Interview de Sergueï Lavrov, Ministre des Affaires étrangères de la Fédération de Russie, à des médias russes et étrangers, Moscou, 26 décembre 2024. Texte intégral.
Sergueï Lavrov
Question: Bien sûr, la question principale actuellement concerne les négociations. On entend beaucoup de voix dans le milieu diplomatique, des experts, etc. En bref, on nous pousse activement vers la paix. Mais avec qui négocier maintenant à Kiev? Le futur envoyé spécial du Président élu des États-Unis Donald Trump pour l’Ukraine, Keith Kellogg, a proposé une initiative. Comment voyez-vous la situation sur cette question?
Sergueï Lavrov: Beaucoup a déjà été dit à ce sujet. Le Président Vladimir Poutine a abordé cette question à plusieurs reprises, notamment lors de la Ligne directe, et avant cela lors de la réunion du Club de discussion international Valdaï et d’autres évènements.
Nous ne pouvons pas nous contenter de discussions vides. Jusqu’à présent, tout ce que nous entendons, ce sont des discussions sur la nécessité d’inventer une sorte de cessez-le-feu. De plus, on ne cache pas que celui-ci est nécessaire pour gagner du temps afin de continuer à approvisionner l’Ukraine en armes, pour qu’ils puissent « s’en remettre », effectuer une mobilisation supplémentaire, etc.
Un cessez-le-feu est une impasse. Nous avons besoin d’accords juridiques définitifs qui fixeront toutes les conditions pour assurer la sécurité de la Fédération de Russie et les intérêts légitimes de sécurité de nos voisins. Mais dans un contexte qui établira, par des moyens juridiques internationaux, l’impossibilité de violer ces accords. Et ils doivent traiter des causes premières de la crise ukrainienne. Les deux principales sont, premièrement, la violation de tous les engagements de ne pas étendre l’Otan vers l’est et l’absorption agressive par l’Otan de tout l’espace géopolitique jusqu’à nos frontières. L’Ukraine était destinée à ce sort. Et on continue d’en parler aujourd’hui. La deuxième cause première est les actions absolument racistes du régime de Kiev après le coup d’État. À l’époque, l’extermination de tout ce qui était russe a été officiellement autorisée puis légalisée: la langue, les médias, la culture, et même l’utilisation de la langue russe dans la vie quotidienne. Et, bien sûr, l’interdiction de l’Église orthodoxe ukrainienne canonique.
On nous dit que la Russie pose des conditions préalables. Ce ne sont pas des conditions préalables, mais des exigences de mise en œuvre de ce qui avait été convenu auparavant. Comme il s’avère, on nous a menti lorsqu’on nous a assuré que l’Otan ne s’étendrait pas vers l’est. Et lorsqu’ils soulignaient leur engagement à un règlement basé sur la Charte de l’ONU. En oubliant catégoriquement que cette Charte ne contient pas seulement la confirmation du principe d’intégrité territoriale. Il y a aussi le principe d’égalité et d’autodétermination des peuples. De plus, l’Assemblée générale a longtemps examiné l’interdépendance entre ces principes et a décrété par consensus, dans sa sagesse, qu’il fallait respecter l’intégrité territoriale de tous les États dont les gouvernements respectent le principe d’autodétermination et, de ce fait, représentent toute la population vivant sur le territoire en question.
Comment le régime nazi de Kiev peut-il représenter les intérêts des Criméens, des habitants du Donbass, de la Nouvelle-Russie, qu’il a immédiatement déclarés terroristes après le coup d’État et contre lesquels il a lancé une « opération antiterroriste » militaire?
Les initiatives de la Chine, du Brésil sur la crise ukrainienne, elles soulignent toutes la nécessité de respecter la Charte de l’ONU. De temps en temps, le principe d’intégrité territoriale est mentionné. Nous disons à nos amis chinois, brésiliens et aux autres pays qui coopèrent à la promotion de cette initiative dictée par les meilleures intentions que la Charte de l’ONU est beaucoup plus multiforme que le simple principe d’intégrité territoriale. Le principe d’autodétermination des peuples n’est pas moins important. Sans lui, il y aurait probablement eu des problèmes avec la décolonisation des peuples africains et autres. C’est précisément ce principe qui est devenu la base juridique internationale de la décolonisation. Et elle a reflété le refus, l’disposition, l’impossibilité des peuples africains de vivre sous l’administration des colonisateurs.
De la même manière, la population de Crimée, du Donbass et de la Nouvelle-Russie ne veut pas, ne peut pas et ne vivra jamais sous l’administration des nazis qui ont pris le pouvoir à Kiev. Par conséquent, le principe d’autodétermination des peuples entre en vigueur. Ils se sont autodéterminés. Les Criméens en 2014, le Donbass et la Nouvelle-Russie en 2022. Ce sont déjà des réalités reflétées dans notre Constitution.
Si nous voulons parler sérieusement, nous devons traiter les principes de la Charte de l’ONU non pas sélectivement, mais dans leur intégralité et leur interconnexion. Bien sûr, sans oublier le principe du respect des droits de l’homme si cher à l’Occident. Ce n’est pas eux qui l’ont inventé, c’est écrit dans la Charte de l’ONU. Le tout premier article de la Charte stipule que tous sont tenus de respecter les droits de l’homme indépendamment du sexe, de la race, de la langue et de la religion. La langue russe a été légalement éradiquée en Ukraine. Quant à la religion, l’Église orthodoxe ukrainienne canonique est interdite. Par conséquent, je considère que tous ceux qui veulent sincèrement aider à chercher les bases d’un règlement de la crise ne peuvent pas ignorer ses causes premières.
Je rappelle que le Président chinois Xi Jinping, dans son initiative sur la sécurité globale en février 2023, consacrée à tous les conflits et aux principes de leur règlement, a particulièrement souligné dans le texte de ce document la nécessité de voir et d’éliminer les causes premières de tout conflit pour le régler.
