Le mardi 15 décembre à 18h30 l’Association France-Syrie (AFS) a organisé une vidéo conférence sur la Syrie sous le titre : « Les sanctions et autres crimes de guerre : Quel impact sur le quotidien des Syriens, leur santé et le retour des réfugiés ? ».
Plus de 70 personnalités avaient répondu à l’invitation et participé aux débats..
Les principaux intervenants étaient :
• Michel RAIMBAUD, écrivain et ancien ambassadeur de France ;
• Nabil ANTAKI, médecin qui est intervenu direct d’Alep ;
• Mme Zahira FAHED, oncologue, en direct de Damas.
Didier DESTREMAU, ancien ambassadeur de France, écrivain et président de l’AFS a modéré les débats.
Nous publions ci-dessus l’intervention inaugurale de Michel Raimbaud qui a consacré plusieurs livres, articles et conférences à la Syrie.
Par Michel Raimbaud
Donald Trump, qui amuse et terrorise le monde depuis quatre années, s’est retranché dans sa blanche maison et son ovale bureau. Il y est il y reste par la volonté du peuple et semble décidé à n’en sortir que par la force des baïonnettes, avec deux objectifs majeurs : pourrir d’abord la vie de son adversaire plus « démocrate » que démocratique, le vétéran Joe Biden ; et puis surtout, « saigner » à mort les pays qui osent résister encore aux Etats-Unis d’Amérique, les « régimes » qui osent encore menacer la sécurité des Etats-Unis d’Amérique et les chefs d’Etat qui bravent les sanctions et les châtiments des Etats-Unis d’Amérique.
C’est ainsi qu’il a inspiré à ses partisans « républicains » de faire voter au Congrès un projet de loi présenté par 150 représentants et sénateurs, qui interdirait à tout gouvernement futur toute négociation avec la Syrie tant que Bachar al Assad en sera le président, interdisant même à ce dernier de se porter candidat à toute élection présidentielle à venir. Du jamais vu… Donald Trump n’a jamais trompé personne énormément, son comportement impulsif et imprévisible étant interprété par ses supporters comme un label de non-appartenance à l’Establishment et de non-adhésion au consensus des deux partis et de l’Etat profond néoconservateur. Cela reste à voir, les dirigeants israéliens vous le diront. La seule chose certaine et positive, c’est qu’il a révélé le véritable visage de « l’Amérique si bonne ». Ce qui fera peut-être réfléchir un instant ses multiples adorateurs inconditionnels.
Il y a quelques jours (le mercredi 9 décembre), le Sénat français recevait un diplomate en poste. Voici quelques phrases de son audition :
Citation – « Le crescendo des pressions des Etats–Unis contre mon pays n’a cessé de se renforcer. Cela a commencé sous la présidence BUSH interdisant (à mon pays) d’accéder souverainement à ses acquisitions de matériel militaire pour se défendre, puis s’est poursuivi par un décret présidentiel de Barack OBAMA considérant que (mon pays) « était une menace contre la sécurité des Etats-Unis », jusqu’à cette politique unilatérale de coercition de l’administration TRUMP, de « sanctions » totalement illégales du point de vue du droit international, de « pressions » économiques, financières, de mesures sans précédent d’interdiction de recourir aux sources de financement international, qui asphyxient littéralement l’économie (de mon pays) et pénalisent très durement sa population au quotidien (expliquant diverses pénuries et notamment dans l’accès aux soins pour les plus démunis et aux médicaments, entre autres). Fin de citation.
Mettons fin au suspense : le diplomate reçu par le Sénat est M. Michel Mujica Ricardo, Ambassadeur du Venezuela. La réception visait à réparer une gaffe du dit Sénat, Juan Guaido, putschiste auto-proclamé « président » (avec la bénédiction de Washington), ayant été reçu une semaine plus tôt.
Le tableau accablant pour l’Amérique que dresse l’Ambassadeur Ricardo pourrait s’appliquer à la situation dans le pays sur lequel notre vidéoconférence est censée échanger : un Ambassadeur de Syrie n’aurait pas parlé autrement. Moi non plus d’ailleurs, et j’aurai trouvé dans ses propos ce que je souhaitais dire afin d’introduire le tableau des sanctions et crimes dont les Syriens sont victimes.
1/ La situation dans laquelle se débat la Syrie après dix ans de guerre est le résultat d’une agression étrangère, et non d’une guerre civile qui n’a jamais existé, malgré les efforts déployés pour en incruster l’idée. On en voudra pour preuve que les mouvements de populations sont à sens unique : quand les deux options sont ouvertes, les Syriens et leurs familles cherchent systématiquement refuge dans les zones contrôlées par l’Etat, fuyant les zones où sévissent les « jihadistes » et leurs alliés.
