Depuis mai dernier, les insurgés du M23 ont à nouveau fait plonger cette région, en proie à des rébellions à répétition depuis vingt ans, dans la violence. Par-delà leurs exactions et leurs crimes, qui sont les protagonistes des conflits ? Qu’est-ce qui les motive ? Éléments d’explication.
Les conflits du Kivu ne sont pas nés d’hier. À l’indépendance du pays, face au pouvoir de Kinshasa, impliqué avec l’État belge et l’État sécessionniste du Katanga dans l’assassinat du premier ministre Patrice Lumumba, les rebelles Simba (1963-1965), conduits notamment par Gaston Soumialot et Laurent Kabila, se soulèvent. Par la suite, le refus de permettre aux Congolais rwandophones d’être propriétaires fonciers et la campagne lancée en 1992 par le politicien du Sud-Kivu, Célestin Anzuluni Bembe, pour les exclure de la Conférence nationale contribuent à la naissance de la Mutuelle agricole des Virungas (Magrivi). Celle-ci devient une milice défendant les intérêts hutu, en particulier après le massacre à Ntoto, en territoire de Walikale, de paysans hutu par des milices d’autres ethnies locales (Nyanga et Hunde) en 1993. Parfois, les combats opposent aussi les Hutu aux Tutsi, notamment les membres de l’Association coopérative des groupements d’éleveurs du Nord-Kivu (Acogenoki). Le tout débouche sur la guerre du Masisi de 1993. Et le comportement de l’armée zaïroise lors de l’opération de pacification Kimia, caractérisé par de nombreux pillages, n’a fait que renforcer l’émergence, dans toutes les ethnies locales, de milices d’autodéfense.
À partir du déclenchement de la rébellion de l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDL) de Laurent Kabila en 1996, on assiste à la renaissance du mouvement Maï-Maï, qui se réclame de l’héritage simba, dont les différents groupes se soulèvent d’abord contre Mobutu. Puis, à l’instar des Wangilima du docteur Kaganga de la région de Beni, ils prennent le maquis pour harceler les troupes de l’AFDL. En cause : la présence de rwandophones tutsi (dont les Banyamulenge du Sud-Kivu) dans son commandement politique et militaire. Au cours de la seconde guerre (1998-2003), Kinshasa va soutenir les groupes Maï-Maï contre la rébellion du Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD), appuyée par Kigali. Avec à la base un parti-pris contre la minorité tutsi congolaise, dont les ressortissants sont assimilés aux militaires à l’Armée patriotique rwandaise, bien que la présence de rwandophones dans les Kivus soit un phénomène ancien. Le territoire de Bwisho à l’est de Rutshuru a fait partie du royaume du Rwanda avant la colonisation et la présence des Banyamulenge sur les plateaux de l’Itombwe (Sud-Kivu) remonte au moins au xviiie siècle.
Le combat du RCD, et plus tard de son héritier politique, le Conseil national pour la défense des peuples (CNDP) de Laurent Nkunda, trouve en partie ses racines dans l’exode en juin et juillet 1994 de deux millions de réfugiés hutu rwandais, poussés hors du pays par les responsables du génocide et le commandement des Forces armées rwandaises. Dans l’esprit de la minorité tutsi mal aimée, la possession d’une phalange bien armée constituait, au départ, une assurance tout risque anti-génocide. Mais, l’appétit venant en mangeant, la suprématie militaire du RCD et du CNDP, grâce à l’appui rwandais et à l’expertise des combattants qui ont servi dans l’Armée patriotique rwandaise (APR), a perverti la fonction du CNDP, devenu de plus en plus en prédateur, après s’être montré au départ, en 2006, une force mieux organisée et mieux disciplinée que les autres milices. Aujourd’hui la région, sous le contrôle des rebelles du M23, héritier du CNDP, se caractérise par l’absence totale d’activités. Les populations qui n’ont pas fui la zone se plaignent de nombreux vols, viols, pillages et aussi assassinats, rapportent des témoins.
Les événements actuels qui opposent le M23 au gouvernement de Kinshasa trouvent leur origine dans une situation complexe. Celle-ci part, d’abord, de la décision de Kabila de lâcher Bosco Ntaganda, l’ancien chef de la branche armée du CNDP, devenu commandant en second de la région militaire au sein de l’armée nationale. Mais elle ne suffit pas à expliquer la désertion des officiers et soldats tutsi congolais basés au Kivu pour rejoindre le M23. Il y a la crainte d’être mutés dans d’autres provinces et aussi, pour certains, celles de perdre les revenus juteux de l’exploitation minière ainsi que des recettes douanières du poste frontière de Bunagana. Autre motif invoqué par le chef du M23, le colonel Sultani Makenga, pour refuser le déploiement dans d’autres régions : la nécessité de créer les conditions de sécurité pour que les parents des combattants réfugiés au Rwanda puissent rentrer chez eux.