Vous avez mentionné Keith Kellogg, qui est annoncé comme futur représentant spécial du Président Trump pour l’Ukraine. Il a récemment déclaré qu’ils avaient vu une tentative de la Russie et de l’Ukraine de négocier dans le cadre du processus de Minsk, qui a échoué. Par conséquent, dit-il, nous ne la répéterons pas. Bien sûr, Keith Kellogg devra encore approfondir le dossier ukrainien, mais les accords de Minsk n’étaient pas une tentative. C’étaient des documents signés, garantis par une déclaration supplémentaire des dirigeants de la Russie, de l’Ukraine, de la France et de l’Allemagne. Elle stipulait que la sécurité euro-atlantique tiendrait compte des intérêts de tous les pays, que les efforts reprendraient pour créer un espace unique de l’Atlantique au Pacifique. Beaucoup de choses y étaient dites. Rien de ce qui était écrit dans cette déclaration ainsi que dans le document de Minsk lui-même concernant les obligations du régime ukrainien n’a été mis en œuvre. Pourtant, ce document avait été approuvé, signé au plus haut niveau et approuvé à l’unanimité par le Conseil de sécurité de l’ONU.
« Raisonner, lire dans le marc de café est probablement prématuré maintenant. J’espère que l’administration Trump, comprendra les causes premières du conflit. »
Keith Kellogg doit probablement approfondir cette question. Les accords de Minsk n’étaient pas une tentative. C’était une décision du Conseil de sécurité de l’ONU qui a été piétinée avec l’encouragement des États-Unis. Piotr Porochenko (qui signait alors le document en tant que président de l’Ukraine) et les anciens dirigeants de l’Allemagne et de la France, Angela Merkel et François Hollande. Tous les trois ont avoué il y a deux ans qu’ils n’avaient pas l’intention de les mettre en œuvre. Il fallait du temps pour armer l’Ukraine. Et maintenant, toutes ces mêmes idées flottent dans l’air, qui sont beaucoup moins contraignantes que les accords de Minsk. Elles poursuivent le même objectif, à savoir gagner du temps pour le régime nazi.
Comme l’a dit le Président Vladimir Poutine, nous sommes prêts à examiner toute proposition sérieuse et concrète. Raisonner, lire dans le marc de café est probablement prématuré maintenant. J’espère que l’administration Trump, y compris Keith Kellogg, comprendra les causes premières du conflit.
Nous sommes toujours prêts à mener des consultations. Si quelqu’un ne comprend pas notre position exposée à plusieurs reprises et avec une clarté maximale, nous sommes toujours prêts à réaffirmer cette position. Nous sommes ouverts à toute négociation si elle porte sur le fond, sur les causes premières et sur les principes dont a parlé le Président Vladimir Poutine en juin de cette année, lors de son intervention au Ministère des Affaires étrangères. Je souligne particulièrement qu’il ne s’agit pas de conditions préalables. C’est l’exigence d’appliquer ce que tout le monde a signé en adoptant la Charte des Nations unies.
Question: Dans une récente interview, vous avez dit que l’environnement devient toxique quand quelqu’un vous voit parler avec un Américain ou un Européen. Les Européens s’enfuient même quand ils vous voient. Avec une telle attitude des responsables politiques occidentaux, est-il possible de résoudre des problèmes internationaux sérieux? À l’heure actuelle, la diplomatie comme instrument de politique étrangère fonctionne-t-elle encore dans la vie internationale?
« La « diplomatie occidentale » se résume à des menaces, des sanctions, des punitions et du chantage. »
Sergueï Lavrov: Concernant les méthodes qu’emploient actuellement nos collègues occidentaux dans les relations internationales, on pourrait beaucoup se lamenter, mais c’est inutile. Ils ont pris une décision politique consistant à isoler la Russie dans tous les sens du terme. Des exigences insensées sont imposées à d’autres pays: ne pas rencontrer les représentants russes, ne pas les recevoir, ne pas leur rendre visite, arrêter de commercer, acheter des hydrocarbures plus chers à leur détriment. Voilà ce que sont maintenant les méthodes de la « diplomatie occidentale », qui se résume à des menaces, des sanctions, des punitions et du chantage.
Josep Borrell, qui a récemment quitté son poste de Haut représentant de l’UE pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, a récemment déclaré (n’étant plus contraint par ses obligations officielles) que l’Occident n’avait pas réussi à isoler la Russie. L’Union européenne a promis d’aider Kiev aussi longtemps que nécessaire, mais rien n’est illimité. Parlant des sanctions, il a dit directement que la Chine avait remplacé l’Europe et le G7 dans les relations commerciales et économiques avec la Russie. Je suis sûr que Josep Borrell n’a pas eu cette « révélation » la semaine dernière. Tout le monde savait toujours que les sanctions occidentales nuisent aux populations des pays qui les appliquent.
Il y a eu récemment un ouragan en Amérique, que le Président Joe Biden n’a d’abord pas « remarqué », mais il s’y est ensuite rendu. Il y a eu des versements dérisoires de 700 dollars par personne. Il y a eu des protestations massives concernant le fait qu’avec une telle attitude envers leurs propres citoyens, plus de 150 milliards de dollars avaient été alloués à l’Ukraine ces deux dernières années. En France aussi il y a eu une mauvaise récolte, une crise agricole, les agriculteurs ont protesté. L’industrie allemande s’est simplement effondrée, elle s’est écroulée.
C’est à eux de voir comment se comporter. Les Américains ont cette politique consistant à éliminer les concurrents. Maintenant ils « éliminent » la Russie, et commencent déjà à faire la même chose avec la Chine. Ils limitent les livraisons de diverses puces à la Chine, d’éléments de microélectronique, voulant freiner le développement technologique. Le peuple chinois, comme le peuple russe, fera quand même ce qui est nécessaire pour son développement. Mais ces méthodes sont absolument claires.
Outre nous et la Chine, l’Europe est aussi devenue dans une large mesure victime de la politique des États-Unis visant à éliminer tout concurrent. Nous voyons tout cela. Nous sommes prêts (nous l’avons déclaré à plusieurs reprises) à parler avec tous les représentants occidentaux disposés à un dialogue d’égal à égal, à la recherche d’un équilibre des intérêts, à des accords mutuellement avantageux. De tels représentants existent. C’est la Hongrie, la Slovaquie. D’autres membres de l’Union européenne commencent aussi à demander des conversations confidentielles. Mais peu osent le faire ouvertement.
