Le colonel Wissam al-Hassan était le directeur de « la branche des renseignements », un corps des forces de sécurité intérieure libanaises. Il vient d’être victime d’un attentat à la voiture piégée, qui a fait une dizaine de victimes et plusieurs dizaines de blessés. Le doigt accusateur de son clan politique, le clan du 14 février, pointait déjà sur la Syrie et son allié libanais le Hezbollah alors que les victimes n’étaient pas encore identifiées.
Est ce que la Syrie ou le Hezbollah ont assassiné Wissam al-Hassan ?
Il est tentant de répondre par l’affirmatif, tant celui qu’on considérait comme le plus grand agent de la CIA au Liban, était profondément impliqué dans toutes les crises sanglantes qu’ont connues le Liban et la Syrie, depuis qu’il était devenu directeur de la branche des renseignements en 2006.
Mais son rôle le plus important, Al-Hassan l’a joué pendant ce que la presse appelle désormais la révolution syrienne. Il était devenu l’un des acteurs étrangers les plus actifs de la tragédie syrienne, sous l’égide des Saoudiens, des Américains et des Européens.
Ceux qui le connaissaient disent de Wissam al-Hassan qu’il avait une personnalité dynamique déliée de toute contrainte juridique ou morale. Il ne connaissait pas de répit dans la traque des résistants libanais. Ceux qui ont battu Israël dans l’arène, Israël les a battus à l’intérieur grâce à Al-Hassan à l’aide des États Unies qui ont fait de la branche des renseignements une force de renseignement hautement qualifiée et active sur les plans de la sécurité et de la politique intérieure.
L’argent des monarchies du Golfe, l’entraînement américain, les équipements européens et l’extraordinaire coopération concédée par les services de sécurité américains et européens, ont fait du service d’Al-Hassan la deuxième force de renseignement du pays, derrière le Hezbollah, mais devant le service de renseignement de l’armée dont les officiers ont une loyauté partagée sur l’échiquier intérieur libanais. À partir de 2006 et avec le soutien inconditionnel des États-Unis, Wissam al-Hassan a fait de son service, une force de renseignement qui joue dans la cour des grands de la région telles que la Syrie, l’Iran, la Jordanie ou l’Égypte.
Mais est ce que la Syrie ou le Hezbollah ont bien tué Al-Hassan ?
Aussi bien le Hezbollah que la Syrie savaient que la mort d’Al-Hassan allait être l’étincelle d’une guerre libanaise interconfessionnelle. Ni l’un ni l’autre n’a un quelconque intérêt dans une telle guerre. D’autant plus que le Hezbollah risquait moins en essayant, de part son influence au gouvernement, de neutraliser Al-Hassan en l’évinçant de son poste et en restructurant son service loin de l’influence américaine, qu’en essayant de l’assassiner.
Quant à la Syrie, elle a grand besoin d’un Liban stable et paisible, qui reste son unique poumon économique, à cause des sanctions internationales qui l’étouffent. Assassiner une personnalité sunnite au Liban est pour le Hezbollah comme pour la Syrie un acte purement suicidaire.
Par conséquent et par pur calcul d’intérêt, ni la Syrie ni le Hezbollah ne pouvaient initier un processus de pure perte pour eux. N’oublions pas que l’assassinat de Hariri en 2005 a fait basculer plus que jamais le Liban dans le cercle d’influence américaine, et l’assassinat d’un sunnite aussi populaire que Wissam al-Hassan au sein de sa confession, est naturellement susceptible d’affaiblir le Hezbollah en l’occupant dans des luttes fratricides à l’intérieur du Liban.
Qui d’autre l’aurait tué ?
D’après un article de Seymour Hersh publié par le New Yorker en 2007, un accord américano-saoudien (Dick Cheney-Bandar Ben Sultan) aurait permis à Wissam al-Hassan d’utiliser les services de membres d’Al-Qaïda contre le Hezbollah au Liban. Il est intéressant de noter la popularité et l’influence indéniable de Wissam al-Hassan au sein des courants wahhabistes libanais qu’ils soient des groupes armés djihadistes ou non. Seule l’influence de Bandar Ben Sultan pouvait rivaliser avec celle de Al-Hassan au sein de ces groupes. D’ailleurs tous les deux usaient des fatwas des grands chefs wahhabistes pour convaincre ces groupuscules armés qu’il était permis de s’allier avec des mécréants (américains, saoudiens) pour combattre d’autres mécréants plus dangereux à leurs yeux (Syrie Hezbollah Iran). Toutefois d’autres groupuscules, liés davantage à Al-Qaïda originale dans sa version afghane, refusaient de collaborer avec Al-Hassan ou se mettre sous sa coupe, parmi eux le groupe de Gandhi Elsahmarani et le groupe de Abdelrahman Awad dans le camp palestinien de Aïn Helwe. Gandhi Elsahmarani et Abdelrahman Awad furent tous deux assassinés et leurs groupes accusent Al-Hassan de leurs meurtres.
