L’éditorialiste d’El Moudjahid, organe officieux du gouvernement algérien, analyse la genèse du conflit au Nord Mali et dans le Sahel.
La récente proclamation unilatérale de la république islamique de l’Azawad a été rendue possible, grâce à la conjugaison d’une série d’événements contre lesquels l’Algérie avait averti en temps réel. En 2003, le Sahel était encore terra nullius (la terre de personne) où avaient trouvé refuge les groupes terroristes du GSPC de Mokhtar Benmokhtar, acculés à la défensive puis battant en retraite sous la pression des forces spéciales algériennes. Pour sa survie, le GSPC fit allégeance à Al Qaida. L’organisation terroriste qui se proclamera, quelques années plus tard, Al Qaeda au Maghreb islamique (AQMI), va se distinguer par ses prises d’otages pour s’autofinancer et installer durablement ses bases dans le Nord du Mali, un territoire de 800 000 km, la partie du territoire malien la plus difficile d’accès. L’Algérie avait mis en garde les pays européens qui comme l’Allemagne, l’Autriche, la France et l’Espagne, ont payé pour obtenir la libération de leurs ressortissants enlevés par Aqmi. Les groupes de Benmokhtar et de Abdelhamid Abou Zeid ont pu amasser plus de 50 millions de dollars en 10 ans. La prise d’otages était devenue une source de financement des plus juteuses pour le trafic d’armes en direction du nord de l’Algérie. Il était encore possible vers la seconde moitié des années 2000 de pousser dans leurs derniers retranchements les salafistes qui circulaient librement dans cette immensité désertique de plus 4 millions de km. La France et avec elle ses alliés européens engagés contre les Talibans en Afghanistan et les pirates de Somalie, à des milliers et des milliers de kilomètres de leur propre territoire, avaient ignoré délibérément le danger salafiste qui se trouve, aujourd’hui à un peu plus de mille kilomètres des Canaries, territoire européen. Ces alliés avaient fait la sourde oreille aux appels incessants de l’Algérie pour mettre en place une stratégie étroite contre le terrorisme, en collaboration avec les pays de la ligne de front (Algérie, Mali, Niger et Mauritanie). Nicolas Sarkozy avait un tout autre plan alors : faire contrepoids au pacte de Tamanrasset sur le commandement opérationnel unifié de ces quatre pays dans la lutte contre Aqmi. Son objectif était en fait d’asseoir une nouvelle stratégie géo-politico-militaire dans cette partie de son ancien empire colonial. La région va payer chèrement la mise en œuvre de ce plan. Vint donc la guerre de Libye. Une nouvelle fois, l’Algérie, et derrière elle l’Union africaine, avait averti des graves conséquences d’une déstabilisation régionale à grande échelle. De la région du Sahel, en particulier, où les armes les plus sophistiquées commençaient à circuler librement depuis le territoire libyen, jusqu’à Kidal, Tombouctou et Gao. Une aubaine pour Aqmi ! Une aubaine plus grande aussi pour le Mouvement National de Libération de l’Azawad (MNLA) que l’Algérie avait, pourtant, pu réconcilier avec le gouvernement malien depuis le début des années 1990, au prix d’un colossal effort diplomatique. Un remarquable travail diplomatique, salué par la communauté internationale, qui a permis de sauver le Mali de l’éclatement territorial et des divisions ethniques et permettre à ce pays frère et voisin d’engager son propre processus démocratique et de jeter les bases d’un État démocratique. Malheureusement, les choses vont tourner autrement, car les craintes exprimées par le gouvernement algérien sur le prolongement au Sahel du désastre de la guerre de Libye vont se vérifier assez rapidement. Les salafistes du MNLA et d’Aqmi vont faire du coude à coude pour créer un État islamique aux frontières sud de l’Algérie. C’est une nouvelle Somalie, où ont pris pied désormais les terroristes et les radicaux nationalistes locaux, qui est née. Cet « État » est en train de mettre en place ses institutions et d’éduquer la société à l’idéologie salafiste. Les écoliers et les écolières sont séparés en classe, les femmes obligées de porter le tchador, la musique est interdite, au même titre que le football, le tabac et l’alcool. La « falaka » est déjà en usage, alors que la lapidation et les amputations vont suivre une fois le nouvel État aura installé ses tribunaux où l’application de la « sharia » sera l’unique source unique de droit. Le président intérimaire du Mali, Dioncounda Traoré, n’a d’autres moyens que de menacer de faire la guerre totale aux séparatistes du MLNA et à leurs alliés d’Aqmi. Les moyens militaires de ce pays, l’un des plus pauvres du monde, l’état d’extrême pauvreté des populations locales, conjugués au jeu trouble de l’ancienne puissance coloniale de la région, font craindre, hélas, que ce défi ne soit impossible à relever !
Source : El Moudjahid