Une « discipline de fer » est appliquée en Union européenne. La nouvelle chef de la diplomatie européenne Kaja Kallas dicte à tous comment se comporter. Nous verrons dans quelle mesure la bureaucratie bruxelloise, que tout le monde compare déjà à une version plus dure du système autoritaire soviétique, sera capable de convaincre les pays membres qu’elle connaît mieux qu’eux l’état d’esprit de leur population et les besoins de ces peuples.
Question: La Chine et la Russie travaillent à consolider la majorité mondiale et unissent les forces du Sud global. Lors du sommet des Brics à Kazan, notre média, avec VGTRK, a organisé une table ronde des médias des pays des Brics, où les participants se sont unanimement prononcés pour la création d’un mécanisme d’accès à une information objective et équitable. En 2025, la Chine accueillera le sommet de l’OCS. Nous célébrerons ensemble le 80e anniversaire de la Victoire sur le fascisme. Quelles mesures les pays du Sud global, avec la Chine et la Russie, devraient-ils prendre, selon vous (y compris dans le domaine des médias), pour protéger l’ordre international d’après la Seconde Guerre mondiale et la paix mondiale?
Sergueï Lavrov: Nous comprenons parfaitement que la Russie et la Chine (c’est largement reconnu) représentent véritablement un facteur stabilisateur dans les relations internationales.
À titre d’exemple de l’influence positive de Pékin et de Moscou sur la situation internationale, je citerai l’interaction au sein des Brics. Cette organisation réunit des pays représentant différents continents, civilisations, religions et cultures. Et tout cela s’inscrit harmonieusement dans les accords régulièrement convenus au sein de l’organisation, qui couvrent sans exagération tous les domaines d’activité, le secteur politique, les questions militaro-politiques, la sécurité, l’économie, la culture, l’éducation, bref, tous les domaines de l’activité humaine.
La popularité des Brics est énorme. Des délégations de 35 États et les dirigeants de 6 organisations multilatérales, y compris l’Organisation des Nations unies, étaient présentes au sommet de Kazan. Une telle représentation témoigne de l’autorité de cette structure, de l’intérêt croissant pour le rapprochement avec l’organisation d’autres organisations du Sud global et de l’Est, qui maintiennent une ligne indépendante dans les affaires internationales.
Je suis convaincu que le développement durable d’un monde multipolaire est impossible sans établir des interactions entre ces organisations d’un nouveau type, où il n’y a pas de « meneurs » et de « menés », de « chefs », pas d’ordres à exécuter, comme nous l’observons dans l’Union européenne et l’Otan.
J’espère que le monde multipolaire implique la participation de nos collègues occidentaux à ces processus. Ils ne disparaîtront pas de notre planète. Mais comment ils se positionneront, comment ils survivront à une telle perte psychologique difficile de la domination dont ils ont joui pendant un demi-millénaire – cela dépend de leur culture politique, de la compréhension de leur place réelle dans la vie moderne et de leur capacité à agir conformément à cette place réelle tout en respectant les intérêts légitimes et les réalisations d’autres pays, y compris les États des Brics.
Concernant l’aspect informationnel du travail de l’organisation, nous partons du principe qu’il est nécessaire d’expliquer les principes sur lesquels fonctionnent les Brics, sur lesquels repose son travail d’information. Trop de rumeurs et de fakes délibérés sur les activités de notre organisation sont diffusés en Occident pour détourner des Brics les pays du Sud global situés sur tous les continents d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine.
La promotion de l’interaction informationnelle est importante pour renforcer les positions de l’organisation et du Sud global en général dans les structures universelles. Il s’agit de l’ONU, de la Coopération économique pour l’Asie-Pacifique, de l’OCS, du G20 et d’autres formats. Dans tous ces formats, le tandem russo-chinois joue un rôle important et fédérateur pour les États du Sud global.
Vous avez mentionné le prochain anniversaire de la Victoire dans la Seconde Guerre mondiale. Nos pays, la Chine et la Russie, ont encaissé le choc principal du fascisme allemand et du militarisme japonais, ont subi les plus grandes pertes dans la Seconde Guerre mondiale. Nos dirigeants sont convenus de célébrer dignement les prochaines dates anniversaires, à savoir le 80e anniversaire de la Victoire dans la Grande Guerre patriotique et dans la Seconde Guerre mondiale en Europe le 9 mai 2025, et le 3 septembre 2025 le 80e anniversaire de la Victoire dans la Seconde Guerre mondiale en Extrême-Orient.
Je suis convaincu que les structures d’information des Brics et d’autres organisations où nous coopérons avec la Chine couvriront ces évènements dignement et largement.
Nous souhaitons le renforcement de la coopération médiatique dans le cadre des Brics. En septembre de cette année à Moscou, pendant la présidence russe, s’est tenu le Sommet des médias, organisé par TASS avec le soutien de la Chine. Des représentants de 60 médias de 45 pays y étaient présents. En octobre de cette année s’est tenue la table ronde Dialogue des médias des Brics que vous avez mentionnée à l’Université de Kazan. Je suis convaincu que de tels évènements doivent être réguliers et plus fréquents.
Cela crée des plateformes alternatives pour l’accès à l’information pour la population du Sud global et de l’Est et pour les citoyens intéressés des pays occidentaux (et ils sont de plus en plus nombreux) qui voudraient connaître la vérité sur ce qui se passe au-delà du périmètre de l’Union européenne et de l’Otan.
Question: La Russie affirme constamment qu’elle est prête aux négociations. Il y a quelques minutes, vous l’avez encore confirmé. Le Président russe Vladimir Poutine a déclaré lors d’une conférence de presse que Moscou était prêt à négocier avec les autorités légitimes, ce que Vladimir Zelenski n’est pas. Avec qui alors négocier? Comment Moscou voit-il l’issue de l’opération militaire spéciale?
Sergueï Lavrov: Concernant la légitimité des autorités ukrainiennes actuelles, le Président Vladimir Poutine a clairement dit lors de la Ligne directe que les Ukrainiens devaient régler cela eux-mêmes, pour mettre la situation à Kiev en conformité avec la Constitution ukrainienne. S’ils veulent avoir un président légitime, il faut organiser des élections.
