Partout et en tout temps, les objets du quotidien ont été une source privilégiée d’inspiration pour les artistes. Il suffit, pour s’en convaincre davantage, de se plonger dans l’univers de Design en Afrique, l’exposition et l’ouvrage (1), « voué principalement à des objets supportant le corps ». Vous l’aurez compris, il y est question de sièges et de lits… À travers quelque 150 pièces, dont certaines inédites, un dialogue s’instaure entre objets anciens et traditionnels et créations contemporaines de jeunes designers africains. Utilisés pour s’asseoir, se reposer ou dormir, ces éléments de mobilier sont aussi intimement liés au pouvoir, qu’il soit politique ou religieux, et à la spiritualité.
Symboles de confort – parfois très relatif – pour les uns, les sièges sont tout autant des symboles de puissance pour les souverains à qui ils permettent d’asseoir leur pouvoir. Au Ghana, le siège est le fondement même de la dignité : aucun chef ne peut être installé sans son siège cérémoniel. Chez certains rois tribaux, c’est même l’objet le plus important de leur trésor. Les Ashanti (sous groupe akan, Côte d’Ivoire et Ghana), en particulier, ont produit et produisent encore de splendides tabourets cérémoniels, richement ornés d’or et d’argent, de clochettes, de cuir, de perles, de coquillages et d’amulettes…
Il faut dire que le seul fait de poser son séant, autrement dit de s’asseoir, est souvent perçu comme un privilège réservé à l’élite. En témoignent une gravure du xviie siècle, sur laquelle le corps d’un esclave fait office de siège pour la reine Nsinga de Matamba (Angola) recevant un émissaire portugais, ou bien, dans un autre registre, une photographie de Daniel Lainé prise au Ghana au début des années 1990. Sur cet étonnant cliché, on observe, non sans un certain amusement, le chef ghanéen Asafoaste Gorekul IV paradant avec ses attributs royaux sur son palanquin « Mercedes » – la légende précise que le personnage photographié exerce ses fonctions de roi dans son village le week-end et travaille dans une petite entreprise d’emballage plastique la semaine, modernité oblige !
Et que dire de ces appuis-dos sur lesquels le chef, le sorcier, ou parfois le musicien, s’étend, se met en scène publiquement pour mieux se faire voir, entendre et respecter ? Ronds, ovales rectangulaires, en bois, avec ou sans ornements en laiton, ajourés ou non, leur diversité témoigne d’une grande créativité.
Très esthétique aussi, mais incontestablement moins confortable qu’un oreiller, l’appui-tête, aussi appelé appuie-nuque (c’est le haut du cou qui repose dessus) ou support de rêve, est utilisé dans presque tous les pays d’Afrique noire. En le regardant, vous vous poserez inévitablement la question : pourquoi dormir avec ce support rigide sous la nuque ? Tout simplement parce qu’il permet d’éviter le contact direct de la tête et des cheveux avec le sol au moment de la sieste ou du repos nocturne. Chez les Luluwa, en République démocratique du Congo (RDC), il sert surtout à préserver les coiffures (ne moquez pas la coquetterie féminine, les hommes aussi peuvent être concernés). Précisons en passant que certaines de ces « sculptures capillaires », comportant chignons et tresses en tout genre, peuvent nécessiter plusieurs jours de travail ! On comprend mieux l’envie de les faire durer le plus longtemps possible.
Cet objet personnel fait partie du patrimoine que l’on se transmet d’une génération à l’autre. Aujourd’hui encore, il n’est pas rare de croiser des nomades avec leur appui-tête accroché à la ceinture. Certains sont finement sculptés, d’autres se contentent d’une forme élégante, d’autres encore, plus massifs, ont une double fonction et servent aussi de tabouret… Leur esthétique témoigne de leur dimension spirituelle : les appuis-tête doivent favoriser la venue des rêves, voire servir d’intermédiaires entre le dormeur et l’au-delà. Certains vont jusqu’à leur attribuer des pouvoirs magiques…
Objets profanes et sacrés du passé, les sièges et autres objets liés au repos continuent d’inspirer de nombreux artistes. À l’instar du designer camerounais Jules-Bertrand Wokam et de son fameux Tabouret Tombouctou – en référence à la mosquée de Jingereber au Mali –, la nouvelle génération fourmille d’idées. Engagée, elle n’hésite pas à utiliser des matériaux de récupération, témoignant de sa prise de conscience environnementale. Surtout, elle sait faire preuve d’humour et d’autodérision. Le slim bed en tôle et bois évoquant une scie géante de Kossi Assou (Togo), le fauteuil Mobutu en forme de brouette recouverte d’une fourrure léopard d’Iviart Izamba (RDC), ou le fauteuil enfant de Nicolas Sawalo Cissé (Sénégal)… sont autant d’assises pleines d’esprit(s).
(1) L’exposition « Design en Afrique. S’asseoir, se coucher et rêver », Musée Dapper, Paris, jusqu’au 14 juillet 2013 et le catalogue aux Éditions du musée Dapper, 184 p., 27 euros. www.dapper.com