Un milliard et demi d’êtres humains vivent dans des États fragiles, touchés par un conflit ou dans lesquels sévit une criminalité de grande ampleur. Les guerres entre États sont devenues relativement rares. En revanche, de nombreux pays connaissent des cycles répétés de violence : 90 % des guerres civiles observées cette dernière décennie se sont déroulées dans des pays qui avaient déjà connu un conflit civil au cours des trente dernières années. Le nombre de morts par an dus aux guerres civiles a chuté de plus de 160 000 par an dans les années 1980 à moins de 50 000 dans les années 2000.
La violence a de sévères impacts sur le développement : en moyenne, un pays ayant connu une violence majeure sur la période considérée (1981-2005) avait un taux de pauvreté de vingt et un points de pourcentage plus élevé qu’un pays sans aucune violence. Aucun pays fragile ou frappé par un conflit n’a encore atteint un seul des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD).
La violence se propage de l’autre côté des frontières : on estime que, pour chaque voisin impliqué dans une guerre civile, les pays limitrophes perdent 0,7 % de PIB annuel.
La vulnérabilité à la violence est liée à plusieurs facteurs. Le niveau élevé de chômage, particulièrement chez les jeunes, et l’oisiveté les incitent à rejoindre les mouvements rebelles. La progression du crime organisé peut par ailleurs provoquer l’effondrement de nombreux États en situation précaire. Le rapport cite le cas des États-Unis qui ont contribué à développer le crime organisé en déportant près de 46 000 criminels condamnés vers l’Amérique centrale entre 1998 et 2005. Les griefs locaux contre l’injustice, notamment les faiblesses des forces de l’ordre et des autorités judiciaires, peuvent également alimenter l’insécurité.
Le soutien populaire est indispensable au rétablissement de la sécurité, mais il est fragile : une humiliation gouvernementale au combat ou un incident de corruption médiatisé peut provoquer un changement dans les attentes de la population. Il ne faut pas s’attendre à des évolutions rapides dans la qualité de la gouvernance : il a fallu aux vingt pays les plus rapides dix-sept ans en moyenne pour sortir les militaires de la politique, vingt ans pour arriver à un fonctionnement bureaucratique de qualité et vingt-sept ans pour raisonnablement contrôler la corruption.
Restaurer la confiance implique de réussir à regrouper une coalition d’intérêts suffisamment « inclusive ». Il est important de construire de concert le soutien national et le soutien provincial en faveur du changement et trouver un compromis entre les groupes opposants.
Le chemin vers le développement à long terme dépend d’un secteur privé en bonne santé. L’inclusion de ce secteur peut aussi aider à construire un sentiment du long terme, essentiel à l’investissement. Dans les exemples fournis de la Colombie et du Chili, elle a été un élément crucial dans la constitution de la coalition. Les médias peuvent aussi jouer un rôle important en assurant en agissant comme une voix citoyenne. Les stratégies d’inclusion peuvent changer dans le temps lorsqu’il devient possible de marginaliser des groupes systématiquement abusifs.
Pendant les premières étapes de la transition, gagner la confiance des parties prenantes demande souvent des politiques en rupture avec le passé, qui montrent au moins deux ou trois résultats visibles localement pendant les premiers mois, voire la première année. La collecte précoce de preuves de violation des droits de l’homme et l’assistance aux victimes peuvent signaler une intention sérieuse de dépasser l’impunité et les violations héritées du passé. Des politiques favorisant la participation de groupes ou de régions jusqu’alors exclus de la prise de décision économique raffermissent la cohésion sociale. L’emploi et la sécurité sont les problèmes les plus pressants pour les habitants, mais améliorer la fourniture d’électricité peut aussi être très important dans la création d’emplois.
Le rapport recommande de transformer les institutions pour assurer en priorité la sécurité des citoyens, la justice et l’emploi. À l’exemple de la Chine, il préconise un pilotage graduel des réformes : mesurer leur bienfait avant de débattre si elles doivent devenir des politiques nationales. En Amérique latine, l’accent mis sur les autorités locales et l’implication communautaire dans la conception, la mise en œuvre et le suivi ont nourri de meilleurs diagnostics sur les moteurs de la violence et assuré une plus forte appropriation par la communauté.