Selon la Constitution de l’Ukraine, comme l’a expliqué Vladimir Poutine, seul le parlement et son président possèdent la légitimité. Mais il est prématuré d’en parler. Le plus important n’est pas de choisir une équipe de négociation du régime de Kiev, mais de comprendre les causes premières de cette crise, que nous voulons éliminer. Et sans leur élimination, aucun accord n’est possible.
« J’espère que tout le monde comprend qu’une suspension temporaire des hostilités, pour reprendre le conflit après un certain temps, est inacceptable. »
Je me suis arrêté en détail sur ces causes premières, j’espère que tous ceux qui sont intéressés par l’avancement des négociations comprennent de quoi il s’agit. Je répète, ce ne sont pas des conditions préalables. C’est ce que tous les participants à ce processus et à ce conflit auraient dû accomplir depuis longtemps conformément aux engagements déjà pris, y compris selon la Charte de l’ONU, dont les principes doivent être appliqués dans leur intégralité et leur interconnexion.
Ceci étant, nous sommes ouverts à toute proposition sérieuse. J’espère que tout le monde comprend qu’une suspension temporaire des hostilités, pour reprendre le conflit après un certain temps, est inacceptable.
Nous insistons sur la nécessité de mettre définitivement fin au conflit sur une base durable et juridiquement irréprochable en éliminant ses causes premières. J’espère que la compréhension qu’il n’y a pas d’alternative à une telle approche se renforcera.
Question: Moscou affirme également qu’il mène des négociations avec les nouvelles forces qui contrôlent le pouvoir en Syrie. Comment peut-on caractériser ces négociations? Comment voyez-vous les futures relations entre Moscou et Damas?
Sergueï Lavrov: Concernant la Syrie, nous n’avons pas rappelé nos diplomates de Damas. Notre Ambassade continue d’y travailler, comme beaucoup d’autres.
Nous maintenons des contacts avec les nouvelles autorités syriennes par le biais de notre représentation diplomatique. Nous discutons des questions pratiques concernant la sécurité des citoyens russes et le fonctionnement de notre ambassade en toute sécurité. Nous souhaitons et sommes prêts au dialogue sur d’autres questions de nos relations bilatérales et de l’agenda régional.
« Nous avons apporté une grande contribution à la libération de la Syrie de la dépendance coloniale, à la formation des cadres. Des dizaines de milliers de Syriens ont fait leurs études chez nous. Actuellement, 5.000 citoyens syriens étudient dans notre pays. Nous serons prêts à développer cette interaction. »
Comme l’a souligné le Président russe Vladimir Poutine, nous sommes ouverts aux contacts avec toutes les forces socio-politiques actives en Syrie. Nous maintenons ces contacts depuis assez longtemps déjà. Jusqu’aux récents évènements, ces contacts existaient avec la plupart d’entre elles.
Je note que le chef des nouvelles autorités syriennes Ahmed al-Chara s’est récemment exprimé. Il a accordé une interview à la BBC dans laquelle il a qualifié les relations entre nos pays de longue date et stratégiques. Nous partageons cette approche. Nous avons beaucoup en commun avec nos amis syriens.
Nous avons apporté une grande contribution à la libération de la Syrie de la dépendance coloniale, à la formation des cadres. Des dizaines de milliers de Syriens ont fait leurs études chez nous. Actuellement, 5.000 citoyens syriens étudient dans notre pays. Nous serons prêts à développer cette interaction.
J’espère que sur les questions de coopération économique et d’investissement, où nous avons déjà certains acquis des années précédentes, nous pourrons reprendre le travail avec les nouveaux dirigeants, une fois que la nouvelle structure du pouvoir se sera définitivement stabilisée.
C’est un processus complexe. C’est une période de transition qui, comme il a été annoncé, est une préparation aux élections. Il faudra convenir des bases de la campagne électorale. Tous les pays principaux soulignent la nécessité de le faire de manière à ce que le processus soit inclusif, que tous les groupes politiques et ethno-confessionnels du peuple syrien puissent y participer.
Je répète que c’est un processus complexe, mais nous sommes prêts à y contribuer, notamment dans le cadre du Conseil de sécurité de l’ONU, des activités du format d’Astana, où la Russie, avec la Turquie et l’Iran et avec la participation de plusieurs pays arabes, est prête à jouer un rôle pour soutenir la consolidation de tous les processus en Syrie et l’organisation des élections de manière à ce qu’elles soient reconnues par tous et ne soulèvent aucune question.
Sur ce sujet, nous avons des contacts avec l’Arabie saoudite, l’Irak, la Jordanie, l’Égypte, le Qatar, les Émirats arabes unis, Bahreïn et le Liban. Tous souhaitent que la Syrie ne connaisse pas le même sort que l’État libyen après que l’Otan l’a détruit, le pays doit encore être « recollé ». Cela ne réussit pas très bien pour l’instant.
« Les Américains ont illégalement occupé une partie importante du territoiresyrien, où se trouvent les principaux gisements de pétrole, les terres les plus fertiles. Tout cela est extrait et exporté. L’argent va au soutien des structures séparatistes que les Américains ont créées dans l’est de l’État syrien. »
Le rôle que joueront les voisins de la Syrie est important. Nous avons entendu la déclaration du Président turc Recep Tayyip Erdogan. Nous comprenons les préoccupations légitimes des autorités et du peuple turcs concernant la sécurité à la frontière avec la Syrie, où il y a déjà eu plusieurs incidents liés à des structures terroristes qui y ont semé le désordre.
Ces intérêts légitimes de sécurité doivent être assurés de manière à ce que la Syrie conserve sa souveraineté, son intégrité territoriale et son unité. Recep Tayyip Erdogan s’exprime en faveur de cela. Nous soutenons cela.
Il est important de régler la situation dans l’est de la Syrie. Les Américains y ont illégalement occupé une partie importante du territoire, où se trouvent les principaux gisements de pétrole, les terres les plus fertiles. Tout cela est extrait et exporté. L’argent va au soutien des structures séparatistes que les Américains ont créées dans l’est de l’État syrien. Il faut en tenir compte. On ne peut pas permettre l’éclatement de la Syrie en morceaux. Certains le souhaiteraient.
