Provenant d’un pays, l’Algérie, où le racisme fut jusqu’à la veille de son indépendance la loi fondamentale qui donnait le droit à un million de Français de cracher soir et matin du « sale arabe » sur neuf millions d’autochtones déchus de leur dignité et de leur statut de citoyens à part entière et livrés aux ratonnades, aux corvées de bois et autres sévices exercés à merci par l’armée et la police françaises, j’éprouve des ressentiments à chaque campagne médiatique lancée dans le but de cultiver la mémoire de la Shoah. J’ai chaque fois le sentiment que les souffrances passées des Juifs européens sont exploitées à dessein, comme pour jeter un voile sur les crimes dont ont été victimes les Arabes durant l’époque coloniale. époque qui est pourtant encore si proche de nous, vu que ses plaies ont du mal à cicatriser.
Époque triste et douloureuse des pays arabes qui, du Maroc à l’Égypte, du Yémen à l’Irak, étaient livrés à la puissance de la France ou de la Grande-Bretagne, lesquelles décidaient de leur sort selon les vœux, les desseins et les caprices du colonisateur. Seuls ceux-ci réglaient la vie d’un monde arabe dont les habitants étaient condamnés à vivre à genoux ou à mourir vu qu’ils n’avaient plus voix au chapitre pour décider de leur propre destin. C’est qu’aux yeux du colon ils étaient décidément incapables de prendre leurs affaires en main… Leur « infériorité raciale » et leur « civilisation primaire » ne les avaient-elles pas fait tomber dans sa dépendance ? Car, n’était-il pas écrit alors dans certains livres scolaires fleurant l’eugénisme développé par des anthropologues tels que Georges Vacher de Lapouge, que la race blanche (celle d’origine européenne bien entendu) était « la plus parfaite ». Comme en avait été du reste convaincu le philosophe Ernest Renan, au point qu’il n’hésita pas à étaler sa profession de foi dans son ouvrage La Réforme intellectuelle et morale paru en 1871. Ainsi, écrit-il : « La nature a fait une race d’ouvrier. C’est la race chinoise, d’une dextérité de main merveilleuse, sans presque aucun sentiment d’honneur ; gouvernez-la avec justice en prélevant d’elle pour le bienfait d’un tel gouvernement un douaire au profit de la race conquérante, elle sera satisfaite ; une race de travailleurs de la terre, c’est le nègre : soyez pour lui bon et humain, et tout sera dans l’ordre ; une race de maîtres et de soldats, c’est la race européenne. Que chacun fasse ce pour quoi il est fait et tout ira bien ». Elle seule était donc capable de tenir les rênes du pouvoir et de gouverner le monde ; et le sentiment de supériorité de la race avait survécu malgré tout aux horreurs de la Seconde Guerre mondiale ! Le mythe de la race des seigneurs ne s’était pas éteint et l’Europe était de toute évidence encore loin d’avoir reçu l’immunité contre le racisme.
Dans sa tentative de refouler son antisémitisme ancestral et culturel, qui n’était pas l’exclusivité des nazis, tant s’en faut, elle finira par transférer son mépris du Juif sur l’Arabe. Après avoir tenté de régler la question juive par le génocide en donnant un coup de main à Hitler, tantôt franc et clair quand il venait de Pétain, plutôt discret et inavoué quand il était l’œuvre de Pie XII, elle s’en revint à la solution moins radicale, moins brutale, et moralement acceptable, car « plus rationnelle » ou « plus humaine », du foyer juif – qui était en soi le paroxysme du camp de concentration ! – préconisé par le Premier ministre britannique, Lord Arthur James Balfour en 1917. Les Juifs, à ses yeux, posaient problème ; aussi pensait-il qu’il fallait les extirper du tissu social européen, donc les éloigner en les déportant… Du reste, le même Balfour était de ceux qui avaient lancé une campagne médiatisée pour s’opposer fermement à l’entrée en Grande-Bretagne d’immigrants juifs en provenance d’Europe orientale où sévissaient les pogroms. Et à cette même époque d’aucuns, comme notamment Joseph Chamberlain, Premier ministre britannique, songeaient et suggéraient de les expédier en Ouganda. D’autres pensaient à l’Argentine…
La création de l’État d’Israël en Palestine en 1948 était donc pour les Européens, d’une manière ou d’une autre, le prix de la bonne conscience. Il leur fallait bien se laver de l’infamie en restituant aux Juifs d’Europe le droit de citoyenneté pour lequel ils avaient payé le lourd tribut de la Shoah. La compensation est même allée plus loin, puisque dans beaucoup de cas elle s’est concrétisée par l’attribution d’une supranationalité, qui permet à des Juifs sionistes d’avoir une double nationalité et d’occuper de cette façon, dans différents pays occidentaux, des postes de haute responsabilité de sorte à influencer la politique de ces pays en faveur d’Israël. C’est que, pour en arriver là, à entendre des médias occidentaux tombés sous le charme irréversible de la propagande sioniste, le prix fut très cher. Il est jeté à la face du monde avec un sentiment de culpabilité qui empêche de douter, de penser, de réfléchir et d’essayer de comprendre qu’un tel chiffre, un chiffre aussi effarant, clamant dans un souffle dispensateur d’épouvante que 6 millions de Juifs furent éliminés dans les camps de concentration est tout simplement irréel, parce que pratiquement tous les Juifs d’Europe auraient été alors exterminés, de sorte qu’aujourd’hui l’Europe ne compterait à peu près pas l’ombre d’un ressortissant