En complément de l’augmentation de ses investissements dans la région, la Chine a proposé d’organiser un forum sur le Moyen-Orient pour résoudre ses problèmes anciens.

Le Président chinois Xi Jinping rencontre le Président Iranien Hassan Rowhani à Téhéran le 23 janvier 2016. Photo : Présidence iranienne
Quoiqu’il en soit, l’expérience passée montre que Pékin pourrait être plus soucieuse de paraître diplomate que mettre réellement en place un agenda politique.
Le 28 novembre, un scientifique nucléaire iranien de haut niveau était assassiné à Téhéran. Le guide suprême iranien, l’ayatollah Ali Khamenei a appelé à la peine capitale pour ceux qui ont perpétré ce crime, qui résultait apparemment d’une opération complexe imputable aux États-Unis et au Mossad, l’Agence de sécurité extérieure israélienne.
L’assassinat s’est déroulé dans un moment de tension croissante entre les Etats-Unis et l’Iran : dans les jours qui ont précédé le meurtre, les Etats-Unis ont sanctionné cinq entreprises chinoises et russes qui auraient aidé le programme de missiles iranien.
Lors d’une conférence de presse le 30 novembre, le porte-parole du ministère des Affaires étrangères chinois, Hua Chunying, a condamné le meurtre de Fakhrizadeh en déclarant qu’il « mettait en péril la paix et la stabilité régionales. »
Un projet d’accord de coopération stratégique entre la Chine et l’Iran pour les prochaines 25 années a fuité en juillet, et Pékin a affirmé que ce n’était en rien secret. C’est une preuve de plus que la Chine a des sérieuses motivations économiques – et se prépare tranquillement – à jouer un rôle plus important dans la diplomatie moyen-orientale qui rejette explicitement l’unilatéralisme américain à l’étranger
La montée des tensions américaines avec l’Iran pourrait donner à la Chine une opportunité pour s’impliquer plus directement dans les affaires diplomatiques de Téhéran.
L’Iran appelle à la vengeance pendant les funérailles du scientifique nucléaire assassiné, Mohsen Fakhrizadeh
Après avoir rencontré son homologue Javad Zarif à Pékin fin octobre, le ministre des Affaires étrangères chinois Wang Yi a appelé à un nouveau forum moyen-oriental organisé par la Chine pour apaiser les tensions et « explorer des solutions politiques et diplomatiques » pour les questions de sécurité au Moyen-Orient.
La rencontre s’inscrit dans une série de changements rapides de la politique chinoise en faveur d’une intervention diplomatique au Moyen-Orient, implicitement calée sur les récents changements américains, tel que les accords Abraham, par lesquels les Emirats arabes unis et Bahreïn ont normalisé leurs relations avec Israël.
Après que l’embargo de l’ONU ait été allégé pour l’Iran, les départements d’État et de la défense américains ont maintenu des sanctions unilatérales contre l’Iran sans l’accord du Conseil de Sécurité. En revanche, la Chine s’est engagé par le passé à être un partenaire stable pour l’accord nucléaire iranien.
Après avoir rencontré Zarif, Yi a même suggéré que les nations participant au nouveau forum sur le Moyen-Orient seraient tenues de signer l’accord, dont les États-Unis se sont retirés en 2018. L’approfondissement des alliances entre certains pays du Golfe et Israël – et le fait de blâmer Israël pour l’assassinat de Fakhrizadeh – amplifient le rôle sensible de l’Iran dans la région.
Pourquoi l’Iran et les États-Unis ne peuvent-ils pas s’entendre ?
Au-delà de l’assassinat, les dirigeants du Moyen-Orient se tournent de plus en plus vers la Chine comme partenaire stratégique. Pékin discute déjà d’investissements pour soutenir d’ambitieuses initiatives en matière d’infrastructures et de technologies dans la région, notamment la Vision 2030 du prince héritier saoudien Mohammed ben Salman, largement encouragée, et la reconstruction de la Syrie par le régime d’Assad.