Il est important qu’Israël comprenne sa responsabilité dans les efforts communs et n’essaie pas d’assurer sa sécurité aux dépens de la sécurité des autres. Ce principe a été proclamé il y a assez longtemps, il s’agit du principe de l’indivisibilité de la sécurité. On ne peut pas espérer qu’en détruisant toutes les installations militaires du voisin, il sera possible de vivre en paix jusqu’à la fin des temps. Cela s’appelle « semer la tempête », qui reviendra inévitablement vers ceux qui le font.
Question: L’Amérique latine et la Russie sont liées depuis longtemps par de grandes sympathies historiques, culturelles et humaines. Quelles mesures concrètes la Russie prendra-t-elle au cours de l’année 2025 et à terme pour renforcer nos liens? Quelles sont les priorités de la politique russe dans la région latino-américaine?
Sergueï Lavrov: Vous avez tout à fait raison. Les relations entre la Russie et les pays d’Amérique latine et des Caraïbes sont traditionnellement amicales. Les Russes et les Latino-Américains ont depuis longtemps une sympathie mutuelle. Le respect mutuel se manifeste également dans l’attitude envers la culture mondiale et la culture de chacun. Cela lie étroitement nos peuples.
La grande majorité des pays d’Amérique latine nous font savoir qu’ils souhaitent renforcer et élargir leur partenariat avec la Fédération de Russie. Le dialogue et la coopération sur les questions politiques, par la voie diplomatique, dans les domaines économique, culturel et social se développent activement. L’interaction entre les régions de nos pays et même entre les municipalités s’améliore.
Il s’agit d’une structure d’interaction ramifiée. Nous sommes prêts à l’approfondir autant que possible, à le développer dans la mesure où les pays latino-américains eux-mêmes le souhaitent.
Nos relations sont basées sur l’égalité, le bénéfice mutuel et le respect. Il n’y a pas d’idéologie ou de doctrine, qu’il s’agisse de la doctrine Monroe ou autre.
Nous notons qu’au cours des quatre dernières années de son mandat, l’administration Biden a déclaré à plusieurs reprises par l’intermédiaire de ses porte-parole qu’elle était préoccupée par le fait que la Russie ait envoyé une délégation au Nicaragua ou au Venezuela et que cela, selon elle, crée des risques pour la sécurité des États-Unis.
Mais il faut avoir une conscience. Parce que tout le monde comprend parfaitement les risques que les États-Unis créent pour la sécurité d’autres pays, ayant plusieurs centaines de bases militaires dans plus de 100 pays, et en interdisant à quiconque d’entretenir des relations avec la Fédération de Russie. C’est une approche contre-productive. J’espère que la nouvelle administration à Washington en est consciente.
Nous avons de bons projets pour l’année prochaine. Un certain nombre de visites mutuelles sont prévues, nous développons non seulement des relations bilatérales, mais aussi avec des structures régionales telles que la Celac, l’Alba, le Sica, le Mercosur, la Caricom et bien d’autres.
Nous pensons que l’année sera riche en évènements. D’autant plus que dans les mois à venir, nous aurons une série d’anniversaires de l’établissement des relations diplomatiques entre la Russie et les États d’Amérique latine: en mars 2025 – avec le Venezuela et la République dominicaine, en avril 2025 – avec le Guatemala, en juin 2025 – avec l’Équateur et la Colombie, en septembre 2025 – avec Cuba et le Honduras, en octobre 2025 – avec l’Argentine, et en décembre 2025 – avec le Mexique. Chacun de ces anniversaires sera célébré dignement. Nous comptons organiser des expositions, des conférences, des rencontres de personnalités publiques, de jeunesse et des évènements culturels. Cela nous permettra de tracer les nouvelles perspectives pour nos relations.
En 2025, nous inaugurons une ambassade à part entière en République dominicaine. En juin 2025, nous serons heureux de voir des invités latino-américains au Forum économique international de Saint-Pétersbourg. Il y existe traditionnellement une section latino-américaine.
Le Président bolivien Luis Arce était l’invité principal lors du Forum économique international annuel de Saint-Pétersbourg en juin 2024. Pour la première fois, un représentant de la région latino-américaine y a participé à ce titre.
Je voudrais attirer votre attention sur d’autres forums qui se déroulent en Russie qui pourraient intéresser nos amis latino-américains. Il s’agit du Forum économique oriental, de la Semaine russe de l’énergie, du Forum culturel international de Saint-Pétersbourg et bien d’autres.
En dépit de la pandémie de coronavirus et de la guerre des sanctions déclenchée par l’Occident, notre chiffre d’affaires commercial avec l’Amérique latine est stable et l’est resté ces dernières années. Nos principaux partenaires commerciaux sont le Brésil, le Mexique, l’Équateur, l’Argentine, la Colombie et le Chili. Nous souhaitons élargir nos liens commerciaux et d’investissement avec le Nicaragua et le Venezuela, qui sont les plus touchés par les sanctions illégales imposées par les États-Unis.
Nous mettons en œuvre des projets bilatéraux avec un certain nombre de pays dans divers domaines, notamment la haute technologie. Nous souhaitons que les pays du continent renforcent leurs contacts avec l’Union économique eurasiatique. Actuellement, le seul observateur non régional au sein de l’Union économique eurasiatique est Cuba. J’ai évoqué la coopération dans les domaines éducatif, social, culturel et sportif. Nous souhaitons développer cela rapidement.
Aujourd’hui, près de 5.000 étudiants latino-américains font leurs études dans notre pays grâce à des bourses du gouvernement russe. Nous savons que dans certains pays d’Amérique latine, des concours sont organisés pour obtenir une telle bourse. Il y a jusqu’à 10 candidats pour une bourse. Nous l’apprécions. Nous augmenterons les quotas annuels.
Parmi les caractéristiques uniques de notre coopération, c’est que 27 des 33 pays d’Amérique latine et des Caraïbes ont des accords avec la Russie sur les voyages sans visa pour nos citoyens. Il s’agit d’un record en termes de pourcentage par rapport à d’autres régions du monde. Les touristes russes visitent sans visa Cuba, la République dominicaine, le Venezuela, les attractions du Pérou, du Mexique, du Guatemala, le carnaval brésilien et le football en Amérique latine. Tout cela attire les touristes et assure une augmentation du flux touristique.
