Tout savoir sur le peuple kurde et les dynamiques qui le motivent : c’est ce que propose l’exhaustive revue « Anatoli » dans son numéro qui vient de sortir.
Dirigé par l’un des plus éminents experts de l’histoire et de la sociologie politique kurdes, ce numéro spécial de la revue académique Anatoli (1) – qui prend le relais de l’ancienne revue Cemoti – spécialisée dans les aires régionales post-ottomanes, de l’Europe orientale au Caucase, propose un état des lieux aussi exhaustif que possible sur l’histoire, la sociologie politique et la géopolitique du peuple kurde dans toute sa pluralité. C’est aussi l’occasion de donner un aperçu des dynamiques transfrontalières et diasporiques en cours qui accompagnent celles propres à la « question kurde » dans chacun des pays où elle se pose. Le ton se veut volontiers prudent face à la radicalité des bouleversements actuels, l’incertitude d’un avenir otage de douloureuses recompositions en cours à l’échelle du Moyen-Orient. Dans ce volumineux dossier, les auteurs réfléchissent de concert à la « cause kurde » exprimée de manière pacifique ou par le recours à la lutte armée pour la reconnaissance de leur statut et de son altérité.
Si par le passé les révoltes armées successives s’en sont prises aux États centraux, ce n’est pas tant dans l’optique d’abolir les frontières étatiques que de les rendre plus fluides. Aujourd’hui, l’affaiblissement des États de Bagdad et de Damas contribue à effacer la frontière qui sépare les Kurdes irakiens et leurs frères syriens. Toujours est-il que l’Iran et l’Irak maintiennent une position inflexible et entendent rester les maîtres du jeu vis-à-vis de « leurs » Kurdes. Si les vagues de mobilisation successives ont contribué depuis la fin des années 1950 à ce que la « cause kurde » gagne en légitimité, elles ont surtout permis une transmission des expériences et des modes d’action, doublée d’un rajeunissement et d’une féminisation de la contestation, qu’elle soit en milieu rural ou en milieu urbain.
Tout au long du xxe siècle, la question kurde a été déterminée par deux caractéristiques complémentaires qui, bien que redéfinies, conservent encore toute leur vitalité. Il s’agit d’abord des mécanismes d’intégration et d’exclusion mis en place par l’Irak, l’Iran, la Syrie et la Turquie et les conséquences du refus de ces États de reconnaître le fait kurde et leurs droits politiques et culturels. Vient ensuite la division des Kurdes par des frontières interétatiques ainsi que les conséquences de l’établissement de nouvelles frontières lors de l’effondrement de l’Empire ottoman.
Désormais doublement « enclavés », « les Kurdes se sont retrouvés dépendants de plusieurs capitales jalouses de leur souveraineté, de nouveaux découpages administratifs, de langues officielles et systèmes d’éducation distincts imposés par le centre », écrit Hamit Bozarslan, lequel compare les événements récents de l’année 2014 à un retour à « la logique de Sparte », ramenant les Kurdes d’Irak et de Syrie à la violence du réel.
(1) Anatoli – Les Kurdes : puissance montante au Moyen-Orient, sous la direction de Hamit Bozarslan, n° 8, 2017, CNRS Éditions, 332 p., 32 euros.
Répartition des Kurdes en Turquie, Iran, Irak et Syrie. Source : Institut Kurde de Paris
Source : www.afrique-asie.fr – Octobre 2017