Aujourd’hui, c’est cet homme, l’ « homme de l’ultimatum à Morsi », qui est demandé par des millions d’Égyptiens. Le retour probable de l’armée au pouvoir signifiera-t-il un retour à la case départ ou une avancée de la révolution égyptienne ?
Le 12 août 2012, le président égyptien, Mohamed Morsi, a sans doute fait une erreur fatale en nommant Commandant des forces armées égyptiennes et ministre de la Défense, le général Abdul Fattah al-Sissi. Celui qui devait être un soutien pour le président contesté et rallier l’armée au pouvoir civil, est devenu aujourd’hui le héros de dizaines de milliers de manifestants qui n’hésitent pas à chanter « l’armée et le peuple, main dans la main », place Tahrir. C’est aujourd’hui, après avoir lancé un ultimatum au président Morsi, l’homme dont tout le monde attend qu’il mette fin à la crise profonde que vit le pays.
Pourtant, le général al-Sissi n’a pas toujours été aussi charismatique et pour cause. En avril 2012, il fit la Une de la presse nationale et internationale en publiant une déclaration pour défendre le comportement des forces armées lors des manifestations de la place Tahrir en 2011. Rappelons-nous ce qui s’était passé alors. Le 9 mars, dix-sept femmes avaient été arrêtés, battues, frappées à coup de matraques électriques, soumises à des fouilles au corps, forcées de se soumettre à des « tests de virginité » et menacées d’accusation de prostitution. « Le test de virginité a été fait pour protéger les filles des viols et les soldats d’accusations de viol », avait déclaré le général al-Sissi. Le Conseil suprême des Forces armées avait alors pris de la distance avec ses commentaires.
Au cours d’une réunion avec Amnesty international, en juin 2012, désireux de redorer le blason de l’armée, le général al-Sissi s’était engagé à ce que les militaires ne procèdent plus à ces tests et à ce que les victimes des forces armées puissent porter plainte auprès du procureur militaire. Depuis sa nomination au poste de ministre de la Défense, il avait fait profil bas et adopté une attitude plutôt discrète.
Qui est le général al-Sissi ? Né le 19novembre 1954, Abdul Fattah al-Sisi a l’avantage d’être jeune, comparé à Hosni Moubarak, 84 ans, ou au maréchal Tantawi, 76 ans. Formé à l’Académie militaire égyptienne, ce n’est pourtant pas un combattant. Il a servi dans l’infanterie et a gravi les échelons pour devenir commandant du bataillon d’infanterie mécanisée, chef de l’information et la sécurité au secrétariat général du ministère de l’Information, ou encore attaché militaire en Arabie saoudite. Plus tard, il devait être nommé chef de cabinet puis commandant de la région militaire nord dont le quartier général se trouve à Alexandrie, puis directeur des services de renseignement et de reconnaissance militaires. Il siège au Conseil supérieur des forces armées (SCAF) dont il est l’un des plus jeunes membres, avant d’être nommé ministre de la Défense. C’était le 12 août 2012, Mohamed Morsi venait d’abroger la Constitution et de remercier le vieux général Hussein Tantawi. Al-Sissi avait prêté serment face au président.
Sur le plan politique, le général al-Sissi est une personnalité difficile à cerner et controversée. Après sa nomination ministérielle, les médias égyptiens l’ont identifié comme un proche des Frères musulmans. La chaîne TV pro-armée al Faraeen et son présentateur Tawfiq Ukasha l’ont accusé d’être l’ « homme des Frères musulmans au sein du SCAF ». Sa femme porterait le niqab ou voile total. Le SCAF a démenti cette rumeur. Pour d’autres il serait seulement un « homme religieux », pour d’autres encore, un « fidèle nassérien ». Quelle est sa position vis-à-vis des États-Unis ? se sont aussi demandé les médias égyptiens. Pour le journal al-Tahrir, il aurait « des liens étroits avec les autorités américaines sur le plan militaire et diplomatique ». Ce qui ne serait pas étonnant sachant que l’armée égyptienne a depuis longtemps des liens plus qu’étroit avec les Etats-Unis. Le général al-Sissi qui a été entraîné en Grande- Bretagne en 1992, a aussi étudié en 2006 à Washington où il a assisté à de nombreuses conférences militaires. Il se serait, également, engagé dans une « coopération dans des opérations de renseignement et de stratégie ».
Le 23 juin dernier, le général Abdul-Fattah al-Sissi brisait le silence de l’armée en brandissant le spectre d’une « une division de la société dont l’aggravation est un danger pour l’État égyptien ». Il se posait en défenseur de l’unité censée transcender les divergences politiques et maintenir la cohérence du pays. « Il est de la responsabilité morale et patriotique de l’armée vis-à-vis de son peuple d’intervenir pour empêcher l’Égypte de glisser dans un tunnel obscurci par les conflits, les luttes internes, la criminalité, les accusations de trahison, les discordes sectaires et l’effondrement des institutions », déclarait-il, réaffirmant le pouvoir de l’armée. Aujourd’hui, c’est cet homme, l’ « homme de l’ultimatum à Morsi », qui est demandé par des millions d’Égyptiens. Le retour probable de l’armée au pouvoir signifiera-t-il un retour à la case départ ou une avancée de la révolution égyptienne ? À suivre.