L’année prochaine, nous aurons une nouvelle opportunité de déployer des efforts communs pour développer la coopération multilatérale. Nous organiserons en septembre 2025 le Concours international de chanson Intervision, plus de 25 pays ont déjà exprimé leur souhait d’y participer, dont un certain nombre de pays d’Amérique latine.
Nous sommes prêts à accueillir les touristes des pays d’Amérique latine, pour montrer Moscou, Saint-Pétersbourg, le Baïkal, le Kamtchatka, Sotchi, Souzdal, l’Altaï. Nous avons de nombreux lieux pittoresques et monuments historiques. Il existe un type de tourisme qui consiste à faire un tour en Transsibérien à travers toute la Russie jusqu’à l’océan Pacifique et à l’admirer d’un seul coup d’œil.
Question: Avec l’arrivée au pouvoir de l’administration de Donald Trump aux États-Unis, la Russie espère construire avec elle des relations plus pragmatiques. Dans le même temps, on sait que de nombreux représentants de la nouvelle administration américaine menacent de nombreux amis et alliés de la Russie parmi les pays du Sud global. Comment cela pourrait-il affecter les relations entre la Russie et les États-Unis?
Sergueï Lavrov: Quant aux actions de l’administration américaine, formalisant son personnel, qui prendra ses fonctions le 20 janvier 2025, nous n’avons ni illusions ni espoirs. Ne parlons pas de la façon dont, si tel ou tel président vient, ce sera mieux dans cette affaire, et si un autre vient, alors nous essaierons de faire autre chose quelque part. Pas besoin d’essayer de deviner. Nous attendrons que la politique de la nouvelle administration soit enfin formulée.
« Les États-Unis tentent par tous les moyens d’affaiblir tout concurrent, qu’il s’agisse de la Russie, de la Chine ou de l’Europe. Ils avaient proclamé depuis longtemps le principe selon lequel aucun pays au monde ne devrait être plus fort que les États-Unis. »
Nous comprenons parfaitement qu’il existe un consensus bipartisan aux États-Unis sur la Russie. Ce consensus n’est pas amical mais franchement russophobe. Quelle que soit son appartenance à un parti, l’élite dirigeante fera avancer sa politique pour que la Russie, en tant que concurrent, soit affaiblie. J’ai déjà évoqué cette question au début de notre conférence de presse. Les États-Unis tentent par tous les moyens d’affaiblir tout concurrent, qu’il s’agisse de la Russie, de la Chine ou de l’Europe. Ils avaient proclamé depuis longtemps le principe selon lequel aucun pays au monde ne devrait être plus fort que les États-Unis. Il est clair que la vie est plus dure que n’importe quelle déclaration, mais pour se rendre compte de l’inévitabilité d’un comportement différent, les États-Unis ont encore un long chemin à parcourir, pour voir comment la situation évolue réellement et pour ressentir ce que sont les réalités d’un monde multipolaire.
Jusqu’à présent, la Russie figurait comme un « adversaire » dans les documents doctrinaux des États-Unis. Dans leurs discours, les représentants de l’administration actuelle la qualifié « d’ennemi ». Elle est également qualifiée de « menace existentielle immédiate », la Chine étant le prochain « défi ». La cohérence demeure dans les actions américaines. Néanmoins, nous entendons des messages de l’équipe de Donald Trump pour la reprise du dialogue. C’est tout à fait raisonnable et normal.
Toujours, même lorsqu’il existe des relations hostiles entre pays, entretenir un dialogue, comprendre qui veut transmettre quoi à l’interlocuteur, tel est le sens de la diplomatie. Les diplomates communiquent même pendant les guerres. Si les messages de la nouvelle équipe de Washington visant à rétablir le dialogue interrompu par Washington après le début de l’opération militaire spéciale sont sérieux, nous y répondrons. Mais ce sont les Américains qui ont interrompu le dialogue, c’est donc à eux de faire le premier pas.
Nous attendons la formulation officielle de la politique de l’administration de Donald Trump à l’égard de la Russie. Si Washington prend en compte nos intérêts légitimes, le dialogue ne sera pas inutile, mais efficace. S’ils ne sont pas pris en compte, tout restera tel quel est.
Quant aux menaces que vous avez évoquées de la part des représentants de la nouvelle administration contre les pays du Sud global et de l’Est (augmenter les tarifs douaniers, punir ceux qui utilisent d’autres monnaies que le dollar, des plateformes de paiement), cela ne nous surprend pas. Comme je l’ai déjà dit, l’élimination de tout concurrent et l’obtention d’avantages unilatéraux caractérisaient toujours la politique des États-Unis. Il n’y a rien de nouveau. La politique d’ingérence dans les affaires intérieures des États souverains reflète depuis longtemps les méthodes de Washington. Cela va continuer. Il faut être prêt à cela.
Mais la vie doit obliger les États-Unis à comprendre les tendances et les processus réels du monde moderne, ainsi que le fait que la dictature ne peut plus être le principal instrument du fonctionnement des relations internationales.
Question (traduite du français): Hier, le 25 décembre, une douzaine de missiles ont été tirés vers l’Ukraine. Pourquoi cela s’est-il produit lors d’une fête sainte pour des centaines de millions de chrétiens, à savoir Noël? Êtes-vous choqué par la réaction du monde entier?
Sergueï Lavrov: Quant aux opérations militaires en cours dans le cadre de notre opération militaire spéciale, ou mieux dire encore, dans le cadre de la guerre que l’Occident, y compris la France, a déclarée à la Fédération de Russie et mène aux mains du régime ukrainien. J’espère que vous, en tant que journaliste, avez non seulement prêté attention à ce qui se passe en lien avec les actions de nos forces armées le 25 décembre dernier, mais que vous suivez également l’histoire de la question et couvrez tous ces processus, analysez et comprenez l’épistémologie du problème et son axe de développement.