israélite. Et l’État d’Israël n’aurait pas eu de raison d’exister. Aussi est-il utile de rappeler que d’une part toute l’Europe occidentale et orientale concernée par ce chiffre ne comptait pas à l’époque autant de ressortissants israélites. Que par ailleurs, ceux d’Union soviétique où leur communauté comptait 2 millions et demi d’individus ou ceux de Grande-Bretagne (300 000 alors) n’étaient pas concernés par la Shoah. Que ceux de France furent pour la plupart protégés par leurs amis français ; ceux d’Italie, dont la communauté ne comptait pas plus de 40 000 âmes, furent certes atteints dans leurs droits par les lois raciales que Mussolini décréta en 1938, mais épargnés dans leur vie, et enfin très nombreux furent ceux qui réussirent à fuir leurs pays d’origine, à commencer par l’Allemagne, où du reste sionistes et nazis avaient signé en 1933 l’accord dit de Haavara favorisant le départ des Juifs et de leurs capitaux vers la Palestine où, à la fin de la guerre, environ 700 000 vont arriver et s’installer. Il faut aussi tenir présent à l’esprit que le chiffre effarant de 6 millions concerne principalement les pays d’Europe centrale (Pologne, Hongrie, Roumanie) d’où, par ailleurs, un très grand nombre avait fui, à l’instar des Juifs allemands qui quittèrent leur pays au lendemain de la proclamation des lois raciales, et s’était réfugié, les uns en Suisse ou aux États-Unis, les autres au Brésil, en Argentine ou bien en Australie, etc. Et donc bien avant que fût décidée et mise en marche par les nazis et leurs alliés « la solution finale » en 1942…
Du reste, l’historien israélien Schomuel Krakowski, directeur des archives de l’Institut Yad Vashem de Jérusalem, avait confirmé en juillet 1990 le chiffre d’un million six cent mille Juifs morts à Auschwitz publié par l’historien polonais Francisek Piper sur le quotidien Gazeta Wyborcza de Varsovie. En fait, il s’était avéré que même le nombre de quatre millions de victimes, toutes origines confondues – alors qu’il a été longtemps véhiculé comme étant celui des seuls Juifs exterminés dans ce camp ! –, inscrit sur la plaque commémorative posée à l’entrée du camp était exagérément faux.
Cette rectification, à elle seule, donne un éclairage nouveau sur ce chapitre sombre de la Seconde Guerre mondiale et invite à prendre en considération les écrits et les statistiques de Paul Rassinier – lui-même interné aux camps de Buchenwald et de Dora-Mitelbau –, qui affirme dans son livre Le drame des juifs européens qu’il « n’a pas pu y avoir plus de 1 200 000 Juifs tués ou morts pendant la Deuxième Guerre mondiale ».
Et puis, il n’est pas inutile de rappeler que les camps de concentration étaient avant tout des camps d’esclavagisme, entre autres créés pour fournir les industries allemandes en main-d’œuvre forcée et gratuite prélevée sur les habitants des pays occupés. Par ailleurs, la propagande sioniste autour des camps de concentration nazis a été relayée et renforcée par une Union soviétique qui avait opté de les mettre en exergue dans le but d’occulter ses propres tares et de jeter un voile sur les goulags staliniens.
Il ne s’agit pas ici, en faisant ces rappels, de diminuer la gravité du crime. Car le génocide, au-delà du nombre de personnes massacrées, tient plus son infamie de son exécution que du nombre de ses victimes. Ce n’est pas parce que le nombre de gitans qui finirent dans les fours crématoires d’Auschwitz ou de Buchenwald s’élèverait à « seulement » 500 000 qu’il n’y eut pas génocide.
Que dire alors des millions de Slaves qui connurent cette même fin ignoble et infâme dans les différents camps de concentration nazis ! Pourtant ces millions de personnes, Tziganes, Polonais, Russes et autres Slaves tués par les nazis ont été bel et bien tués par les nazis. Aucun négationnisme – et il ne s’agit pas ici de vouloir relayer un négationnisme de sorte, quelque qu’il fût ! – n’a élevé la voix pour le contester. Peut-être parce qu’en ce qui les concerne aucun martyrologe n’est venu ni ne vient solliciter, avec le désir de la torturer, la conscience de l’Europe. Sans doute parce que dans ces cas-ci on n’avait pas besoin d’un martyrologe à mettre au service d’une idéologie.
Et il faut bien convenir et tenir présent à l’esprit que le culte des martyrs a aidé et aide le sionisme à se renforcer. De fait, le sionisme, idéologie fondatrice d’Israël, a trouvé dans la Shoah le bouclier – d’autant plus efficace si le nombre des victimes est effrayant – pour parer les éventuelles agressions dirigées contre l’État hébreu, et par-delà les atteintes à son existence, les condamnations de ses actes quand ceux-ci sont accomplis en contravention aux règles et aux lois qui régissent les rapports internationaux et qui devraient garantir la paix universelle.
Ainsi, le martyrologe des sionistes a permis d’occulter pendant plus de cinquante ans, c’est-à-dire jusque longtemps après la fin de l’ère coloniale, le drame et les souffrances des Palestiniens et les crimes dont était et est toujours victime ce peuple, au moyen d’une tragédie et d’un martyre qui figurent désormais au nombre des tristes et regrettables cataclysmes et fléaux dont est parsemée l’histoire de l’humanité, comme le massacre des Incas par les conquistadors espagnols, qui ne peuvent tomber dans l‘oubli. *
* Texte extrait de l’avant-propos du livre L’Injustice et la trahison, publié par Edilivre-Aparis en 2013.