On estime à plusieurs centaines les rebelles du M23, chiffre qui irait croissant. Ils ne sont pas seulement composés de déserteurs tutsi, mais aussi d’autres ethnies, y compris Hutu.
Les Forces démocratiques pour la libération du Rwanda (FDLR), dont l’existence sert de justification à la revendication des militaires tutsi congolais de ne pas être mutés hors du Kivu, sont un autre protagoniste important. Dirigées par d’anciens officiers des Forces armées rwandaises du défunt président Habyarimana, elles intègrent des miliciens Interahamwe responsables du génocide des Tutsi au Rwanda, ainsi que des jeunes formés dans les camps de réfugiés. Au nombre de quelques milliers, elles ne constituent plus vraiment une menace pour Kigali. Selon une étude du Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité de Bruxelles, leur objectif est en réalité de vivre en RDC, où elles ont répandu l’usage des viols systématiques au sein de l’armée nationale dans laquelle ses membres ont servi de supplétifs.
Au pied du Ruwenzori et au nord du Parc national des Virunga, sévit la guérilla de l’Alliance of Democratic Forces-National Army of Liberation of Uganda (ADF-Nalu), dont à l’origine le motif de la présence au Congo a été la répression contre les membres de la secte fondamentaliste musulmane des tabliques. Leurs détracteurs disent qu’ils sont en rapport avec les shebab somaliens, mais l’ancien chercheur d’International Crisis Group Jason Stearns affirme qu’ils s’occupent surtout de contrebande de bois et d’or
Enfin, il y a les armées des États de la région. À commencer par les Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC), dépourvues par leur propre hiérarchie des moyens de défendre le territoire et plus préoccupées de dépouiller leurs concitoyens. Le plus souvent, le principal souci des soldats de l’armée congolaise est d’assurer leur propre survie et celle de leurs proches, puisque même quand elle leur parvient, leur maigre solde n’y suffit pas. Pour leurs chefs, le chaos qui se perpétue au Kivu est une occasion d’encaisser des revenus de sites miniers quand ils les contrôlent, mais aussi de détourner l’argent destiné à la troupe et aux fournitures de l’armée. Cette situation de paupérisation des militaires congolais a favorisé les désertions et le ralliement de ces derniers et même d’anciens combattants des groupes Maï-Maï Pareco ou autres.
La Rwanda Defence Force a été mise également en cause, ce que dément Kigali. Néanmoins, dans une interview au journal belge Le Soir, le ministre de la Défense admet la possibilité de recrutements par le M23 dans des camps de réfugiés situés au Rwanda. En juin, un rapport d’un groupe d’experts de l’Onu avait évoqué ce cas de figure, mais aussi les livraisons d’armes au M23 et déploiement de troupes rwandaises au Congo. Pour ajouter à la confusion, l’on a appris que certaines unités s’y trouvaient avec l’accord de Kinshasa. Mais pourquoi Kigali aurait-elle pris le risque de la suspension de leur aide par plusieurs pays occidentaux ? À supposer que celle-ci soit avérée par des preuves plus convaincantes, certains éléments pourraient l’expliquer.
Actuellement certes, les FDLR, dont le but avoué est de contraindre par la force Kigali à partager le pouvoir avec elles, n’ont plus les moyens de constituer une menace sérieuse. À un détail prêt : Kigali est persuadée que l’ancien chef d’état-major, le général Faustin Kayumba Nyamwasa, et l’ancien responsable du renseignement militaire, le colonel Patrick Karegeya, tous deux réfugiés en Afrique du Sud, sont en rapport avec les FDLR. Une telle collusion serait d’autant plus dangereuse que Karegeya est très proche de Salim Saleh, demi-frère du président ougandais Yoweri Museveni et propriétaire de la firme militaire privée Saracen International. La découverte de cette connexion avait d’ailleurs passablement tendu les relations entre Kigali et Kampala début 2011.
Enfin, quel intérêt l’Ouganda, qui a soutenu et entretenu une myriade de rébellions congolaises au cours de la décennie écoulée, aurait-il à continuer ces pratiques, selon les accusations des experts de l’Onu ? L’explication la plus communément avancée est que l’Ouganda tire profit du trafic d’or et de bois d’œuvre congolais. Mais est-il nécessaire pour cela de financer une rébellion ? L’absence de contrôle de ses frontières par le Congo et l’implication des Congolais eux-mêmes, y compris des douaniers, dans la contrebande, ne rend pas indispensable ce genre de soutien.