Je ne veux pas m’étendre sur ce sujet. Nous avons dénoncé à plusieurs reprises la fourniture au régime de Kiev de missiles à longue portée de fabrication occidentale, notamment les Scalp français, les ATACMS américains et les Storm Shadow britanniques. Nous avons mis en garde contre le transfert d’armes meurtrières qui ne mènerait qu’à une escalade et que le régime de Kiev serait incapable de respecter les règles de la guerre et le droit international humanitaire. Si vous suivez l’information, qui peut être dissimulée en Europe, alors chez nous elle est disponible à la télévision, sur les réseaux sociaux, sur Internet. Il y a des frappes quotidiennes de drones ou de vos missiles occidentaux contre des sites clairement civils. La population civile meurt. Des ambulances, des écoles, des hôpitaux, des marchés et d’autres sites civils sont frappés.
Aucun des États occidentaux fournissant des armes au régime nazi de Kiev ne l’a jamais mis en garde contre une violation aussi flagrante du droit international humanitaire et des règles de la guerre. Tant que ce comportement du régime de Kiev persistera (et il sera non seulement encouragé, mais dirigé par l’Occident, y compris la France), nous réagirons. Mais nous réagirons non pas comme le régime de Kiev le fait à votre instigation. Nos cibles sont exclusivement des sites militaires, des sites du complexe militaro-industriel et d’autres installations liées au soutien des forces armées ukrainiennes.
« Frapper les cibles civiles ne fait pas partie de nos règles. Ce sont les règles des nazis installés à Kiev avec le soutien de l’Occident et de ceux qui leur fournissent des armes pour détruire des infrastructures purement civiles et la population civile. »
Le 20 décembre dernier, lorsque les missiles ATACMS et Storm Shadow ont frappé des sites civils en Fédération de Russie, nous avons répondu avec des armes de haute précision sur le centre de contrôle du SBU, sur le bureau d’études Loutch à Kiev, qui a réalisé la conception et la production des systèmes de missiles Neptune, des missiles de croisière et des lance-roquettes multiples, ainsi que sur les positions du système de défense aérienne américain Patriot. Toutes les cibles ont été touchées. Nous frappons les positions à partir desquelles sont effectués les bombardements de nos territoires et de nos sites civils et où meurent des civils.
Le Président de la Russie Vladimir Poutine a déclaré que nous sélectionnions des cibles à détruire sur le territoire ukrainien uniquement sur la base des menaces contre la Fédération de Russie. Il peut s’agir de sites militaires ou d’entreprises de l’industrie de défense. Les centres de décision de Kiev pourraient également être de telles cibles. Frapper les cibles civiles ne fait pas partie de nos règles. Ce sont les règles des nazis installés à Kiev avec le soutien de l’Occident et de ceux qui leur fournissent des armes pour détruire des infrastructures purement civiles et la population civile.
Question (traduite du français): En décembre dernier, le Président français Emmanuel Macron a organisé une rencontre entre Donald Trump et Vladimir Zelenski à Paris. Pensez-vous que le président américain puisse soutenir Kiev plus qu’il ne l’a dit pendant sa campagne électorale? Que pensez-vous de cette rencontre, organisée à l’initiative de la France?
Sergueï Lavrov: Nous sommes habitués au grand nombre d’initiatives que la France annonce, organise diverses réunions et conférences. Je me souviens qu’en décembre 2015, le Président français François Hollande a soudainement annoncé qu’il était urgent de convoquer une conférence sur la Libye. Nous sommes venus à cette conférence, avons parlé pendant un jour et demi, et puis tout le monde a tout oublié. Mais la conférence elle-même a été magnifiquement diffusée à la télévision française.
Nos collègues français ont la volonté de jouer un rôle proactif sur de nombreux sujets. Nous nous en félicitons, mais je ne sais pas quel est le résultat de telles initiatives et dans quelle mesure le désir de jouer un rôle positif est sincère.
Je n’entrerai pas dans les détails pour ne décevoir personne. À plusieurs reprises, par des canaux fermés, nous avons reçu des demandes de collègues français nous proposant de contribuer à l’établissement d’un dialogue sur le dossier ukrainien sans l’Ukraine. D’ailleurs, en violation du principe que l’Occident ne cesse de répéter: « pas un mot sur l’Ukraine sans l’Ukraine ». Nous ne refusons pas les contacts, nous sommes prêts à écouter. Mais parallèlement, la France est le principal initiateur de l’envoi de casques bleus en Ukraine, elle forme des unités de combat des forces armées ukrainiennes sur son territoire et déclare directement qu’il faut continuer à s’attaquer à la Russie et faire en sorte que l’Ukraine se prépare aux négociations sur des positions plus fortes. Un comportement aussi ambigu n’inspire aucune envie de prendre au sérieux ce qui se passe à l’initiative de nos collègues français.
Quant à la rencontre organisée à l’occasion de la cérémonie d’inauguration de Notre-Dame de Paris, je n’ai pas vu de messages encourageants. J’ai le sentiment que l’essentiel de cette réunion était précisément l’image, lorsque deux hommes politiques et un raciste nazi ont été photographiés sur fond de cette cathédrale.
Maria Zakharova: En conclusion du sujet soulevé par le journaliste français, je voudrais attirer son attention sur le fait qu’il y a exactement deux semaines, le Premier ministre hongrois Viktor Orban a annoncé sur les réseaux sociaux que Vladimir Zelenski avait refusé la trêve de Noël.
Question: Le représentant de l’Otan, Patrick Turner, parlant des projets pour 2025, a annoncé le renforcement de la présence de l’Alliance en Ukraine. Il a déclaré que la présence de l’Alliance ici avait triplé en 2024 et qu’on prévoyait de la renforcer davantage l’année prochaine. Que pensez-vous des projets de l’Otan visant à élargir sa présence en Ukraine? Faut-il s’attendre à une réaction officielle de Moscou à cet élargissement?
Sergueï Lavrov: L’Otan, c’est avant tout les États-Unis. Les agences de renseignement américaines – la CIA et d’autres – étaient présentes en Ukraine bien avant le coup d’État. Et après lui, ils s’y sont installées. Au SBU, il y avait un étage entier, ou peut-être deux. La dépendance du régime de Kiev après le coup d’État est bien connue. Personne n’en doute. L’Ukraine est dirigée par les Anglo-Saxons et certains autres pays de l’Alliance de l’Atlantique Nord et de l’UE.