Al-Hassan victime de la vengeance d’Al-Qaïda ?
C’est un scénario hypothétique mais plausible d’autant plus que Al-Hassan était un confessionnaliste déclaré et ne faisait confiance qu’à ceux de sa propre confession et qui lui ressemblaient. Il est donc improbable que son Service ait été infiltré par des gens étrangers à sa ligne politique et religieuse et Al-Qaïda était la mieux à même de l’infiltrer.
Mais il existe d’autres scénarios fantaisistes qui circulent au Liban, dès l’instant de l’annonce de sa mort. L’un de ces scénarios prétend qu’il a été victime d’un bombardement dans la zone frontalière entre la Syrie et la Turquie. Al-Hassan serait mort tandis que Ouqab Saqar (un autre faucon du clan du 14 février) était blessé (la blessure de Saqar est confirmée). Pour cacher l’information explosive, sa mort a été maquillée par l’attentat qui ne pouvait que servir la cause du clan (vu la proximité des élections législatives libanaises) et de ses mentors régionaux et internationaux (Arabie Saoudite et États-Unis)
Quant aux victimes civiles innocentes, ce sont des chrétiens coreligionnaires de leurs frères et sœurs martyrisés par les wahhabistes en Irak, Syrie et Égypte.
Un scénario fantaisiste certes mais la fantaisie est très plausible au Liban ! Al-Hassan et son clan ont déjà commis des actes aussi déraisonnables et fantaisistes que d’emprisonner quatre des hauts officiers libanais chefs des services de sécurité de l’État, en poste lors de l’assassinat de Rafiq Hariri, en fabriquant de fausses preuves et des faux témoins. Ni les faux témoins ni les faussaires n’ont été jugés, au contraire ils ont été promus. (Al-Hassan était un personnage clé de cette affaire)
Al-Hassan croyait fermement que ni le Hezbollah ni la Syrie n’osaient s’attaquer à lui parce qu’il était encore plus populaire chez les sunnites que Saad Hariri lui-même et que son assassinat provoquerait inéluctablement une guerre interconfessionnelle. Le Hezbollah fuit comme la peste une telle guerre qui le mettrait à mal et la Syrie ne ferait rien qui nuirait à son principal allié. En mai 2008 le Hezbollah a rapidement démantelé les milices de Hariri mais ne s’est pas approché des structures de Al-Hassan ou ses postes.
Al-Hassan craignait si peu le Hezbollah et la Syrie qu’il a activement participé à la collecte des preuves contre eux dans l’affaire de l’assassinat de Rafiq Hariri, des preuves circonstancielles fondées sur des fichiers de données (datas) récupérés auprès des opérateurs téléphoniques.
Après la formation du gouvernement Miqati, suite à une entente régionale et internationale, Al-Hassan et son camarade (et chef) d’arme Riffi (chef des services de sécurité intérieure) sont restés à leurs postes malgré leur animosité envers le Hezbollah et leur participation active à la fabrication, contre lui, des fausses preuves et des faux témoins, dans l’affaire d’assassinat de Hariri.
Tout portait à croire que Al-Hassan avait les mains libres pour travailler contre le Hezbollah sur les plans judiciaire, politique et sécuritaire. Grâce à l’argent saoudien et l’influence américaine, Al-Hassan est devenu l’homme tout puissant des services gouvernementaux dans un gouvernement ou siègent le Hezbollah et ses alliés !
Avec la crise syrienne Al-Hassan est devenue une légende aux yeux des opposants syriens et leurs amis libanais. Quant aux Américains on sait qu’ils ne voulaient plus travailler directement avec des groupes politiques ou militaires libanais infréquentables (comme les forces libanaises de Geagea) et ont confié à Al-Hassan d’être leur intermédiaire.
Al-Hassan lui-même était convaincu que le Hezbollah risquait gros en le tuant et que la Syrie n’osait pas le tuer bien qu’il avait du sang des milliers de syriens sur les mains des simples citoyens aux cadres scientifiques de hauts rangs assassinés par les groupes terroristes activement soutenus et aidés par Al-Hassan. Tout portait à croire que telles étaient les convictions de Al-Hassan !
Il est peut-être intéressant de regarder du côté de Ashraf Riffi (chef de Al-Hassan) connu pour son incessante recherche de popularité dans son fief, le Nord Liban (dévoué à Al-Hassan) où il compterait se présenter pour être député.
Riffi paraissait sensé en déclarant au quotidien Assafir que les hypothèses de l’enquête étaient dans l’ordre les suivantes :
1- l’assassinat est une réponse à l’arrestation de Samaha (homme politique prosyrien arrêté récemment par la branche des renseignements dans le cadre d’une enquête antiterroriste).
2- l’acte d’une cinquième colonne qui cherche à plonger le pays dans le chaos.
3- l’assassinat est une réponse à l’arrestation de plusieurs réseaux d’espionnage pour le compte d’Israël.
4- l’assassinat est une réponse au démantèlement de plusieurs réseaux terroristes.