C’est à partir du centre d’études et de documentation du Hezbollah, dirigé par Abdel Halim Fadlallah, que l’écrivain Richard Labévière, spécialiste des questions de défense et de stratégie, a expliqué les nouvelles tendances de la doctrine militaire américaine.
Devant un auditoire attentif, formé d’anciens militaires, de chercheurs et de spécialistes, Richard Labévière est revenu sur la théorie de la suprématie militaire américaine, sur terre, en mer et dans les airs. Il a précisé que dès l’élection du président américain Barack Obama pour un premier mandat, il avait immédiatement énoncé trois conclusions : d’abord, la politique hégémonique des États-Unis initiée par George W. Bush allait se poursuivre, ensuite, l’agenda militaire et stratégique des néoconservateurs, basé sur la lutte contre le terrorisme, allait rester un des fondamentaux de la politique américaine et, enfin, les démocrates ont changé les méthodes sans opérer de changement de fond.
C’est d’ailleurs ce point qui constitue la clé des développements du spécialiste français.
Devant son auditoire, il a insisté sur le fait que l’approche des démocrates a pu paraître différente et beaucoup d’analystes ont commencé à parler d’un changement fondamental dans la stratégie américaine. Mais lui n’en a jamais été convaincu, en dépit de toutes les critiques dont il a fait l’objet. D’autant qu’après l’élection d’Obama pour un premier mandat, l’Europe avait été prise d’une véritable « obamamania » et tout le monde pensait que ce président, noir et plutôt de tendance de gauche, romprait avec la politique de son prédécesseur, non seulement de droite mais aussi ultraconservateur.
Il n’en a rien été. La politique américaine est restée, selon le conférencier, aussi offensive. Mais la grande nouveauté, c’est l’échec des guerres conventionnelles, en Irak et en Afghanistan, ainsi que l’effondrement de ce qu’on appelle la « Hard Power américaine » ou que l’ancien ministre français des Affaires étrangères appelait l’hyperpuissance américaine.
À cet égard, Richard Labévière rappelle que lorsqu’en 2003 les États-Unis ont choisi d’envahir l’Irak, ils avaient réuni la plus grosse armada du monde. Et la chute de Bagdad a eu lieu en quelques jours. Malgré cela, le bilan de l’invasion de l’Irak est toujours classé secret défense et jusqu’à maintenant, on n’a pas pu obtenir des chiffres exacts. À part les deux erreurs monumentales commises par le gouverneur américain Paul Bremmer en Irak qui ont consisté à dissoudre l’armée et l’appareil du parti Baas, cette invasion a ouvert une décennie d’échecs pour les États-Unis, qui ont poussé ce pays à élire un nouveau président chargé de redresser la situation. C’est donc dans cet esprit que la nouvelle administration a choisi de modifier la tactique, en évitant désormais de s’impliquer directement dans les conflits, préférant pousser vers cela les armées amies ou alliées, française, anglaise et autres. C’est un peu ce qui s’est passé en Libye. À partir de là, le Pentagone s’est contenté de fournir une aide logistique ainsi que le renseignement électronique, tout en envoyant sur place des forces spéciales, notamment dans les zones pétrolières. La doctrine militaire d’Obama, si l’on peut dire, se résume donc ainsi : renoncer aux guerres préventives et aux guerres traditionnelles, effectuer un redéploiement stratégique dans les zones d’intervention et maintenir la clandestinité en utilisant « la Soft ou Smart Power ».
Cette nouvelle doctrine se fonde sur sept piliers : d’abord, la prééminence des forces spéciales, qui sont présentes dans 120 pays dans le monde et dont le nombre de recrues ne cesse d’augmenter. Ensuite, l’utilisation massive du renseignement satellitaire et des écoutes téléphoniques. Il faut ajouter l’utilisation des drones, qui sont de deux types : ceux de reconnaissance et les drones tueurs dont les derniers modèles peuvent rester en vol pendant 24 heures et sont dotés de missiles air-sol. Le quatrième pilier est la cyberguerre et le cinquième consiste dans le développement des armées dites de substitution (ce qu’on appelle plus vulgairement la sous-traitance de la guerre). Le sixième, c’est l’organisation d’exercices et de manœuvres militaires avec le plus grand nombre de partenaires et, enfin, le septième pilier est l’utilisation des médias et des réseaux sociaux, sachant que toutes les sociétés qui gèrent ces réseaux sont américaines. Ces réseaux donnent ainsi aux États-Unis une suprématie totale sur ce monde nouveau et sur cette arme redoutable. En même temps, il s’agit de faire de la guerre un état permanent et indécelable. Ce qui permet d’agir dans une grande opacité. C’est en quelque sorte « l’orwellisation de la guerre » par le biais de la fabrication d’une instabilité « constructive ». Pour Labévière, il est donc faux de croire que c’en est fini de la puissance américaine et que la politique américaine est devenue pacifiste. Les méthodes et les moyens changent mais pas la stratégie, conclut-il.
* Richard Labévière est rédacteur en chef du site espritcors@ire.com« >espritcors@ire.com. Rédacteur en chef Grand reporter à la TSR, rédacteur en chef à RFI et de la revue Défense de l’IHEDN. Il est aujourd’hui consultant en relations internationales. Collaborateur du mensuel Afrique-Asie, il est l’auteur d’une quinzaine d’ouvrages dont « Les dollars de la terreur », « Le grand retournement / Bagdad-Beyrouth », « Quand la Syrie s’éveillera » et « Vérités et mythologies du 11 septembre ».
Source : L’Orient-Le Jour