- Constat et nullement jugement ou opinion : de plus en plus d’esprits influents en Russie se radicalise.
- Ils jettent l’anathème sur l’Occident et souhaitent sa destruction.
- Avec Alexandre Douguine.
Dedefensa.org
Encore du Douguine dira-t-on ; s ans doute, répondra-t-on, parce que c’est le penseur qui, dans la sphère intellectuelle, apparaît à la fois comme le plus intéressant et le plus aventureux, et par conséquent d’une réelle capacité d’influence. Parce qu’il tient une position patriotique russe absolument implacable posée sur une culture vaste et diverse, Douguine dispose d’une logique où il peut développer des jugements radicaux qui manquent aux autres, qui correspondent à cette époque du tourbillon crisique de la GrandeCrise et en rendent compte d’une façon satisfaisante. On aime ou pas Douguine, on partage ou non ses opinions mais on ne peut nier la force logique de sa position, et d’une logique très actuelle avec sa charge nécessaire de métaphysique.
Cette façon radicale fait que Douguine accepte le jugement ci-dessous de l’ancien chef du renseignement Leonid Chebarchine, en 1992, pour le retourner complètement à l’avantage de la Russie, éventuellement d’une façon plus réaliste puisque nous sommes dans les actes essentiels à poser : “La Russie ne veut qu’une chose de l’Occident : que l’Occident n’existe plus [pour elle]” :
« Aujourd’hui encore, la Russie est le principal obstacle sur le chemin de la domination mondiale par l’élite mondiale. Leonid Chebarchine, ancien chef du service de renseignement extérieur soviétique, a noté un jour [après la chute de l’URSS] que “l’Occident ne veut qu’une chose de la Russie : que la Russie n’existe plus”. L’Occident veut que la Russie cesse de faire partie de la géopolitique, il ne peut accepter son existence psychologiquement et historiquement et il peut infliger des dommages en arrachant l’Ukraine à la Russie, en divisant en fait une seule et même nation »
Nous mettons ce texte de Douguine en parallèle avec celui d’Orlov, non par esprit de compétition, non par volonté de comparaison, mais pour faire apprécier combien effectivement les pensées s’exaspèrent en Russie, sur une voie similaire qui ne refuse plus l’affrontement direct et brutal avec l’Occident, qui le souhaite même. Orlov est un esprit complètement différent de celui de Douguine. A sa façon, il veut pourtant la même chose : “cancellation” pour “cancellation”, eh bien cancellons l’Occident et basta ! La même chose pourrait être suggérée, sans surprise désormais, pour définir l’opinion de Medvedev… Tout en notant qu’il n’y a, chez ces trois personnes, aucun type classique de tête brûlée, de militaire ou d’extrémiste au front bas et ne rêvant que plaies et bosses.
Ce mouvement intellectuel n’est absolument pas expansionniste ni impérialiste, il est existentiel. Cette hostilité à l’encontre de l’Occident s’accompagne d’une critique absolument radicale (surtout chez Douguine) de la civilisation de l’Occident, parce que cette civilisation est perçue comme extrêmement invasive jusqu’à la contagion. La comparaison est souvent faite, effectivement, avec une maladie contagieuse, une peste ou une lèpre, avec comme effet la mort de la Russie (« Une civilisation de mort »).
Ces opinions ont toutes les possibilités de s’étendre en Russie, si elles ne le sont déjà, en raison des évènements. Encore une fois, elles ont la vertu amère de correspondre à la puissance de la GrandeCrise et aux exigences que cet évènement impose au jugement. C’est-à-dire que, sans juger de la justesse de l’un ou de l’autre, et tenant compte de l’absence de capacité d’évolution sérieuse de l’Occident (par manque de personnages capables de telles initiatives), ces opinions extrêmes et extravagantes selon un jugement qui se voudrait raisonnable sont en fait en train d’évoluer vers la position d’être la norme en Russie tandis que le “jugement raisonnable” l’est de moins en moins par rapport à une perception réaliste de la situation.
