Rapport succinct d’expertise de la vidéo des sept otages français.
Traduction intégrale de la revendication et analyse du discours :
« Je me fie à Dieu contre Satan le maudit
Au nom de Dieu Clément et Miséricordieux (ces deux formules sont employées de pair car le locuteur citera un verset du Coran à la fin et respecte ainsi la tradition de citation)
Rendons grâce à Dieu qui a fait du Jihad un devoir d’adoration (cultuel) « ibada » et en a fait pour ses serviteurs un devoir cultuel parmi les meilleurs
Il leur a prédit une de deux bonnes choses soit la victoire soit le martyr (c’est bien donc un groupe jihadiste fidèle à la doctrine de Boko Haram)
Prière et salut sur le Messager de Dieu
Qu’il soit béni et glorifié de même que ses descendants (omission des compagnons du prophète) et tous ceux qui suivront leurs traces jusqu’au jour dernier.
Et après, venons-en à notre sujet,
Nous disons au Président de la France, nous sommes le groupe de la Sunna pour la prédication et le Jihad qu’on nomme Boko Haram, ce groupe qui mène la guerre sainte Jihad dans quelque pays d’Afrique nommé Nigeria.
C’est nous qui avons capturé ces sept individus, ce sont deux hommes, une femme et quatre enfants entre la frontière du Nigeria et du Cameroun pour certains de nos objectifs.
Entre autres, premièrement, que le Président de la France sache qu’il a livré combat contre l’Islam et nous l’avons combattu en tout lieu, deuxièmement, qu’il sache que nous nous sommes déployés en tout lieu pour sauver nos frères opprimés.
Et nos objectifs sont :
Nous mettons en garde le Président du Nigeria qui se nomme (…) Jonathan, qu’il sache que nous arrivons (débarquons) et que nous serons victorieux en dépit de votre siège contre nous et de votre rancune et ruse, nous vaincrons par la grâce de Dieu, sa victoire, sa puissance et sa gloire et nous établirons l’État de l’Islam au Nigeria, Inchallah.
Et nous te disons, si tu veux qu’on relâche ces Français, relâche toutes nos femmes que vous détenez par vos mains rapidement car nous savons que la mécréance est un groupe de même confession et vous êtes semblables aux mécréants qui nous combattent (il assimile en fait le président du Nigeria aux Français mécréants et le frappe d’anathème « tockfir » il est donc licite de le tuer – c’est donc un groupe tackfiriste)
Et nous mettons en garde le président du Cameroun, qu’il relâche nos frères détenus, laissez les rapidement sinon vous verrez ce qui vous arrivera, si Dieu veut, comme nous avons pris ces individus (les otages).
Enfin nous vous disons :
Exécutez toutes ces choses, si vous laissez ne serait-ce qu’une seule chose, nous égorgerons ceux-là que nous avons pris, nous égorgerons ceux-là que nous avons pris (les otages)
Et « Dieu triomphe dans ce qu’il fait, mais la plupart des gens l’ignorent » (citation d’un verset coranique)
Que Dieu bénisse notre Prophète, sa descendance ses compagnons (les compagnons ne sont pas omis dans ce passage comme ce fut le cas dans le préambule) et tous ceux qui l’ont suivi jusqu’au jour du Jugement et que la Paix soit sur vous. »
N. B. :
Cette traduction cherche à être fidèle à l’esprit du discours et à ses particularités linguistiques qui pourraient servir d’éléments de comparaison avec d’autres discours. L’élégance du français est parfois sacrifiée au profit de la fidélité.
Quant au fond :
Le nom du groupe que l’on fait prononcer en arabe à l’otage français et qui apparaît dans le discours de l’islamiste : « les gens de la sunna pour la prédication et le Jihad », est précédé du terme « Jamaa » qui signifie groupe avec la précision qu’il s’agit bien de Boko Haram.
Le nom du groupe en arabe est conforme à ce que nous savons de la littérature arabe de Boko Haram.
Ce groupe se proclame donc du Nigéria, y prône le Jihad et revendique la prise d’otages
Il est en fait trois messages à trois présidents :
– Le message au président français : il est l’ennemi de l’Islam, ils l’ont combattu et le combattront partout, reprenant un terme consacré employé par les sunnites mais très cher aux chiites « la défense des opprimés ».
– Le message au président du Nigeria, seul président nommé (par son nom), annonce la victoire imminente du groupe, l’établissement d’un état islamique, exige la relaxe des femmes détenues, et le déclare mécréant et excommunié, comme les Français.
– Le message au président du Cameroun : le menace d’enlèvement comme les otages, s’il ne libère pas les prisonniers.
Message des messages en guise de conclusion : les otages seront égorgés et non exécutés, fidélité à une certaine tradition, takfiniste mais les exigences sont très générales pour que le locuteur soit crédible.
Quant à la forme :
L’arabe est d’un niveau simple et loin de l’arabe fleuri et châtié des grands prédicateurs des groupes jihadistes, bien qu’émaillé de formules clichés.
Les transitions s’articulent mal avec la répétition de « nos objectifs », toutefois malgré la syntaxe d’un arabe de cuisine, l’ensemble demeure clair et sans aucune ambiguïté.
On relève des emplois pas très arabes, si l’on se réfère à l’arabe standard, par exemple pour expliquer la guerre contre l’islam ou « garder en prison » qui est traduit mot à mot d’une langue étrangère ou qui est une interférence du dialecte du locuteur.
On compte sept fautes de grammaire élémentaires concernant l’accord du nombre, le cas du pluriel régulier, les déclinaisons, confusion entre cas sujet et cas direct.
Le locuteur sait lire, mais il ignore la grammaire et n’est sans doute pas lettré ni locuteur natif de l’arabe.
La facture rhétorique et stylistique demeure médiocre et contredit le ton emphatique solennel de l’orateur et la mimique menaçante de même que la gestuelle.
L’omission des compagnons dans la formule cultuelle au début relève peut-être du trac de l’orateur.
Conclusion générale :
Il s’agit sans doute d’un petit groupe isolé, loin de la Centrale Boko Haram.
Cela pourrait être un appel pour communiquer avec les hauts responsables du groupe, un appel à la mobilisation et à l’aide des autres petits groupes au Nigeria et dans les pays voisins.
La vidéo est adressée donc à plusieurs destinataires, les destinataires « dits » et les destinataires « non-dits » d’où le danger qui plane sur toute la zone.
Cela peut être un message un peu codé, une sorte d’appel au secours.
Enfin, les exigences maximalistes et très générales ôtent au discours tout caractère de crédibilité et de pragmatisme.
N. B. : Pour ne pas porter préjudice aux otages, plusieurs éléments de l’expertise au niveau sémiotique ont été occultés.