La FIDH et ses organisations membres et partenaires au Sénégal, la RADDHO, l’ONDH et la LSDH, condamnent vivement la répression systématique de toute manifestation pacifique dans le centre de Dakar et les dizaines d’arrestations d’opposants et de manifestants depuis ces dernières 72 heures.
Nos organisations exhortent les autorités sénégalaises à cesser immédiatement la répression en cours, à libérer les personnes arbitrairement arrêtées et à se conformer à la législation sénégalaise en autorisant le déroulement des manifestations pacifiques.
Depuis près de trois jours, toutes les manifestations dans le centre de Dakar sont systématiquement dispersées par la force et des dizaines de manifestants sont arrêtés. Mercredi 15 février, la manifestation du mouvement citoyen M23 a été dispersée sans ménagement. Le 16 février, c’était au tour du collectif Y en a marre de subir une répression particulièrement féroce : dispersion dans la violence, arrestation d’une vingtaine de leur membre dont plusieurs de leurs leaders et mauvais traitement des personnes arrêtées. Les 16 et 17 février, ce sont les candidats à l’élection présidentielle et leurs partisans qui ont été la cible de cette répression. Cheikh Bamba Dieye, candidat du Front pour le socialisme et la démocratie /Benno Jubël (FSD/BJ) a été arrêté quelques heures le 17 février alors qu’il manifestait place de l’obélisque, tout comme Ibrahima Sene, responsable du Parti de l’indépendance et du travail (PIT). Idrissa Seck, candidat du parti Rewmi (« le pays »), a lui aussi été la cible de tirs de grenade lacrymogène tandis que la manifestation d’Ibrahima Fall, candidat indépendant, s’est vu interdite par le préfet de Dakar malgré l’autorisation et les instructions de la Commission électorale nationale autonome (CENA) saisie par le candidat.
« Les autorités sénégalaises ne peuvent pas aller contre la loi sénégalaise » a déclarée Souhayr Belhassen, présidente de la FIDH. « Il faut que les autorités reviennent à la raison et autorisent l’expression publique et politique des opposants et des citoyens sous peine d’être assimilée à un régime autoritaire bâillonnant la démocratie » a-t-elle ajouté.
En effet, le gouvernement justifie la répression des manifestations par un arrêté pris par le préfet de Dakar en juillet 2011 interdisant depuis lors toute manifestation publique dans le centre-ville de la capitale. Outre le fait que ce gel des libertés publiques et individuelles contrevient aux dispositions constitutionnelles, cette interdiction est manifestement illégale au regard de l’article L 61 du Code électoral qui dispose que « tout candidat et tout électeur peut librement organiser des réunions et des manifestations sur toute l’étendue du territoire en respectant les conditions prévues par la loi », à sa voir une déclaration préalable de 24h auprès de l’autorité administrative. Ces conditions ont été respectées par toutes les organisations ayant souhaitées manifester ces derniers jours. La Cour suprême du Sénégal elle-même avait déjà considéré dans un arrêt du 13 octobre 2011 que l’interdiction d’une manifestation similaire de la Radhho en décembre 2010 par un arrêté du préfet de Dakar avait été un « excès de pouvoir » et constituait une « atteinte à la liberté de réunion ».
La situation s’est encore dégradée hier lorsqu’une grenade lacrymogène a été lancée dans la grande mosquée El Hadji Malick Sy au quartier du Plateau, à proximité du centre-ville, provoquant la colère de centaines de fidèles et rappelant l’attaque de la cathédrale de Dakar l’année passé. Plus inquiétant encore un journaliste de l’Agence France presse (AFP) a vu, pendant les incidents, un policier sortir son arme de service et ouvrir le feu. Il a ensuite récupéré une douille de 9 mm au sol ainsi qu’une balle non percutée laissant craindre une escalade dans la répression et l’utilisation de moyens contraires aux principes des Nations unies sur l’utilisation de la force.
« A la veille d’une échéance aussi importante pour le Sénégal, les plus hautes autorités du pays doivent faire preuve de responsabilité et d’apaisement en laissant la démocratie s’exprimer librement comme la loi le prévoit » a déclaré Me Sidiki KABA, président d’honneur de la FIDH.
De même, il a été signalé des hommes en civil armés de fusils à pompe circulant à bord de 4X4 banalisés qui pourchasseraient les manifestants. Selon les témoignages, certains avaient le visage couvert d’une cagoule noire, comme l’ont pu aussi le confirmer les correspondants de l’AFP et Reuters sur place.
Outre un policier blessé à la tête, les violences de la journée de vendredi ont fait une dizaine de blessés, dont deux journalistes occidentaux. Le bilan de la répression des manifestions et de la contestation populaire depuis la fin du mois de janvier est de 5 morts dont un policier, des dizaines de blessés et des dizaines d’arrestations.