Le point certainement le plus remarquable depuis le début de l’‘Opération Militaire Spéciale’, c’est la façon dont cet événement de la guerre en Ukraine s’est chargée de plus en plus de divers aspects de la GrandeCrise. Il est également remarquable que la crise intérieure US (la présidentielle de 2024) évolue de plus en plus en incluant comme désormais une de ses dimensions capitales, peut-être comme un des arguments les plus importants, l’aide militaire à l’Ukraine, – c’est-à-dire la crise ukrainienne, – ce qui implique un changement radical : avant, les crises extérieures étaient artificiellement provoquées pour faire passer la pilule de la situation intérieure ; aujourd’hui, c’est dans une crise extérieure que peut s’exprimer la crise intérieure… Une telle situation était complètement impensable dans la première année du conflit qui n’intéressait en rien le monde politique américaniste, ni, encore moins, n’inspirait l’opposition populiste de gauche et de droite pour en faire un cheval de bataille.
Retenons avec force, pour éviter le plaisir narcissique de discours en forme d’ode à notre propre vertu, que ces diverses positions ne sont pas soumises à notre jugement moral. Elles constituent autant de fait qu’il faudra bien un jour prendre en compte.
Le texte ci-dessous es originellement sur le site ‘geopolitika.com’ et en traduction sur ‘euro-synergies.hautetfort.com’.
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Rompre avec la civilisation de la mort
Nous devrions faire une expérience mentale et imaginer ce que l’Occident, qui est en guerre contre nous, peut encore nous faire, en plus d’une frappe nucléaire. Quelles sanctions nous imposer en sus? Qui expulser ? Comment nous humilier ? Nous expulser d’où ? Nous priver de quoi ? (Nous n’envisageons pas une frappe nucléaire, parce qu’ils ne le feront pas, et s’ils le font, cela n’aura pas d’importance, parce que nous le ferons aussi).
Eh bien, l’Occident fera tout cela. Et rien ne l’arrêtera.
Et il n’y a pas lieu de se faire des illusions : en fait, l’Occident ne dépend pas de nous pour presque rien d’important. Et si c’est le cas, il cherche intensément un remplaçant. Et le plus souvent, il en trouve un. Il est peu probable que l’on parvienne à le coincer avec des ressources naturelles ou autre chose. Il est bon que nous ayons cessé de nous rassurer avec un raisonnement tel que « un hiver européen rigoureux, auquel l’Europe ne survivra pas sans nous ». Elle a survécu au dernier hiver et elle survivra à celui-ci. Et l’Ukraine ne s’effondrera pas et ne se rendra pas d’elle-même. Tant que nous ne l’aurons pas effondrée et forcée à se rendre. Par la volonté, par la force et en comptant sur nous-mêmes. Uniquement sur nous-mêmes.
Nous devons apprendre à vivre sans l’Occident.
Nous devons nous débarrasser de tout ce qui nous lie à lui. Couper radicalement tout contact, toute forme de dépendance, toute transaction, toute coopération technique, économique et humanitaire.
Pas de céréales ni d’engrais. Pas de publications dans les revues scientifiques occidentales, retrait de SCORUS, révision des critères du RINC. Ne pas attendre que les scientifiques russes reçoivent un ultimatum: soit vous trahissez votre patrie, soit vous n’êtes plus des scientifiques. Et même aujourd’hui, c’est pratiquement le cas.
Dans le sport, c’est le cas. En politique, c’est plus que cela. En économie et en finance, tout va dans le même sens.
L’Occident nous coupe de lui-même et pose des conditions pour ne pas nous couper davantage: trahir le pays, le peuple, la société, la Russie, trahir Poutine. Nous verrons alors si vous êtes toujours un oligarque ou si vous n’êtes plus un oligarque, un scientifique ou si vous n’êtes plus un scientifique, un politicien ou si vous n’êtes plus un politicien.
L’Occident nous frappera avec tout ce qu’il peut nous frapper. Avec ce qu’il a déjà, et avec ce qu’il n’a pas encore, il nous frappera progressivement.
C’est facile à imaginer. Et si nous l’imaginons, nous devons nous préparer.
Condamnés à vivre désormais sans l’Occident.
C’est tout à fait inattendu. Mais tout à fait logique.
Tout ce qui est occidental est désormais profondément toxique (franchement, il l’a toujours été). Il s’agit en effet d’une addiction à ce que nous ne contrôlons pas, mais que l’ennemi contrôle. Tout soupçon de libéralisme, toute reconnaissance de l’universalisme occidental, toute acceptation de la normativité de tout ce qui vient de l’Occident, toute acceptation des règles, des critères, des pratiques occidentales, où que ce soit et dans quoi que ce soit, est un pas vers la trahison, si ce n’est la trahison elle-même.
C’est ce que signifie être un État-civilisation.
Ne pas dépendre en quoi que ce soit et de quelque manière que ce soit d’une autre civilisation, et surtout de celle qui nous livre une guerre sans merci.
Une fois que nous aurons complètement rompu toute relation avec ce modèle global (de dégénérescence et de déshumanisation) appelé « Occident collectif » moderne, nous pourrons nous concentrer sur l’établissement de nos propres fondements civilisationnels.
Franchement, nous n’avons pas encore regardé dans cette direction. Tout le monde a essayé de s’intégrer à l’Occident tout en préservant sa souveraineté. C’est impossible, irréaliste et inutile. Et c’est exactement ce qui s’est passé immédiatement. L’Occident n’a pas besoin d’une « corporation Russie », même si elle est loyale envers l’Occident. Pour eux, la bonne Russie est la Russie absente. Ce n’est même pas la Russie d’Eltsine, elle n’existe tout simplement pas.
Il est plus coûteux de prolonger ce processus. Il est temps de couper ce fil, car il s’agit d’entraves civilisationnelles, et non du désir de rejoindre le « courant principal du développement ». L’Occident est une impasse. Mais c’est leur affaire. Pour nous, il n’est qu’un ennemi, il est la mort et la fin.
La Russie ne vivra que dans un monde où l’Occident ne décide pas et ne signifie rien. Du moins pour nous. Dans tous les autres cas, ce sera la torture de l’épouse étrusque, lorsque le criminel était attaché vivant à un cadavre en décomposition. Il n’y a rien de plus horrible qu’une telle torture. Un homme meurt lentement, la nécrose pénètre son corps cellule par cellule.
L’Occident est un cadavre en décomposition lié à l’humanité.
Il ne lui suffit pas de périr, il veut entraîner tout le monde avec lui dans l’abîme.
Regardez l’Ukraine, ce qu’ils lui ont fait … Une nation empoisonnée, tordue, psychologiquement brisée. Un État détruit. Broyée en masse sur les fronts d’une guerre insensée et délibérément perdue ou fuyant le pays par une société enragée. La mariée morte du contrôle occidental est fermement attachée au pays qui respire encore (mais à peine). Mais la mort gagne en Ukraine. Les yeux de ses dirigeants enragés sont fixés sur l’Ukraine, qui est déjà passée de l’autre côté, déjà morte mais toujours extérieurement vivante.
La libération totale de l’Occident est la seule voie de salut. Tout ce qui est mauvais dans la Russie moderne vient de l’Occident. Ses miasmes ont rongé notre politique, notre économie, notre culture, notre science, notre psychologie, notre vie quotidienne, notre jeunesse. Il s’agit d’un processus cancérigène. Plus vite et plus fort nous couperons les cellules atteintes, plus grandes seront les chances de salut et de renaissance de notre patrie, la grande Russie.
Alexandre Douguine
Dedefensa.org