Après dix-sept ans de guerre, la nature en République démocratique du Congo (RDC) a souffert d’une véritable hécatombe. Et ses défenseurs ont payé un lourd tribut. Une des tragédies les plus atroces est survenue le 24 juin 2012, lorsque les combattants maï-maï du chef Morgan ont fait irruption dans la réserve d’Epulu, en Province-Orientale, tuant deux gardes et massacrant les quinze okapis, espèce menacée de disparition. En quelques instants, plus de vingt-cinq années de travail et des millions de dollars ont été perdus, déplore Guy Bahima, le directeur technique de l’Institut congolais pour la conservation de la nature (ICCN).
Depuis 1996, 283 gardes ont trouvé la mort. L’une des dernières victimes est Atamato Madranbélé, le conservateur du parc national d’Upemba, au Katanga, tombé à la mi-décembre 2012 dans une embuscade tendue par les Maï Maï du « commandant » Gédéon. Pas très surprenant quand on sait que l’ICCN ne dispose, pour protéger ce parc de 11 000 km2, que de soixante-neuf gardes mal armés, mal équipés et mal payés. Résultat : le guépard a pratiquement disparu du parc et il ne reste plus que quarante zèbres autour de la station, témoigne Guy Bayima.
Le parc de la Garamba, classé au patrimoine de l’humanité et situé aux confins de la Centrafrique et du Soudan du Sud, est écumé par les rebelles ougandais de la Lord Resistance Army (LRA). « Si on ne fait rien, dans vingt ans on n’a plus un éléphant en Afrique centrale », avertit le gérant du parc, Luis Arranz. Le rhinocéros blanc, qui fut la spécialité de Garamba, est aujourd’hui une espèce éteinte. Depuis les années 1960, la population de buffles a chuté de 30 000 à 6 000 unités et celle d’éléphants de 20 000 à 2 000, largement à cause de la flambée des cours de l’ivoire, explique Luis Arranz. D’après lui, tant la LRA que l’armée congolaise sont impliquées dans ces massacres.
« Quand on parle de la situation du parc des Virunga, on a les larmes aux yeux », s’émeut Guy Bahima, selon qui la population d’hippopotames a fondu de 30 000 à 500 individus depuis 1996. Les gens ne réalisent pas, explique-t-il, que cette situation a créé un problème alimentaire pour les populations locales. Car les défécations des hippopotames permettent au phytoplancton et au zooplancton, dont se nourrissent les poissons des rivières du parc et du lac Édouard, de se reproduire. Du coup, on a assisté à une baisse des captures de poissons dans les eaux congolaises du lac Édouard. Et les éléphants qui se comptaient par milliers avant la guerre de 1996-1997 ont aujourd’hui pratiquement disparu. Or, l’éléphant joue lui aussi un rôle écologique important. Une étude menée dans la forêt Tai, en Côte d’Ivoire, a démontré qu’ils avaient une fonction précieuse dans la dispersion des graines. L’espoir cependant est qu’une partie du troupeau ait trouvé refuge dans le Queen Elizabeth National Park ougandais, contigu.
Les choses ont encore empiré avec l’arrivée des rebelles du M23 en avril 2012, témoigne Éphrem Balole, administrateur chargé de la planification du parc des Virunga. La reprise des combats a remis en cause tous les efforts entrepris. Le tourisme a été stoppé immédiatement. Le travail de conservation normal a été interrompu. Les responsables du parc ont dû se concentrer sur l’urgence pour protéger les gardes et leurs familles ainsi que les équipements et les bâtiments.
Concernant la protection de la faune, il a fallu donner la priorité aux espèces les plus menacées et les plus emblématiques, comme les gorilles de montagne, les gorilles de plaine, les éléphants, les hippopotames, les buffles et les antilopes. Mais les équipes n’ont pas pu se déployer partout. « Nous n’avons que 271 gardes pour les 7 800 km2 du parc. Et plusieurs endroits qui étaient déjà sous contrôle sont tombés entre les mains des groupes armés et de l’armée régulière. En outre, la situation a favorisé l’intrusion dans le parc d’autres groupes armés comme les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) et plusieurs factions de Maï-Maï, qui vivent essentiellement de l’exploitation des ressources naturelles du parc », explique Éphrem Balole.