En octobre, le Centre national d’intelligence artificielle d’Arabie saoudite a signé des accords avec les entreprises chinoises Huawei Technologies et Alibaba Cloud dans le cadre de sa nouvelle stratégie d’IA. Les États-Unis estiment que Pékin contrôle déjà ou exerce une influence sur environ un quart de l’industrie technologique israélienne, qui représente plusieurs milliards de dollars.
Par ailleurs, la dépendance croissante de la Chine à l’égard de l’approvisionnement énergétique du Moyen-Orient – énergie propre et pétrole – signifie qu’il est dans son intérêt de maintenir la stabilité économique et politique dans la région.
De plus, il existe des précédents pour un engagement diplomatique étendu entre la Chine et le Moyen-Orient. Une réunion préparatoire à une alliance comme celle dont a parlé Wang a eu lieu en juin avec la tenue en ligne du dialogue des partis politiques entre la Chine et les États arabes.

– Un partisan du gouvernement syrien brandit une pancarte alors qu’un convoi transportant le ministre russe des affaires étrangères Sergei Lavrov se dirige vers le palais présidentiel de Damas pour des entretiens avec le président syrien Bachar al-Assad le 7 février 2012. La Russie et la Chine ont opposé leur veto à une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies condamnant la répression du régime Assad contre les manifestants. Photo : AFP
Plus de 60 dirigeants de partis politiques de tous les États arabes, dont le président syrien Bachar al-Assad et le président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas, ont rejoint le dialogue en ligne avec la Chine. Bien que les résultats obtenus restent flous, le simple fait qu’un tel sommet ait eu lieu montre que la Chine n’hésite pas à approfondir son engagement diplomatique au-delà des divisions politiques existantes au Moyen-Orient.
Le dialogue a également révélé des indications importantes sur la manière dont la Chine pourrait procéder si elle utilisait l’assassinat de Fakhrizadeh comme l’un des nombreux facteurs justifiant la conduite d’une alliance géostratégique plus large. Le fait de cibler à la fois les dirigeants nationaux et ceux des partis a montré que l’appareil diplomatique de Pékin cherche au moins l’apparence de relations politiques neutres avec chaque nation de la région.
De plus, la Chine est à la tête de l’Organisation de coopération de Shanghai depuis 2001, une alliance eurasienne axée sur la politique, l’économie et la sécurité.
Si le premier grand forum international du dialogue des partis politiques entre la Chine et les États arabes a effectivement débattu de la Syrie en mai 2018, il était plus probable que ce soit une façon de justifier l’existence du dialogue que de définir des stratégies multinationales tangibles sur la Syrie.
Lorsque l’on examine ces deux précédents forums Chine-Moyen-Orient, il semble que si la Chine devait conclure une nouvelle alliance, elle pourrait être plus soucieuse de paraître diplomate que de faire réellement avancer un programme politique.
Qu’un tel forum émerge ou non au cours des prochaines années, pour comprendre les motivations complexes de la Chine dans la région, il ne suffit pas de voir les choses en termes binaires investisseur-interventionniste, ou de considérer la région comme un relais des tensions entre les États-Unis et la Chine.
À l’heure actuelle, les exportations énergétiques de Pékin, la construction d’infrastructures, les investissements technologiques et même les échanges diplomatiques au Moyen-Orient sont tous motivés par l’essor économique à long terme de la Chine. Les ambitions économiques du pays restent l’épine dorsale – et non un accessoire – de ses décisions de politique étrangère. Son parcours futur en Iran ne fera pas exception à la règle.
Sophie Zinser est une chercheuse qui se concentre sur le travail forcé et le rôle de la Chine au Moyen-Orient, en Asie du Sud et en Asie centrale. Elle travaille depuis cinq ans avec des réfugiés et des migrants sur l’élaboration de solutions politiques ciblées sur les communautés au Moyen-Orient et en Asie.
Source : SCMP, Sophie Zinser, 07-12-2020
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises