À Gishora, au centre du Burundi, un son puissant et fort déchire les collines environnantes. Un grondement des tambours résonne dans l’espace. Sur le terrain adjacent à un enclos royal entouré des huttes majestueuses, un vieux et des jeunes tambourinaires répètent.
Antime Barasakaje danse encore comme un jeune malgré ses 82 ans. Gardien des tambours à Gishora, il en est la mémoire vivante au Burundi. C’est le seul homme non politique à figurer sur un billet de banque. Depuis 1960, il sillonne le monde en jouant et relatant le rôle du tambour dans le Burundi ancien.
Sur le tournage du documentaire Tambours sacrés, du réalisateur burundais Joseph Bitamba, dans la campagne environnante de Bujumbura, la capitale, nous l’avons rencontré. Il n’a pas hésité à partager quelques-unes de ses connaissances. « Le tambour marque l’union du peuple. La guerre s’arrête et les guerriers se transforment en tambourinaires, l’union est consacrée », raconte le vieillard en faisant référence à une ancienne légende.
Selon Melchior Mbonimpa, écrivain et professeur à l’Université laurentienne au Canada, auteur d’un roman sur le même sujet, « la fonction royale et sacerdotale du tambour du Burundi faisait de lui le garant du pacte entre le ciel et la terre. Son rôle principal consistait, littéralement, à “faire la pluie et le beau temps”. Il officiait pour que l’eau du ciel descende en temps opportun et en quantité suffisante, afin que la terre accouche de la vie ».
Les collines tremblent quand les tambourinaires battent le rythme en chantant et en poussant des cris gutturaux. À tour de rôle, chacun vient se produire en sautant et en dansant. Les mouvements et les figures de danses exécutées sont très physiques. La codification des gestes et l’enchaînement des frappes dévoilent la fonction rituelle des instruments. Le son monte avec la chaleur et les batteurs sont trempés de sueur. Ils semblent portés par une force supérieure, presque hypnotique.
À l’origine ritualistes, ces percussionnistes courtois exerçaient leur fonction lors de cérémonies en hommage au souverain. Leur univers a depuis longtemps fasciné un large public et de nombreux ouvrages, cinématographiques, théâtraux et littéraires leur ont été consacrés. Car, si l’art du tambour demeure sacré, la liturgie s’est adaptée aux salles de spectacles, et les tambourinaires burundais, héritiers de cette tradition ancestrale, captive aujourd’hui l’attention de publics du monde entier.
Un des tambourinaires nous expliqua la signification du dernier morceau interprété devant la caméra de Joseph Bitamba : « Nous jouons le morceau “Ur-Inyambo”, qui exprime la beauté du pays qui est représenté par une vache, symbole de richesse. Le Burundi est un pays agricole et la vache est un symbole utilisé un peu partout. Nous disons : “Tu es beau, Burundi, tu es beau comme une vache, pays de lait et de miel, tu es digne, tu es la vache laitière, tu es les champs, tu es notre fierté à tous.” »
À l’appel d’Antime, les musiciens rejoignirent leur tambour respectif. « Muri ho, muri ho ? » (Êtes-vous prêts ?), entonna le chef. « He, he, he » (Oui, oui, oui), répondit en cœur le reste du groupe. « Tambour royal, tambour sacré ! Ta musique qui parle si bien au cœur et à l’esprit peut bien être d’essence divine ! », continue Antime.
Selon Joseph Bitamba, « depuis que le Burundi existe, le tambour a été un élément central de la vie du pays. C’était un symbole du pouvoir détenu par le roi, la liaison entre le ciel, le roi et le peuple. Sans tambour, le roi ne pouvait plus régner. Ce n’est pas pour rien que les colonisateurs belges prirent le tambour royal burundais et le gardent encore aujourd’hui en Belgique ! »
De retour en France après une dernière tournée en 2010, les Maîtres Tambours du Burundi présenteront leur art dans le jardin du musée du quai Branly, à Paris (1). Autre invité de cet événement intitulé Masques et Tambours d’Afrique, la sortie de masques dogons. Les tambourinaires du Burundi et les Dogons du Mali… la juxtaposition est inattendue. Ils utilisent tous deux le tambour, oui, mais les uns proviennent du centre de l’Afrique et les autres évoluent à l’ouest du continent.
Tout diffère en surface : les instruments, les sons, les chants, les danses, les costumes. Pourtant, il s’agit de concordances plus profondes, plus primitives, plus authentiques, que les spectateurs peuvent explorer au théâtre Claude Lévi-Strauss du musée, qui invite les spectateurs à redécouvrir ces traditions spectaculaires et toujours très vivaces en Afrique, programmées lors de deux week-ends de juin.
Dans le cadre du Festival de l’imaginaire, la Maison des cultures du monde présente une sortie de masques dogons au Mali. Peuple emblématique à cause du mystère qui l’entoure, les Dogons vivent dans une région rocheuse du centre du Mali, entre plaine et plateau, accrochés à la falaise de Bandiagara. Chez eux, la musique et la danse sont liées à un calendrier saisonnier pendant lequel sont pratiqués les rites des ancêtres, les funérailles et les liturgies agraires.
Tous les deux ou trois ans se déroule le Dama, cérémonie du départ des âmes des défunts. Elle donne lieu à une chorégraphie processionnaire dont les membres portent des masques de bois peints de couleurs vives et des étoffes ornées de cauris. Ils représentent des animaux de la brousse comme le renard, l’animal mythique des Dogons, ou des symboles mythologiques.
Depuis 1991, la troupe Awa (terme qui signifie « société des masques ») de Sangha a donné plusieurs représentations en Afrique, en Europe et aux États-Unis. Après un spectacle en 1999 à Paris, elle revient à l’affiche du Festival de l’imaginaire pour son édition 2013.
(1) Les spectacles se dérouleront au théâtre Lévi-Strauss du musée du quai Branly, 37 quai Branly, 75 Paris. Tél. : (33) 1 56 61 70 01.
Les Tambours du Burundi seront sur la scène les 7, 8 et 9 juin ; les Dogons les 14, 15 et 16.