Concernant les déclarations que vous avez mentionnées, le bureau du haut représentant de l’Otan en Ukraine a été créé là-bas. Cette position a été introduite par décision du sommet de Washington en juillet dernier. Selon nos informations, environ 50 personnes travaillent actuellement dans cette mission. Une vingtaine de personnes devraient apparaître l’année prochaine. C’est peut-être de ce qu’il s’agissait dans l’information que vous avez mentionnée. Ce n’est pas un évènement si important. Mais il s’agit néanmoins d’un fait supplémentaire confirmant que Washington et ses alliés prennent le contrôle de l’Ukraine, renforcent le contrôle déjà établi sur toutes les sphères de la vie de cet État, y compris le secteur de la sécurité et de la défense. Bien entendu, l’Occident conseille vivement à Vladimir Zelenski d’agir d’une manière qui leur est bénéfique.
Regardez comment ils ont exigé ouvertement et sans ménagement d’abaisser l’âge de la conscription à 18 ans, sans cacher que c’était avant tout dans l’intérêt des États-Unis. Le sénateur américain Lindsey Graham, qui, après avoir visité l’Ukraine et pris des photos avec Vladimir Zelenski, a déclaré directement que l’Ukraine était riche en ressources naturelles, principalement des minéraux de terres rares. Selon lui, « ce grenier du monde, le plus riche d’Europe en métaux des terres rares, ne peut pas être donné à la Russie ». Le secrétaire d’État américain Antony Blinken est connu pour continuer à défendre publiquement la nécessité d’une guerre en Ukraine (comme il l’a dit) pour obtenir des avantages financiers et économiques pour les États-Unis. Et le fait que de nombreuses terres fertiles et gisements de ressources minérales en Ukraine aient été acquis il y a longtemps par des sociétés américaines n’est un secret pour personne.
Tout ce que nous disons concernant la crise ukrainienne, tout ce que le Président russe Vladimir Poutine a défini comme principes pour son règlement basé sur l’élimination des causes premières, sur la base du droit international et des obligations existantes de l’Occident et de l’Ukraine, reste notre position immuable.
Question: Quel est l’avenir des négociations au format d’Astana, étant donné qu’elles ont montré une grande efficacité dans la coordination avec toutes les parties syriennes?
Sergueï Lavrov: Quant à la Syrie et au rôle du format d’Astana, j’ai déjà abordé ce sujet. Il a été créé à la suite d’une conférence nationale spéciale des forces politiques et ethno-confessionnelles syriennes. Nous nous sommes rencontrés plus de 20 fois dans le cadre du format d’Astana. La dernière réunion a eu lieu à Doha le 7 décembre dernier à la veille des évènements syriens. Nous avons eu l’occasion de discuter de la situation avec mes homologues de Turquie et d’Iran avec la participation de l’envoyé spécial du secrétaire général de l’ONU, Geir Pedersen. Nous échangeons toujours des évaluations et des opinions.
Les positions de la Turquie, de l’Iran et de la Russie sont que ce format peut jouer un rôle utile au stade actuel. De plus, les États arabes – Liban, Irak et Jordanie – participaient traditionnellement à ses travaux en tant qu’observateurs. Les monarchies du golfe Persique s’y intéressent également. Nous avons indiqué notre volonté d’aider. Les Turcs et les Iraniens ont fait de même. Les pays arabes qui sont désormais en contact avec les nouvelles autorités de Damas connaissent nos capacités. Compte tenu de ce qu’Ahmed al-Chara a dit à propos de nos relations, les qualifiant d’anciennes et stratégiques, je pense que les nouvelles autorités syriennes seront en mesure de décider sous quelle forme spécifique le format d’Astana peut soutenir les processus en cours en République arabe syrienne.
« Une puissance aussi importante que l’Estonie, en la personne de son ministre des Affaires étrangères, a déclaré que ce pays ne soutiendrait pas les nouvelles autorités de Damas si elles n’expulsaient pas les bases militaires russes de Syrie. Pouvez-vous imaginer à quel point ça fait peur? »
Nous avons des liens étroits avec le peuple syrien depuis l’époque de l’URSS. Notre pays a ensuite activement soutenu la volonté des Syriens de se débarrasser du colonialisme français. Au cours de toutes les années suivantes, nous avons contribué à la création des bases de l’économie, de l’industrie et de la sphère sociale de la République arabe syrienne. Nous comprenons que l’intérêt du peuple syrien est d’établir de bonnes relations avec tous les acteurs extérieurs sans exception. Nous pensons que c’est une bonne chose. C’est l’un des principaux facteurs qui garantiront l’unité, l’intégrité territoriale et la souveraineté de l’État syrien. Nous sommes prêts à y contribuer de toutes les manières possibles.
Il est clair qu’Ahmed al-Chara et ses partisans subissent désormais de fortes pressions de la part de l’Occident. Les Américains et les Européens sont devenus plus actifs. Ils veulent œuvrer non pas pour préserver l’unité de toutes les forces ethno-politiques en Syrie, mais pour avoir davantage d’influence et de territoire.
Quant à l’égoïsme occidental, la nouvelle chef de la diplomatie européenne, Kaja Kallas, a prononcé un discours marquant exigeant que la Syrie cesse de coopérer avec la Russie. Et une puissance aussi importante que l’Estonie, en la personne de son ministre des Affaires étrangères, a déclaré que ce pays ne soutiendrait pas les nouvelles autorités de Damas si elles n’expulsaient pas les bases militaires russes de Syrie. Pouvez-vous imaginer à quel point ça fait peur? Une telle grossièreté diplomatique devient monnaie courante. C’est ainsi qu’agissent les autorités ukrainiennes, insultant tous ceux qui ne chantent pas avec elles, ainsi que nos voisins européens. J’espère que la vie leur apprendra à respecter les intérêts de tous les États sans exception et à renoncer aux habitudes néocoloniales.
Nous continuerons à travailler.
Source : Ministère Affaires étrangères de la Fédération de Russie