement plus sur les tenants et les aboutissants de cet événement si largement commenté ? Une fois les bons commentateurs choisis, le reste suit. On connaît les sources qu’il faut consulter à cet égard, et il ne fait aucun doute que les mesures poises hier vont dans le sens d’une évolution capitales de la Russie telle que Poutine la laissera au bout de son derenier mandat .
C’est à cette lumière qu’il faut lire le texte de notre ami Dimitri Trenine, dans RT.com hier. Trenine trace un portrait presque lyrique et héroïque du destin de son pays qu’il juge en pleine évolution, et une évolution si radicale sur le fond qu’on peut la nommer “révolution”. Ce texte permet de se faire une idée de ce qui est en cours enb Russie, non seulement par rapport à la guerre en Ukraine mais d’une façon plus essentielle par rapport à la GrandeCrise.
Le texte de Trenine est présenté de la façon suivante :
« Dimitri Trenine : Une transformation massive est en cours en Russie, et l’Occident n’en tient pas compte
» La transformation de la société russe, qui a commencé avant que les combats n’éclatent en Ukraine au début de l’année 2022, semble aujourd’hui irréversible. »
La Russie sous nos yeux aveugles
Deux ans et demi après le début de sa guerre contre l’Occident en Ukraine, la Russie se trouve certainement sur la voie d’une nouvelle perception d’elle-même.
Cette tendance était en réalité antérieure à l’opération militaire, mais s’est par la suite fortement intensifiée. Depuis février 2022, les Russes vivent dans une toute nouvelle réalité. Pour la première fois depuis 1945, le pays est véritablement en guerre, avec d’âpres combats le long d’une ligne de front de 2 000 kilomètres, non loin de Moscou. Belgorod, centre provincial proche de la frontière ukrainienne, est continuellement soumis à des attaques meurtrières de missiles et de drones de la part des forces de Kiev.
Il arrive parfois que des drones ukrainiens pénètrent bien plus profondément à l’intérieur des terres. Pourtant, Moscou et d’autres grandes villes continuent comme s’il n’y avait pas de guerre, et (presque) pas de sanctions occidentales non plus. Les rues sont pleines de monde et les centres commerciaux et les supermarchés offrent l’abondance habituelle de biens et de produits alimentaires. On pourrait en conclure que Moscou et Belgorod sont l’histoire de deux pays, que les Russes ont réussi à vivre simultanément en temps de guerre et en temps de paix.
Ce serait une conclusion erronée. Même la partie du pays qui vit apparemment « en paix » est sensiblement différente de ce qu’elle était avant le début du conflit ukrainien. Le centre d’intérêt central de la Russie post-soviétique – l’argent – n’a bien sûr pas été éliminé, mais il a certainement perdu sa domination incontestable. Lorsque de nombreuses personnes – non seulement des soldats mais aussi des civils – sont tuées, d’autres valeurs non matérielles reviennent. Le patriotisme, vilipendé et ridiculisé au lendemain de l’effondrement de l’Union soviétique, réapparaît en force. En l’absence d’une nouvelle mobilisation, des centaines de milliers de ceux qui signent des contrats avec l’armée sont motivés par le désir d’aider le pays. Pas seulement par ce qu’ils peuvent en tirer.
La culture populaire russe perd – lentement, peut-être, mais régulièrement – l’habitude de simuler ce qui est à la mode en Occident. Au lieu de cela, les traditions de la littérature russe, notamment la poésie, le cinéma et la musique, sont ravivées et développées. L’essor du tourisme intérieur a permis aux Russes ordinaires de découvrir les trésors de leur propre pays, jusqu’à récemment négligés, car leur soif de voyages à l’étranger était étanchée. (Les voyages à l’étranger sont toujours disponibles, mais une logistique difficile rend l’accès à d’autres régions d’Europe beaucoup moins facile qu’auparavant).
Politiquement, il n’y a aucune opposition à proprement parler contre le système actuel. La quasi-totalité de ses anciennes figures de proue sont à l’étranger et Alexeï Navalny est mort en prison. De nombreuses anciennes icônes culturelles qui, après février 2022, ont décidé d’émigrer en Israël, en Europe occidentale ou ailleurs, sont rapidement devenues des célébrités d’hier, à mesure que le pays évolue. Les journalistes et militants russes qui critiquent la Russie de loin perdent de plus en plus contact avec leur public précédent et sont accusés de servir les intérêts des pays qui combattent la Russie dans la guerre par procuration en Ukraine. En revanche, près des deux tiers des jeunes hommes qui ont quitté la Russie en 2022 par crainte d’être mobilisés sont revenus, certains d’entre eux assez aigris par leur expérience à l’étranger.