La consolidation et la coordination des services de sécurité constituent un premier pas fondamental dans toute réforme institutionnelle pour prévenir la violence. Construire la confiance entre ennemis d’hier peut appeler à l’intégration dans l’armée nationale des forces belligérantes plutôt que leur désarmement, démobilisation et réintégration immédiate comme dans le cas de l’Ouganda. L’accent est placé sur une police de proximité en partenariat avec la communauté locale. La lutte contre la corruption peut être renforcée en améliorant la transparence sur les ressources des fonctionnaires, la protection des dénonciateurs, le contrôle financier et la passation des marchés publics.
Côté emploi, il est plus efficace de simplifier la réglementation des affaires plutôt que de l’étendre ou la sophistiquer. La réhabilitation des routes constitue un investissement essentiel, tant pour rétablir le secteur privé que pour générer des emplois. Les programmes d’apprentissage traditionnel et de placement et recherche d’emplois se sont avérés prometteurs.
Le soutien de l’agriculture dans les pays touchés par un conflit est essentiel, car il offre la source la plus probable d’emplois. L’éducation doit mettre l’accent sur les compétences de base comme l’alphabétisation et le calcul. Les réformes agraires peuvent contribuer à la stabilité post-conflit.
La tenue d’élections avant qu’un niveau raisonnable de sécurité et un environnement non coercitif pour le vote soient établis n’a pas de sens, selon le rapport. Si la dévolution et la décentralisation peuvent élargir le partage des pouvoirs, elles doivent être mises en œuvre étape par étape, de façon à ne pas favoriser les tendances sécessionnistes.
Un soutien international pour construire la confiance et transformer les institutions s’avère souvent nécessaire, comme ce fut le cas au Mozambique et en Colombie. Ce soutien aux pays frappés par la violence s’est accru au cours des quinze dernières années. Les missions de maintien de la paix des Nations unies déploient actuellement plus de 124 000 personnes, envoyées par 115 pays. Leurs actions se sont complexifiées avec la multiplication des acteurs : sur les 54 opérations de maintien de la paix ou de contrôle déployées en 2009, 40 impliquaient au moins deux organisations internationales ou régionales, avec des défis de coordination, de cogestion et de responsabilité.
Le soutien aux transformations institutionnelles exige une assistance internationale pendant un minimum de quinze ans. Cette volatilité est forcément sujette à volatilité. Or, elle a un coût considérable pour les gouvernements fragiles.
L’évolution en matière de corruption illustre les progrès et les défis des pays développés engagés dans la lutte contre la violence. En 2000, nombre d’entre eux nourrissaient la corruption transfrontalière en permettant à leurs citoyens ou entreprises de déduire des impôts les pots-de-vin versés à des fonctionnaires d’autres gouvernements. Dix ans plus tard, une convention est signée dans le cadre de l’OCDE, exigeant que les États sanctionnent la subornation d’un fonctionnaire étranger. Cependant, l’évaluation en 2010 par l’association Transparency international a conclu que seuls sept pays appliquaient la convention, et que neuf autres faisaient des efforts. Les vingt pays restants ne font que peu ou pas d’effort. Transparency international conclut : « Les niveaux actuels d’application sont trop bas pour permettre à la Convention de réussir. »
À l’heure où l’implication internationale dans les conflits, après un pic ces dernières années, est suivie par la mise en place de programmes de coopération, de démobilisation et de reconstruction, le rapport de la Banque mondiale sera d’une grande utilité.
Rapport sur le développement dans le monde 2011. Conflits, sécurité et développement, Banque mondiale.
Pour la version française, Pearson France. 47 bis rue des vinaigriers 75010 Paris. Tél. 01 72 71 90 00. https://www.pearson.fr/livre/?GCOI=27440100023130