La visite de l’Emir Fayçal Bin Farhan, Bin Abdallah, le ministre saoudien des Affaires étrangères, à Alger, où il été longuement reçu par le président Abdelmadjid Tebboune, constitue, à n’en pas douter, un tournant capital sur la voie d’une sortie du bourbier libyen créé en 2011, avec l’intervention militaire de l’OTAN qui a abouti au renversement du régiment la Jamahiriya, à l’assassinat de Mohammad Kadhafi, et à déclencher une guerre civile alimentée par des puissances régionales et internationales. Une guerre déclenchée en violation du droit international. L’Algérie, il convient de le rappeler, s’était opposée à cette intervention de type coloniale. Elle était la seule dans cette position, par principe et surtout par pragmatisme, connaissant la complexité tribale et régionaliste de ce pays voisin.
À peine élu à la magistrature suprême, le président Tebboune a solennellement affiché sans ambiguïté sa détermination à s’attaquer au règlement pacifique, consensuel entre libyens, sans ingérences étrangères et avec l’assistance des seuls pays limitrophes. Il l’a répété dans ses multiples sorties médiatiques, notamment dans ses interviews avec Rousseau Al Yaoum, France 24, l’influent quotidien français L’Opinion et l’ENTV, la télévision nationale algérienne.
A la question du journaliste de l’Opinion à propos de la Libye, il a répondu :
« La Libye nous a aidés pendant la guerre de libération en accueillant sur son sol des moudjahidin. Il est de notre devoir de lui porter secours. Cela peut déplaire aux pays qui agissent au nom de leurs intérêts économiques. Le jeu de gagne-terrain militaire n’est pas la solution. Nous travaillons sérieusement à la pacification de ce pays avec lequel nous partageons certaines communautés tribales. L’Algérie est prête à accueillir sur son sol des pourparlers sous l’égide des Nations-Unies. Nous avons reçu les représentants des deux pôles belligérants et les chefs des tribus puissantes. Les Libyens veulent la paix. Toutes les solutions mises en œuvre depuis 2011 ont échoué. Il faut travailler à une nouvelle feuille de route menant à des élections apaisées d’ici deux à trois ans, sous la supervision de l’ONU et d’un gouvernement de transition issu d’un consensus national. » Et d’ajouter : « Le rétablissement de la stabilité de notre voisin est un enjeu de sécurité nationale. Nous sommes preneurs de toutes les actions qui peuvent permettre d’obtenir un cessez-le-feu. Mais le cessez-le-feu n’est que le début de la solution. Les voisins algériens, tunisiens et égyptiens sont le plus à même d’aider le pays à retrouver le chemin de la paix. »
Le président français Emmanuel Macron dont le pays soutient le camps du maréchal Haftar l’avait compris. Son spectaculaire rapprochement avec le président Tebboune, à travers la question mémorielle, était également motivé par son ouverture sur l’approche algérienne de sortie du bourbier libyen et sahélien.
Il faut placer la visite du chef de la diplomatie saoudienne dans ce cadre. Ses déclarations à l’issue de son audience avec le chef de l’Etat algérien sont éloquentes. Il paraphrase les expressions mêmes de la diplomatie algérienne. « L’Arabie saoudite, déclare-t-il, s’engage à coordonner sa politique avec l’Algérie pour un règlement pacifique de la crise libyenne en vue de parvenir à une solution pacifique à la crise libyenne et permettre ainsi à ce pays de recouvrer sa sécurité et sa stabilité ». Il a également emboîté le pas à son hôte en insistant sur « le rôle important et central des pays du voisinage dans le règlement pacifique du conflit en Libye en vue de protéger ce pays frère contre le terrorisme et les ingérences étrangères », déclarant « nous nous engageons à coordonner avec l’Algérie et nous allons tenter avec les pays du voisinage de parvenir à un règlement qui préserve ce pays et lui permette de retrouver sa stabilité ».
Il a enfin souligné « une convergence de vues entre l’Arabie Saoudite et l’Algérie quant aux défis qui se posent pour la région ». Une phrase qui sous-tends que les discussions ont abordé d’autres conflits dans le monde arabe, notamment la guerre en Syrie qui, avec l’implication de mercenaires syriens embrigadés par la Turquie, déborde désormais vers la Libye. L’Algérie, qui devrait accueillir le prochain sommet arabe, exhorte l’Arabie saoudite et ses alliés à œuvrer en vue du retour de la Syrie, membre fondateur de la Ligue arabe, dans le bercail.
Sera-t-elle entendue? C’est plus que probable car ce retour va couper l’herbe sous les pieds des acteurs régionaux et internationaux qui profitent des divisions arabes absurdes pour avancer leurs pions.
À peine le ministre saoudien a quitté le palais présidentiel d’El Mouradia qu’un autre visiteur, dont le pays est impliqué dans le conflit libyen, a été reçu par le président Tebboune. Il s’agit de l’ambassadrice de Turquie en Algérie, Mme Mahinur Ozdemir Goktas. Hasard du calendrier ou c’est le signe qu’une initiative diplomatique algérienne pour rapprocher les belligérants? Wait and see…
Majed Nehmé