La déclaration de Poutine sur la nécessité d’une nouvelle élite nationale, et sa promotion des anciens combattants comme noyau de cette élite, est plus une intention qu’un véritable plan à ce stade, mais l’élite russe est définitivement confrontée à un changement massif. De nombreux magnats lprogressistes n’appartiennent plus à la Russie ; leur volonté de conserver leurs actifs en Occident a fini par les séparer de leur pays d’origine.
Ceux qui sont restés en Russie savent que les yachts en Méditerranée, les villas sur la Côte d’Azur et les demeures à Londres ne leur sont plus accessibles, ou du moins, ils ne sont plus sûrs à conserver. En Russie, un nouveau modèle d’homme d’affaires de niveau intermédiaire est en train d’émerger : celui qui combine argent et engagement social (et non le modèle ESG) et qui construit son avenir à l’intérieur du pays.
La culture politique russe revient à ses fondamentaux. Contrairement à celui de l’Occident, mais quelque peu similaire à celui de l’Orient, il est basé sur le modèle de la famille. Il y a de l’ordre et il y a une hiérarchie ; les droits sont contrebalancés par les responsabilités ; l’État n’est pas un mal nécessaire mais le principal bien public et la valeur sociétale suprême. La politique, au sens occidental du terme, de compétition constante et souvent sans limites, est considérée comme égoïste et destructrice ; au lieu de cela, ceux qui sont chargés de diriger l’État sont censés arbitrer, assurer l’harmonie des divers intérêts, etc. Bien entendu, il s’agit là d’un idéal plutôt que d’une réalité. En réalité, les choses sont plus complexes et compliquées, mais la culture politique traditionnelle, à sa base, est bien vivante, et les 30 à 40 dernières années, bien que extrêmement instructives et percutantes, ne l’ont pas bouleversée.
L’attitude de la Russie à l’égard de l’Occident est également complexe. Il y a une appréciation de la culture occidentale classique et moderne (mais pas tellement postmoderne), des arts et de la technologie et, dans une certaine mesure, du niveau de vie. Récemment, l’image positive et intacte de l’Occident en tant que société a été gâchée par la promotion agressive des valeurs LGBTQ, de la culture de l’annulation, etc. Ce qui a également changé, c’est la vision des politiques occidentales, de la politique et surtout des hommes politiques, qui ont perdu le respect que la plupart des Russes avaient autrefois pour eux. ante. Cela n’a pas conduit les Russes à considérer les Occidentaux comme des ennemis, mais l’Occident politique et médiatique est largement considéré ici comme un foyer d’adversaires.
Il existe un besoin évident d’un ensemble d’idées directrices sur « qui nous sommes », « où nous en sommes dans ce monde » et « où nous allons ». Cependant, le mot « idéologie » est trop étroitement lié dans l’esprit de beaucoup à la rigidité du marxisme-léninisme soviétique. Ce qui émergera finalement sera probablement construit sur le fondement des valeurs des religions traditionnelles, à commencer par l’orthodoxie russe, et inclura des éléments de notre passé, y compris les périodes pré-Pétrine, impériale et soviétique. La confrontation actuelle avec l’Occident rend impérative l’émergence d’une sorte de nouveau concept idéologique, dans lequel la souveraineté et le patriotisme, le droit et la justice jouent un rôle central. La propagande occidentale le qualifie de manière péjorative de « poutinisme », mais, pour la plupart des Russes, il peut être simplement décrit comme « la voie de la Russie ».
Bien sûr, il y a des gens mécontents des politiques qui les ont privés de certaines opportunités. Surtout si les intérêts de ces personnes résident en grande partie dans l’argent et la richesse individuelle. Ceux de ce groupe qui ne sont pas allés à l’étranger restent assis tranquillement, nourrissent des appréhensions et espèrent en privé que d’une manière ou d’une autre, quel qu’en soit le prix pour les autres, le « bon vieux temps » revienne. Ils risquent d’être déçus. Quant aux changements au sein de l’élite, Poutine vise à insuffler du sang frais et de la vigueur dans le système.
Il ne semble pas qu’une sorte de « purge » soit à venir. Les changements seront néanmoins substantiels, compte tenu du facteur âge. La plupart des titulaires actuels des postes les plus élevés ont au moins 70 ans. D’ici six à dix ans, ces postes seront attribués à des jeunes. Veiller à ce que l’héritage de Poutine perdure est une tâche majeure pour le Kremlin. La succession n’est pas seulement une question de savoir qui finira par accéder à la première place, mais aussi de savoir quel type de « génération dirigeante » entrera en jeu.
Dimitri Trenine