Il se trouve que, les 11 et 12 novembre dernier, a été tenue à Damas une Conférence internationale sur le retour des réfugiés et des déplacés syriens. Un bon point pour l’ONU et pour son envoyé spécial, Guer Pedersen : le principe d’un traitement global de cette question des réfugiés et déplacés (dont le nombre représente près de la moitié d’une population estimée avant le conflit à 24 millions d’habitants) a été accepté par les Nations-Unies, un lien étant reconnu pour la première fois entre le sanitaire et l’humanitaire d’une part, la situation politico-économique et sécuritaire d’autre part.
Il reste que l’ONU défaillante porte une lourde responsabilité dans la situation de la Syrie : elle ne remplit pas son rôle de partenaire principal du gouvernement légal et ne soutient pas ses efforts dans le domaine humanitaire, y compris concernant le retour des réfugiés et déplacés. Elle a cédé aux « instructions » d’un ex-fonctionnaire du Département d’État, James Jeffrey, et manqué à ses obligations envers le gouvernement en déléguant son représentant local en tant que simple « observateur », non en tant qu’acteur actif.
D’autant plus qu’au même moment l’ONU envoyait une délégation incluant des « agents de sécurité » de l’organisation terroriste Hay’et li Tahrir el-Cham, alias le Front al-Nosra, bras syrien d’Al-Qaïda, cautionnant son infiltration illégale dans le Gouvernorat d’Idleb via la frontière turque alors que la dite délégation avait à sa tête Mark Keats, l’adjoint du Coordonnateur régional pour les affaires humanitaires (OCHA).
L’ONU « couvre » ainsi de graves violations du droit international, de la Charte de San Francisco et des résolutions sur la lutte contre le terrorisme et les principes de l’action humanitaire (cf. résolution 182/46 de l’Assemblée Générale). Elle se rend également complice des violations de la souveraineté de la Syrie et des atteintes à la coopération entre l’OCHA et le gouvernement légal.
Or la Syrie ne réclame que son dû en demandant le respect de sa souveraineté et de son indépendance, de l’unité et de l’intégrité de ses territoires, et en rejetant toute tentative contraire à ces principes. Elle ne fait que se référer à son bon droit et à la norme quand elle exige avec constance et intransigeance que le processus politique soit conduit par elle et elle seule, l’ONU étant le « facilitateur » : la Commission constitutionnelle doit mener ses travaux sans ingérence extérieure, sans imposition de conditions arbitraires. Ce rappel n’est pas inutile, la session récente (entamée en ce mois de décembre) ayant dû être suspendue en raison du non-respect des critères rappelés ci-dessus.
2/La « communauté internationale » doit apporter son aide pour assurer le retour digne, volontaire et sûr des réfugiés et déplacés vers leurs foyers, conformément à la résolution 2254 (2015) et au mandat de l’Envoyé spécial de l’ONU en Syrie.
Ceci implique de recréer un environnement adéquat avec la coopération des amis et partenaires humanitaires : reconstruire ce qui a été détruit par les terroristes, réhabiliter les quartiers résidentiels, les installations publiques (écoles, hôpitaux et centres de santé, centrales électriques, distribution d’eau, etc…) et les infrastructures économiques, sociales, culturelles.
3/ Les sanctions, autres mesures coercitives, crimes et méfaits liés à l’occupation étrangère ou au terrorisme : vol des ressources, incendie des récoltes, destruction des infrastructures, pillage massif des trésors archéologiques, aide aux organisations terroristes (notamment Da’esh, Al Nosra, etc…), encouragement aux groupes armés prodigué sous toutes les formes par les pays agresseurs et les « souteneurs » étrangers. Toutes ces mesures et agissements, évidemment contraires au droit international, de nature criminelle voire génocidaire, ont un impact désastreux sur le quotidien des Syriens, leur santé et le retour des réfugiés ou déplacés.
Je citerai le représentant permanent de la Syrie auprès du Conseil de Sécurité, l’Ambassadeur Bachar al Jaafari, qui vient d’être nommé Vice-Ministre des Affaires Etrangères, en ajoutant quelques méfaits nouvellement enregistrés à son réquisitoire :
Lorsque les États-Unis d’Amérique volent chaque jour et ouvertement 200.000 barils de pétrole extraits des puits syriens.
Lorsque des cargaisons entières de citernes remplies de pétrole volé à la Syrie dans la région de Hassaké (sur la rive est de l’Euphrate) sont escortées par des blindés américains vers la frontière irakienne sans que cette Amérique si bonne s’en cache (Trump s’en est même vanté : « je saisis le pétrole syrien car j’aime le pétrole !!! »).