La situation du parc de Kahuzi Biega, au Sud-Kivu, n’est guère plus enviable. Les FDLR y font la loi, ainsi que divers groupes maï-maï, raconte Guy Bayima. On y tue des éléphants et les groupes armés se livrent à l’exploitation du coltan. Le parc de la Maïko situé à cheval sur le Nord-Kivu, la Province-Orientale et le Maniema, qui abrite des espèces recherchées comme les gorilles de plaine, l’okapi, le paon congolais et des éléphants, est le repère des FDLR et des Forces divines Simba. Ils vivent d’un braconnage semi-industriel orchestré par des réseaux de trafiquants de viande de brousse qui opèrent à partir de Kinshasa et Kisangani. En outre, ce parc est le théâtre d’un trafic d’or et de cassitérite.
Braconniers et charbonniers
Mais le braconnage n’est pas l’apanage des zones de guerre. Le parc de la Salonga, en Équateur, a connu une baisse dramatique de sa population d’éléphants, tombée de plusieurs dizaines de milliers d’individus dans les années 1970 à 2 000 individus aujourd’hui, selon Guy Bayima. Le directeur belge du parc, Hugues Ducenne, se souvient que, lors de son arrivée sur le site en décembre 2010, « il y avait un braconnage outrancier, toutes espèces confondues. Moins du fait des trafiquants d’ivoire que de ceux de viande de brousse, en quête de singes, d’antilopes, de potamochères ou de buffles de forêt ». Et, là aussi, les moyens de l’ICCN sont dérisoires. Elle ne compte que 180 gardes pour protéger un territoire de 36 500 km2. « Tous ces trafics sont commandités à partir des grandes localités. La viande de brousse se retrouve jusqu’à Londres, Paris et Bruxelles. Il y a de véritables filières », raconte Hugues Ducenne.
Le climat général d’anarchie et l’insuffisance d’autorité de l’État favorisent l’abattage de bois pour la consommation énergétique des foyers urbains. Tous les parcs, y compris hors des zones de guerre, sont victimes d’une prédation ayant pour objet la production de charbon bois (makala). Le phénomène est particulièrement inquiétant à Goma, explique Georges Muamba, directeur de la coopération internationale à l’ICCN. La capitale du Nord-Kivu, insuffisamment desservie en électricité, est en effet presque totalement dépendante en énergie du parc des Virunga. Tout le makala vient en grande partie du parc. D’autres espaces sont envahis par l’agriculture itinérante sur brûlis. Les responsables du parc de Bombo Lumene, situé à 120 km de Kinshasa, déplorent également l’invasion de ce lieu par les fabricants de makala qui ont endommagé plus de 20 % de la surface du parc.
Autre problème : l’occupation illégale des parcs. Iyav Muhunga, directeur de programme de la Frankfurter Zoological Society, témoigne que dans le parc d’Upemba, au Katanga, un grand village a été construit sur la piste des éléphants par des braconniers, des pêcheurs illégaux, des charbonniers et des agriculteurs.
À l’occasion de la saisie, le 24 mars 2013 dans le port d’Anvers (Belgique), d’une cargaison de 40 m3 de bois illégal congolais d’essence afromosia (1), Greenpeace rappelle que l’abattage illégal est monnaie courante dans le pays. Enfin, les industries extractives représentent la dernière menace, et l’État en est partiellement responsable. Des concessions minières et pétrolières ont été accordées dans l’enceinte des parcs de Kahuzi Biega et des Virunga, pourtant classés au patrimoine de l’humanité, en violation avec les lois congolaises. Guy Bahima évoque une « inadéquation inacceptable » entre les cadastres foncier, minier, agricole, forestier et pétrolier.
(1) Reprise à l’annexe II de la Convention sur le commerce international des espèces menacées d’extinction.