Quand les Etats-Unis (et leurs complices) incendient des milliers d’hectares de champs de blé. Quand ils volent chaque jour 40.000 tonnes de coton, lorsqu’ils volent 5 millions de têtes de bétail et se vantent d’agir en faveur de la partition de la Syrie et de l’affaiblissement volontaire de la valeur de la livre syrienne ;
Quand les Etats-Unis imposent des mesures économiques coercitives visant à étrangler le peuple syrien, quand ils occupent des parties du territoire syrien et protègent leur partenaire turc qui occupent d’autres portions de ce territoire ; quand la représentante des Etats-Unis ose évoquer malgré tout l’inquiétude de son administration face à la détérioration des conditions de vie du citoyen syrien, imputant cette détérioration à ce qu’elle appelle « le régime », la question légitime que l’on peut se poser est la suivante: – Est-ce que ce sont là les symptômes d’une schizophrénie politique?? Ou bien serait-ce lié à un état de maladie grave? Fin de citation
Parlant de la Turquie, dont le Président, apprenti Sultan, semble perdre la raison, grisé par sa folie, j’ajouterai encore :
Quand la Turquie, qui a ouvert ses frontières aux jihadistes, leur assurant moyens de transport et entraînement, les aide à fomenter des opérations en faux pavillon (false flag) d’attaques à l’arme chimique (qui seront attribuées au gouvernement et à l’armée syrienne), quand la Turquie d’Erdogan persévère dans toutes sortes de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, forte de l’immunité et de l’impunité que lui accorde l’OTAN, c’est-à-dire l’Occident, quand elle occupe illégalement des régions entières du nord syrien en violation ouverte du droit international, lorsqu’elle participe au pillage archéologique, à la destruction, au démontage et démantèlement des usines d’Alep avant de les transférer vers la Turquie pour y être remontées, lorsqu’elle vole et vandalise les récoltes, allant jusqu’à déraciner et enlever des oliviers pour les transplanter en Turquie, osant par-dessus le marché prodiguer des leçons de morale, et tout ceci sans être blâmée, n’est-on pas fondé à affirmer qu’il y a quelque chose de pourri dans la « communauté internationale ?
Quels sont les pays responsables au regard du droit international et…de la morale humanitaire ou naturelle ? La réponse est claire :
Les Etats-Unis qui donnent l’exemple d’un Etat-gangster violant toutes les lois internationales, et leurs alliés d’Occident ou d’Orient qui « singent » leur parrain, à commencer par le Royaume-Uni, complice naturel, ainsi qu’Israël, cœur battant, dont on ne compte plus les interventions dans l’espace aérien syrien, ciblant soi-disant des positions du Hezbollah libanais ou des bases iraniennes. L’OTAN, armée bis de Washington, soutenant entre autres l’occupation turque et les Kurdes séparatistes. Et la Turquie et les Etats de l’Union Européenne, etc…
Ainsi que l’a annoncé mon ami le Président de l’AFS Didier Destremau, deux médecins syriens éminents ont accepté d’intervenir dans cette vidéoconférence, et je les remercie par avance de leurs témoignages :
– Le Dr Nabil Antaki, membre des Maristes Bleus, parlera depuis Alep et la Doctoresse Zahira Fahed, hématologue oncologue, à partir de Damas.
Je citerai à nouveau l’Ambassadeur du Venezuela qui rappelait au Sénat: « Vous avez fait référence lors de votre audition précédente (celle du putschiste – NDLR) au voyage historique du Général de Gaulle en Amérique Latine en 1964. Vous précisiez à juste titre que le Venezuela de 2020 n’est plus celui de 1964. Vous avez raison, mais permettez–moi de vous dire qu’il en est de même pour la France »
Je relisais en effet les discours du Président De Gaulle, qui avait défini les grands principes de la politique de la France (…) : défense inébranlable des indépendances nationales des peuples, respect des souverainetés nationales, non-ingérence dans les affaires intérieures des pays tiers, refus d’une double hégémonie, des Etats-Unis ou de l’URSS. »
Hélas, il est bien vrai que la France de 2020 n’est plus celle de 1964. Je ne suis pas de ceux qui pensent qu’elle n’est plus qu’une puissance moyenne, un « Hexagone ».. La France est une grande puissance, économique, militaire, culturelle, avec une histoire prestigieuse. Beaucoup aimeraient écouter à nouveau sa voix si elle redevenait porte-parole du droit et de la justice. La France, non pas le pays rabougri dont rêvent certains, mais la France ouverte sur le monde tel qu’il est, « juste même quand elle est injuste », selon une jolie formule que je n’ai jamais oubliée.
Allez « le cher et vieux pays », il est grand temps de faire un effort, car le temps presse, et le siècle à venir pourrait bien ne pas être celui dont rêvent certains « visionnaires » .Un siècle américain ? Pas si sûr…
Michel Raimbaud